Par le Pr Rachid Hanifi(*) Les maladies sont globalement soumises à une prise en charge thérapeutique et préventive. Il y a encore quelques décennies, les pathologies transmissibles dominaient, poussant les chercheurs et autres responsables de politique de santé à investir dans des programmes de prévention, basés essentiellement sur la vaccination. La tuberculose, la variole, la rougeole ont ainsi pu être maîtrisées, voire éradiquées pour certaines d'entre elles. Plusieurs laboratoires internationaux se sont investis dans cette politique de prévention, largement rentable pour eux et utile pour les populations exposées. Ces dernières années, les maladies non transmissibles (MNT) ont pris le dessus, avec plus de 60% d'atteinte dans le monde, notre pays étant dans les mêmes proportions. Cette expansion des MNT est la conséquence directe du modernisme et de la dominante technologique qui ont provoqué un véritable bouleversement du mode de vie des citoyens. En effet, ces derniers sont confrontés quotidiennement à des facteurs de risque, favorables au développement de maladies chroniques et invalidantes, telles que le diabète, le cancer, les cardiopathies, les affections respiratoires (asthme, BPCO) : - la pollution qui devient de plus en plus inquiétante, en raison notamment d'un parc automobile dense et parfois vieillissant, d'une part, et d'un tabagisme qui touche de plus en plus de jeunes des deux sexes, d'autre part ; - la sédentarité, encouragée par la grande disponibilité de moyens technologiques de différentes natures (voiture, ascenseur, ordinateur, téléviseur, etc.) ; - le changement des habitudes alimentaires avec l'expansion de la restauration rapide et les mauvaises attitudes diététiques à l'école (viennoiseries) ; - le stress favorisé par un environnement souvent hostile (promiscuité, difficultés sociales). Ces facteurs de risque sont à l'origine du développement des MNT et de la majorité des cas de décès. Pourtant, trois d'entre eux au moins (pollution, sédentarité et alimentation) sont maîtrisables et susceptibles d'être réduits, pour peu que l'on s'y mette sérieusement. ▪ La pollution pourrait être limitée par une implantation plus rationnelle des populations dans le pays, évitant la concentration sur une partie du territoire au détriment de près des trois quarts qui restent inhabités. Les véhicules polluants devraient être, d'une part, réduits (tendre vers la réservation du diesel aux seuls moyens de transport en commun), d'autre part soumis à des contrôles techniques rigoureux et rapprochés. Le tabagisme doit être combattu par la stricte application de l'interdiction de fumer dans les enceintes fermées et par une campagne de sensibilisation soutenue dans les établissements scolaires, les entreprises, les mosquées et à travers les moyens de communication disponibles (télévision, radio, presse écrite). ▪ La sédentarité pourrait être atténuée par une plus grande disponibilité d'aires de jeux, une relance sérieuse de l'EPS à l'école, du sport en entreprise, du sport dans les quartiers. La sensibilisation par les voies de communication disponibles, pourrait amener le citoyen à limiter le recours à la voiture et marcher un peu plus. L'afflux de personnes que l'on retrouve chaque week-end à la forêt de Bouchaoui montre qu'il y a une prise de conscience, malheureusement peu encouragée par une disponibilité très limitée de lieux de détente et de pratique d'activité physique. La densité de constructions non accompagnées d'aires de jeux suffisantes n'est pas faite pour motiver les citoyens à se dépenser physiquement et favorise même, malheureusement, la violence et autres formes de délinquance. ▪ L'alimentation constitue l'un des soucis majeurs pour la santé. Il est, certes, difficile de réduire les fast-foods, pizzerias et autres sandwicheries, en raison de la relative indisponibilité des femmes pour la cuisine domestique (les femmes sont de plus en plus impliquées dans les activités professionnelles) mais le contrôle des produits soumis à consommation devrait être strict et régulier. La réduction de sel, sucre et matières grasses devrait être imposée pour tous les commerces de denrées préparées (restaurants, boulangeries, pâtisseries). Le contrôle devrait également être étendu aux vendeurs de poissons (souvent décongelés et exposés au soleil), de viande (conditions d'abattage et de conservation douteuses), de boissons sucrées (jus en sachet plastique, surtout durant le Ramadhan) et tout autre produit exposable au problème d'hygiène. La prévention des MNT relève avant tout d'une volonté des pouvoirs publics qui doivent motiver la population à la pratique d'une activité physique, en créant davantage d'espaces de jeux et en permettant l'ouverture des enceintes sportives pour des programmes de sport-santé. Pour l'alimentation, l'Etat doit reprendre ses contrôles quasi absents depuis quelques années. L'anarchie et l'inconscience qui dominent dans le commerce de denrées alimentaires et de restauration rapide mettent sérieusement en danger la santé des citoyens, dont la prise en charge médicale revient beaucoup plus cher que l'investissement en amont pour la prévention. Il en de même pour la pollution automobile qui devient de plus en plus inquiétante, les allergies, l'asthme et le cancer du poumon étant en progression constante. Les moyens financiers pour la prévention des MNT pourraient être prélevés sur des taxes spécifiques à imposer aux produits nocifs à la santé (boissons sucrées, tabac, véhicules polluants). Les citoyens ne réagiraient que positivement si ces moyens supplémentaires étaient de façon visible orientés sur la prévention de ces maladies mortelles et/ou invalidantes. La particularité de ces nouvelles pathologies dominantes est qu'elles ne peuvent pas, pour la majorité d'entre elles, être maîtrisées au plan préventif par des vaccinations ou autres produits pharmaceutiques, ce qui pourrait expliquer, hélas, le peu d'engouement des responsables politiques dans le monde de s'investir dans une démarche dont ne profiterait pas le lobby puissant des laboratoires. Ces derniers, qui ont plus intérêt à produire et vendre des médicaments, ne s'impliquent que timidement dans la prévention des MNT (contrairement aux maladies transmissibles à travers les vaccins) à l'exception d'un dépistage plus accru, sur la base de chiffres référentiels revus à la baisse (HTA à 13/85 et diabète à 1,2 g/l) afin d'augmenter la surface des demandeurs de produits pharmaceutiques (hypotenseurs, hypoglycémiants, bandelettes de contrôle glycémique). Notre pays, qui ne dispose pas de gros moyens financiers pour faire face à l'expansion continue des maladies du modernisme, devrait accorder plus d'importance à la prévention qui coûte certainement moins cher et donne, certes à long terme mais de façon durable, des résultats plus probants. La mobilisation des différents acteurs (santé, commerce, jeunesse et sport, mosquée, secteur de la communication) est nécessaire et contribuerait à mener une politique de prévention efficace et rentable au plan humain (moins de souffrances) et matériel (réduction à terme du coût de santé). R. H. (*) Professeur de médecine du sport, ex-expert de l'OMS en sport-santé.