Avant l'avènement des TV privées, les médias algériens ont gagné leurs lettres de noblesse en payant un lourd tribut — en sang — pour que vive l'Algérie républicaine. Si nul ne peut leur enlever ce mérite arraché de haute lutte, il reste cependant que cette image positive doit se pérenniser au-delà des vicissitudes et des conjonctures politiques ou autres. Est-ce le cas de nos jours ? Pas forcément, malheureusement. Le traitement médiatique de la grève «illimitée» et illégale qui a pénalisé des milliers d'élèves, notamment dans les wilayas de Blida, Béjaïa et Tizi-Ouzou, nous laisse un goût amer. Tout comme la consultation des élèves de terminale, ainsi que le scandale de la campagne de vaccination initiée par le ministère de la Santé au sein des établissements scolaires nous renseignent sur le recul de l'esprit rationnel. Dans les trois cas, la voie royale empruntée est celle du populisme – audimat et ventes obligent ! Le populisme, ce mal du siècle passé (toujours d'actualité) a servi de terreau au nazisme, stalinisme et autres intégrismes — et les Algériens en connaissent le prix. Suivons l'exploitation médiatique de ces événements qui ont fait mal aux Algériens. D'un côté, les médias connus pour leur logiciel wahhabiste — journaux et TV — ont agi par «professionnalisme» en respectant la ligne de conduite dictée par leurs parrains idéologiques et politiques : dévitaliser les esprits et promouvoir le charlatanisme. Elle est connue, leur haine parfois subtile, souvent crue, de tout ce qui a trait à la modernisation de l'école algérienne. Concernant la grève illimitée et illégale, ces médias n'ont eu de cesse de jeter de l'huile sur le feu : gros plans en boucle sur une dizaine d'élèves manifestant leur colère mais manipulés à l'évidence. Plateaux TV choisis à dessein afin d'éviter que des vérités soient dites sur les mouvements de grève dans les trois wilayas concernées. N'est-ce pas que des personnes sont jugées indésirables par ces TV à cause de leur connaissance des dossiers et de leur franc-parler ? A-t-on parlé de cet enseignant/boxeur, responsable syndical de Blida, qui a violenté au début de la grève un directeur de CEM au prix de 21 jours d'arrêt de travail ? Il a été condamné à un an avec sursis. Mais ne voilà-t-il pas qu'il récidive, en pleine grève, toujours avec ses poings. C'est à ce moment-là que le mot d'ordre de grève générale a été donné par son syndicat. Constat : omerta médiatique sur ce comportement irresponsable – pour ne pas employer un autre qualificatif. Il ne faut surtout pas donner une mauvaise image de cette grève illimitée et illégale : continuer à entretenir le flou, pousser à la généralisation du mouvement. Caresser dans le sens du poil pour soit vendre plus, soit pour des desseins politiques. En écho à cette stratégie médiatique et populiste, nous retrouvons des partis politiques d'obédience wahhabiste et qui émargent à l'APN et au Sénat, des associations pseudo-religieuses dont une a usurpé l'aura du vénérable Cheikh Ben Badis. Des anciens cadres du secteur de la même mouvance sont appelés en renfort pour accélérer l'arrivée du Grand Soir, à savoir le printemps vert algérien : faire sortir les 8 millions d'élèves dans la rue. Au diable les conséquences d'un tel déferlement juvénile ! La vie n'a aucun prix pour eux. Et pour cause ! Devant le silence (complice ?) des autorités compétentes, ces médias n'ont-ils pas cautionné et encouragé les accusations portées contre les vaccins et remettant en cause le principe même de la vaccination ? Des charlatans habitués de ces plateaux TV et adeptes de la roqia, de la hijama sont appelés en renfort pour expliquer «scientifiquement» le danger de la vaccination. Naïfs et victimes de la dévitalisation intellectuelle en marche depuis plusieurs décennies, les parents ont mordu à l'hameçon – même ceux instruits, y compris de jeunes couples de médecins : une honte ! Résultat : nous avons sur les bras une épidémie du Moyen-Age, la rougeole, avec des morts à la clé et des coûts exorbitants pour les soins dispensés aux enfants contaminés. Il est vrai que ces médias et ces charlatans ne sont pas les seuls responsables : les pouvoirs publics ont leur part de mauvaise conscience. Pour la consultation sur le report ou non de la date du baccalauréat, la palme revient incontestablement à un éditorialiste de la presse francophone. Toutefois, son