Allez savoir pourquoi les Algériens sont si intéressés par la grève dans les chemins de fer... français ! Bien sûr, il y a d'abord la télé qu'ils regardent parce que la leur est «inchoufable». Ensuite, il y a les trains dont ils rêvent parce que chez eux, il n'y en a pas. Il y a le rapide d'Oran et le tout nouveau train... d'Oran. Ce n'est pas encore le TGV mais c'est déjà ça. Oran, c'est aussi l'Algérie mais pas toute l'Algérie. Dans un pays où on voyage en taxi sur mille kilomètres, on regarde les trains qui partent dans d'autres pays. Quand ils arrêtent de partir, on se sent un peu concerné et on «suit l'affaire». Nous n'avons pas leurs trains, on ne peut pas les prendre. Nous n'avons pas leur télé mais on peut la regarder. Alors on voit la grève des trains ailleurs en pensant à la grève des écoles et des hôpitaux à la maison. Les Algériens regardent un débrayage où les cheminots tiennent un piquet de grève, des syndicats qui savent ce qu'ils veulent et le disent. IIs regardent un gouvernement déterminé à passer sa réforme et des usagers en colère parce qu'ils tiennent à leurs moyens de transport public. Et ils pensent aux enseignants en grève qui vont... enseigner dans leurs garages, partent à la cueillette des olives ou aménagent un petit business occasionnel. Ils pensent aux médecins qui refusent d'aller soigner leurs compatriotes des petits patelins et au pouvoir qui leur envoie la matraque à la place d'un interlocuteur. Ils pensent aux gouvernants qui se foutent de l'école parce que leurs enfants étudient ailleurs et à l'horrible solitude d'une ministre qui s'accroche. Les Algériens n'ont pas de trains, rêvent de TGV et désespèrent de l'école, mais ils regardent la télé qu'ils n'ont pas. Allez savoir pourquoi les Algériens s'enflamment pour le Real et le Barça. Bien sûr, il y a toujours la télé à la base mais au commencement était le foot. Leur sélection n'ira pas en Coupe du monde et sa «reconstruction» est chaotique. Tous les jours, ils regardent des matchs de vrai foot à la télé qu'ils n'ont pas. Ils se régalent, un œil sur le porteur du ballon et l'autre guettant les bisous «incensurables» que se donnent de jeunes filles et de jeunes garçons sur des gradins qui respirent la vie. Ils n'ont pas de foot, ils n'ont pas de stades, ils sont interdits de câlins mais ils regardent la télé qu'ils n'ont pas. Alors mardi, ils se sont extasiés devant le retourné stratosphérique de Cristiano Ronaldo et applaudi sur leurs canapés les Turinoises et les Turinois en standing ovation à l'endroit de leur bourreau, ému de reconnaissance. Plus tôt, en fin d'après- midi, ils ont eu à «apprécier» le match de Tizi. Eh, oui, il arrive aux Algériens de regarder la télé qu'ils ont ! Un penalty hallucinant, un stadier qui lance des pierres, un gardien international qui crache sur un stadier... et plein d'autres joyeuseries. En attendant que les choses sérieuses, comme dirait l'autre, reprennent leur droit, le lendemain. Un Barça qui marche sur l'eau, une Roma qui n'a rien à perdre et des Algériens qui en redemandent. Ils n'ont pas de foot, ils n'ont pas de stades mais ils ont la télé qu'ils n'ont pas. Et tout le vendredi, premier jour du week-end semi-universel, pour en parler. S. L.