Le polar alg�rien c�l�bre cette ann�e ses 40 ans. Si le plus connu des romanciers de ce genre reste Yasmina Khadra, l�histoire du polar alg�rien a commenc� bien avant lui. En 1970, la Soci�t� nationale d��dition et de diffusion (Sned) � la maison d��dition nationale alg�rienne de l��poque � publie quatre romans d�espionnage de Youcef Khader : D�livrez la fidayia, Halte au plan terreur, Pas de Phantoms pour Tel-Aviv et La Vengeance passe par Ghaza. Deux autres volumes de la s�rie suivent en 1972 : Les Bourreaux meurent aussi� et Quand les Panth�res attaquent� 4. Une ann�e plus tard, en 1973, para�t le roman d�espionnage, D. contre-attaque de Abdelaziz Lamrani, suivi par Pi�ge � Tel-Aviv, en 1980 (1). A partir de l�ann�e 1973, d�autres �crivains viendront tester le genre. Il s�agit d�Assia � on ignore le nom �, Larbi Abahri et Zehira Houfani Berfas. Mais c�est surtout Djamel Dib qui se distinguera en 1986 par deux polars � succ�s : La R�surrection d�Antar et La Saga des djinns. Selon la chercheuse autrichienne en litt�rature, Beate Burtscher-Bechter, �dans l��volution du roman policier alg�rien, Djamel Dib doit �tre consid�r� comme l�auteur le plus important et le plus int�ressant depuis Youcef Khader�(2). Une autre exp�rience sera tent�e par Salim A�ssa qui publie entre 1987 et 1988 Mimouna et Ad�le s�emm�lent puis en 1989 Rabah Zeghouda publie, pour sa part, Double Djo pour une muette. Une derni�re entreprise sera initi�e par Mohamed Benayat en 1991 avec Fredy la rafale dont l�histoire se d�roule en 1961, au temps de l�Alg�rie coloniale. Des maquisards alg�riens chargeront Fredy la Rafale, un fran�ais, de tuer � Paris, Bouledogue, un policier fran�ais extr�mement cruel et injuste envers les Alg�riens en lutte pour l�ind�pendance de leur pays. Bien s�r, toutes ces premi�res exp�riences n�ont pas r�ussi � installer le polar en tant que genre confirm� dans la litt�rature alg�rienne en ce sens o� elles sont �ph�m�res et discontinues. Et c�est sans doute la raison pour laquelle les personnages de ces polars ont eu du mal � survivre dans l�imaginaire du lecteur alg�rien. Celui-ci se souvient davantage de l�inspecteur Tahar et de son apprenti � s�rie t�l�vis�e des ann�es 1970 � que de SM 15 de Youcef Khader et des inspecteurs Sid Goumani de Rabah Zeghouda, Antar de Djamel Dib ou Adel de Salim A�ssa. SM 15, premier enqu�teur Le peu d�ancrage qu�a connu le polar en Alg�rie dans les ann�es 1970 et au d�but des ann�es 1980 s�explique par la r�alit� sociologique du pays. Rachid Boudjedra, interview� en 1987 par le journal Horizons, fournit une excellente explication. (Extrait de l�entretien) : � - Horizons: Comment expliquez-vous l�absence de cette tradition [celle du roman policier] chez nous ? - Rachid Boudjedra : tout simplement parce qu�il n�y a pas du tout de tradition du crime chez nous. La soci�t� alg�rienne est une soci�t� rurale. Cela fait � peine 15 ans qu�elle commence � s�urbaniser. Dans cette soci�t� rurale, le crime paysan existe, mais il n�y a presque jamais d�enqu�te, car ce crime-l� est toujours camoufl�. Ou alors, c�est un crime en plein jour cons�cutif � une vengeance, � une sorte de vendetta. Le silence du village l�gif�re sur la justesse d�un tel acte�. (3) Les probl�mes li�s � l�urbanit� n�ont commenc�, en effet, � appara�tre qu�au milieu des ann�es 1980 et particuli�rement apr�s 1986, ann�e du second choc p�trolier et la baisse des recettes en Alg�rie. La soci�t� �tant livr�e � elle-m�me les trafics et les crimes ne tarderont pas � se multiplier avant de laisser carr�ment la place au terrorisme arm� dont les origines sont multiples : id�ologiques, �conomiques et sociales. Partant de ce contexte nouveau, l�histoire v�hicul�e par le polar pouvait avoir un sens plus concret et c�est � ce moment pr�cis qu�arrive celui qui donnera une meilleure assise au genre alg�rien : Yasmina Khadra. Yasmina Khadra publie son premier polar en 1990. Intitul� Le dingue au bistouri, celui-ci para�t sous la signature du Commissaire Llob, personnage central du roman et de tous les polars de Khadra. A ce moment-l� Yasmina Khadra n��tait pas encore connu comme personnalit� publique. Il �tait militaire de fonction au sein de l�arm�e alg�rienne. Ce premier polar sera suivi, en 1993, de La foire des enfoir�s puis, � un rythme discontinu, de Morituri en 1997, L�automne des chim�res et Double blanc en 1998 et de La part du morten 2004. �En regard des autres romans policiers alg�riens, les romans de Yasmina Khadra n�innovent que tr�s peu en ce qui concerne la forme, mais ceux-ci convainquent par leur structure rigoureuse, leur action compacte, leur tension ininterrompue et leur