éditorial du 17 mars 2018 a de quoi se poser des questions. D'abord en nous apprenant que l'imam Ali Aya est un ancien du FIS dissous. Tiens, tiens ! Il a fallu que ce monsieur demande une audience — la précision est de taille car on fait circuler le contraire — à la ministre de l'Education nationale pour que subitement on nous donne cette information. Et pourquoi ce silence depuis des années, puisqu'il officie à un poste prestigieux, celui de la Grande Mosquée d'Alger, Djemaâ el Kebir ? En remettant en cause l'idée de la consultation «spécial bac», notre éditorialiste rejoint — involontairement — ceux qui voulaient faire sortir les élèves dans la rue. En effet, le maintien de la date initiale aurait eu pour conséquence immédiate de provoquer la colère des candidats des 3 wilayas concernées par la grève illimitée et illégale : vœu caressé par les partisans du «dégagisme», nos wahhabistes bon teint. Et dire que ce n'est que justice que de donner à ces élèves traumatisés le temps suffisant pour rattraper le retard et réviser à l'aise pour leur examen. Ce report est salutaire. Les élèves pourront se refaire d'aplomb un état d'esprit déstabilisé par de longues semaines d'angoisse et de peur cumulées. Dans le cas d'une décision unilatérale du report par le MEN, ce sont les forces hostiles à la modernisation de l'école qui se seraient soulevées pour une raison ou une autre. Déjà, dans le but de dissuader les partisans du report, l'argument surréaliste d'un surcroît d'efficacité intellectuelle grâce au jeûne avait circulé sur les réseaux sociaux et certaines TV. L'essentiel étant de pousser les élèves à sortir pour revendiquer l'innommable attaba (le seuil). Une pratique antipédagogique qui a causé, par le passé, de graves déficits intellectuels à nos élèves de terminale : pour preuve, les taux de redoublement de plus de 60% en 1re année universitaire, depuis son avènement. Le recours à la consultation, idée avancée par les parents d'élèves, a permis de déjouer les sombres desseins des snipers de l'idéologie obscurantiste. A l'évidence, au-delà des avantages psychologiques et pédagogiques que cette rallonge de temps va procurer pour tous les candidats, il s'agit aussi et surtout d'une belle leçon à deux volets. D'abord, initier les futurs adultes à la démocratie participative – chose inexistante dans la sphère politique. Les amener à voter en pesant les avantages et les inconvénients (s'il y en a), en argumentant pour et par soi-même . Bref, il s'agit là de l'apprentissage à la prise de responsabilité. Ensuite, donner la possibilité aux élèves des autres wilayas d'exprimer une solidarité active avec leurs camarades pénalisés dans les wilayas de Blida, Béjaïa et Tizi-Ouzou. Une si modeste initiative ne présente aucun inconvénient. Bien au contraire, nous devons l'analyser sous l'angle pédagogique : elle est un bon exercice de préparation à la citoyenneté via le vote et la solidarité. Cependant, une autre leçon est à tirer de ce sondage – et elle est triste à en pleurer : le taux de «non au report de la date du bac» chez les enseignants, les inspecteurs et les proviseurs. La prophétie de M. Mohamed Cherif Kharroubi au début des années 1980 se vérifie nettement («dans 25 ans, vous verrez l'Homme nouveau que produira l'école algérianisée»). Il est là ce produit kharroubien à des postes stratégiques au sein du secteur de l'éducation : mais dans une posture anti-éducative et anti-pédagogique. Que dire des attaques contre la personne de la ministre de l'Education nationale ? Quand elles émanent du clan wahhabiste, cela se comprend. Le contraire aurait choqué. Mais à leur décharge, à travers la ministre, ce n'est pas tant la personne qui les dérange, mais le projet qu'elle porte, à savoir l'application des recommandations de la Conférence nationale d'évaluation de la Réforme de juillet 2015. Nous citerons les mesures mortelles pour leur fonds de commerce : - l'extension géographique de l'enseignement de tamazight ; - la célébration, dans tous les établissements scolaires, de Yennayer de l'an 2017 – une année avant son officialisation ; - la réhabilitation de l'algérianité, fondement identitaire du peuple algérien, dans les programmes scolaires ; - la promotion des auteurs algériens (en arabe, en tamazight et en français) dans les manuels scolaires, exclus jusque-là. Elle se fait graduellement, en collaboration avec le ministère de la Culture ; - l'étroite collaboration avec le ministère des Affaires religieuses pour les livres et les manuels portant sur la religion ; - la volonté de mettre fin aux apprentissages basés uniquement sur la mémorisation, en développant les fonctions intellectuelles supérieures chez nos élèves (la compréhension, l'analyse, la synthèse, l'esprit critique et la créativité) ; - la refonte d'un système d'évaluation moyenâgeux (les examens scolaires notamment) ; - la modernisation des méthodes d'enseignement des langues – y compris de l'arabe – par des innovations majeures (l'élaboration d'anthologies littéraires à usage scolaire, le projet de la lecture/plaisir, la manifestation culturelle Plumes de mon pays — édition 2018) ; - la mise en réseau des établissements scolaires algériens avec les écoles, associés de l'Unesco pour une ouverture sur le monde, les autres cultures, la paix et la tolérance. Bien entendu, ces mesures pédagogiques actées par la Conférence nationale d'évaluation de la Réforme ont besoin de stabilité pour être efficaces. La stabilité ! Le maître-mot sans lequel la modernisation de notre école restera vaine. Les partisans du statu quo crachent le feu à toute vitesse et à toute occasion pour déstabiliser le secteur et maintenir leurs positions. Le temps leur est compté, et ils le savent. Les grèves illimitées et illégales sont leur arme favorite. L'idée largement partagée par les parents d'élèves d'un statut de souveraineté à octroyer au MEN les effraie à un point tel qu'ils se lancent dans une fuite en avant suicidaire. Revenons aux médias. A-t-on lu ou entendu dans nos médias des experts donner leur avis sur les traumatismes que vivent nos élèves lors de ces moments de troubles ? Rares sont les médias qui sollicitent ce genre de contributions. A-t-on lu ou entendu des analyses pertinentes au sujet des recommandations de la dite Conférence d'évaluation de juillet 2016 ? Pourtant, les vrais spécialistes existent dans les universités, les établissements scolaires et autres centres de recherche. Non, les questions de l'école ne sont «juteuses» commercialement que lorsqu'elles prêtent à des manchettes et des unes alléchantes (suicides, cantines, transport, grèves, PV non signés...) ! Si au moins ces dossiers épineux étaient analysés et non pas seulement commentés. Il reste à observer cette infime minorité de médias modernistes/démocrates qui tire à boulets rouges sur la ministre. Non pas pour les mesures que le MEN essaie d'appliquer, ils sont partisans d'une école moderne de qualité. Alors, est-ce seulement et uniquement la personne de la ministre qui les dérangent ? Si c'est le cas, ce serait gravissime pour la déontologie et l'éthique journalistiques. La preuve – encore une – nous est fournie par l'éditorial cité plus haut, où l'auteur se demande : «Pourquoi la ministre n'a-t-elle pas démissionné ?» Pas moins ! Souhaite-t-il un remake de la triste expérience vécue en 1979 par feu Mostefa Lacheraf, remplacé par un baâthiste teinté de religiosité ? N'est-ce pas tout le combat existentiel des wahhabistes de tous poils que l'éditorial reprend à son compte avec cette «démission» suggérée ? La danse du scalp en version algérienne, contre-nature ! Certes, il ne s'agit pas d'applaudir aveuglément, mais de critiquer des idées et des mesures avancées par le ministère — notamment celles liées à la pédagogie, ce parent pauvre —, les discuter objectivement. Et il y a de quoi remplir les pages d'un journal entier en articles et les plateaux TV en émissions utiles. C'est de la sorte que les médias contribueront à faire avancer l'école algérienne vers la qualité et l'aider à se hisser au niveau des normes internationales. Voilà ce dont a besoin l'élève, l'enseignant et le parent. Est-ce trop demander que de placer l'intérêt de l'élève au-dessus de tout ? Leur réserver le même traitement que celui dont jouissent, à juste titre, nos valeureux soldats de l'ANP, respectés par la totalité des médias algériens, sans fausse note aucune. Aux dernières nouvelles, nous apprenons que des enseignants et enseignantes – parmi les anciens grévistes — se préparent à partir... en Arabie Saoudite pour la omra. No comment ! Le combat contre l'ignorance peut attendre, même si cet ennemi frappe, non pas aux frontières du pays, mais aux portes de nos... domiciles. A. T. [email protected]