unit� s�rielle. De plus, l�auteur r�ussit � donner de nouvelles impulsions au genre en Alg�rie, impulsions qui r�sultent surtout des remarques courtes mais frappantes, des dialogues humoristiques et agressifs, des constatations inattendues et directes du protagoniste des romans, le Commissaire Llob, mais aussi de l�utilisation de l�ironie et de l�humour comme de la critique de la vie sociale et du syst�me politique�. (4) Le commissaire Llob suit l�affaire : les polars de Yasmina Khadra ont la forme de toile d�araign�e sur laquelle la r�alit� alg�rienne profonde vient �chouer. Car il y a quelque chose qui va au-del� de l�histoire polici�re racont�e et jamais aucune �uvre du m�me genre n�a su rendre compte de la r�alit� alg�rienne. A chaque fois le commissaire Llob est appel� � d�nouer les intrigues. Et globalement toutes les histoires des polars de Khadra se passent � Alger, la capitale, pour s��tendre parfois � l�arri�re-pays. Alger symbolise, en fait, le centre du pouvoir politique et �conomique et offre, par ailleurs, le meilleur cadre pour la probl�matique urbaine. Du reste, �Y. Khadra respecte l�un des crit�res du genre : la s�rie. Comme San Antonio et d�autres romanciers du polar, c�est la continuit� au niveau du style, de la structure, du lieu de l�action (Alger), des personnages r�currents (Llob, Lino, Le dirlo, la secr�taire�). � (5) En 2008, les Editions Gallimard ont publi� en un seul volume, Le quatuor alg�rien, les quatre derniers polars de Yasmina Khadra : La part du mort, Morituri, Double blanc et L�automne des chim�res. Ce recueil ne comprend pas les premiers polars de l��crivain : Le dingue au bistouri et La foire des enfoir�s� Une autre remarque s�applique � l�auteur lui-m�me. Yasmina Khadra a invent� le personnage du commissaire Llob dans Le dingue au bistouri et trouve la mort dans L�automne des chim�res, son quatri�me polar. Or, l��crivain ressuscitera son personnage f�tiche dans Double blanc, paru juste apr�s� De notre point de vue ceci s�explique par le fait qu�� partir de 1997, Yasmina Khadra a commenc� � publier en France et le succ�s de ses polars Morituri et L�automne des chim�res a entra�n� une demande d�une suite de la part des lecteurs fran�ais et c�est pour cette raison �probablement � que Khadra a re-convoqu� Llob pour d�autres enqu�tes. Ceci �tant dit, il y a lieu de dire que cette scissure dans la s�rie Llob a d�rout� le lecteur ayant lu les premiers polars de Khadra, en l�occurrence le lecteur alg�rien. Du c�t� de l��crivain, le retour inattendu de Llob a une explication plut�t affective. Dans la pr�face du Quatuor alg�rien Khadra �crit : �Lorsque, en 2001, j��tais pass� de l��crivain �encens� au �scribouillard sulfureux �, lorsque mon t�l�phone avait cess� de sonner, lorsque tous mes amis s��taient d�rob�s devant les �anath�mes et les sortil�ges� qui me ciblaient, lorsque les fossoyeurs s��taient appr�t�s � jeter de la terre sur mes r�ves d�enfant, Brahim Llob me rejoignit sans une seconde d�h�sitation, d�termin� � vendre cher notre peau. Il fut tout simplement admirable de patience et de pr�sence d�esprit. C�est lui qui m�a appris cette autre v�rit� : pour triompher des mauvaises passes, il est imp�ratif de rester soi-m�me, le v�ritable port d�attache d�un homme �tant le respect de soi. Sacr� poulet !� (6). On le voit bien, le retour du commissaire Llob est une n�cessit� pour Yasmina Khadra. Mais il l�est aussi pour le polar alg�rien en tant que genre aujourd�hui adulte. Aux c�t�s des commissaires et inspecteurs de polars qui l�ont pr�c�d�, le commissaire Llob a d�montr� qu�on ne peut pas s�en passer comme �a d�enqu�teurs int�gres pour qui la justice et le souci de v�rit� priment sur tout. Surtout pas aujourd�hui que des renforts arrivent. Les jeunes �crivains-journalistes alg�riens Yassir Benmiloud, dit Y. B., et Adl�ne Meddi lancent � la rescousse de Lob leurs propres d�tectives : Le commissaire Krim (2008) pour le premier et Djo, dans La pri�re du mort (2010), pour le second. Par leurs initiatives, ils viennent de marquer noblement le quaranti�me anniversaire du polar alg�rien ! Hakim Amara (1) Beate Burtscher-Bechter, Naissance et enracinement du roman policier en Alg�rie, in Alg�rie Litt�rature Action. (2) Op ; cit. (3) Claudia Canu, �Le roman policier en Alg�rie: le cas de Yasmina Khadra� in Francofon�a, n� 16, 2007, Espagne. (4) Beate Burtscher-Bechter, Naissance et enracinement du roman policier en Alg�rie, in Alg�rie Litt�rature Action. (5) Mohamed Boudjaja, �La pratique intertextuelle dans le polar de Yasmina Khadra�, in Seynergies Alg�rie, n� 04, 2009. (6) Yasmina Khadra, Le quatuor alg�rien, Editions Gallimard, 2008.