Les cas récurrents de censure et le péril que celle-ci fait planer sur la liberté de création ont fait réagir une quinzaine de cinéastes qui dénoncent dans une déclaration commune cette volonté de museler la production cinématographique dans le pays. Seize acteurs culturels, notamment du domaine du cinéma, ont signé une déclaration dénonçant la quasi-systématisation de la censure et les pressions exercées sur les créateurs algériens. Citant notamment les interdictions qui ont frappé le documentaire Vote off de Fayçal Hammoum en 2016 et Fragments de rêves de Bahia El Feggoun en 2018 aux Rencontres cinématographiques de Béjaïa, le refus du visa d'exploitation au film Contrepouvoirs de Malek Bensmaïl en 2015 ainsi que les pressions sur «Larbi Ben M'hidi» de Bachir Derraïs, les signataires expriment leurs vives inquiétudes quant aux atteintes répétées à la liberté de création et au droit fondamental du public algérien à accéder aux différentes tendances du cinéma national. Cette situation «nous rappelle la précarité de notre profession et les étroites limites fixées à la liberté de création et d'expression dans notre pays, ainsi que son corollaire, la privation du public algérien d'œuvres l'interpellant, lui redonnant son image, l'image de sa société, de son passé et de son présent avec des regards critiques et diversifiés, alimentant et faisant asseoir la réflexion et le débat démocratique et contradictoire dans notre pays», soulignent les premiers signataires de cette déclaration. Abdelkrim Bahloul (Voyage à Alger), Rachid Benhadj (Le pain nu), Malek Bensmaïl (Contre-pouvoirs), Belkacem Hadjadj (Fadhma N'Soumer), Yacine Bouaziz (producteur), Bahia Benchikh El Feggoun (Fragments de rêves), Jaber Debzi (producteur), Lotfi Bouchouchi (Le puits), Karim Moussaoui (En attendant les hirondelles), Okacha Touita (Morituri), Chérif Aggoun (L'héroïne), Fayçal Hammoum (Voteoff), Lyès Salem (L'Oranais), Hachemi Zertal (producteur), Hassen Ferhani (Dans ma tête un rond-point), Sid-Ahmed Semiane (journaliste et écrivain) mettent en garde les dirigeants politiques qui ordonnent ou valident cette censure contre une désertion massive du public qui ira chercher «sa vérité ailleurs» tant la production culturelle aura été décrédibilisée. Et de s'interroger : «Quel est le sens et l'efficacité de cette censure quand tout est relayé, amplifié et compensé par les réseaux sociaux ?». La déclaration met également en cause l'absence de volonté politique pour réconcilier les Algériens avec leur cinéma à travers la formation, l'ouverture des salles et l'introduction de cet art à l'école. Les signataires prennent enfin à témoin l'opinion publique quant à leur «engagement pour la défense du cinéma algérien et réitérons notre attachement indéfectible au principe de la liberté de création et d'expression et en dénonçons fermement les récentes atteintes». Contacté, le cinéaste Malek Bensmaïl nous explique que cette déclaration sera ouverte à tous ceux désirant se joindre à l'appel et annonce qu'une conférence de presse est prévue prochainement à Alger pour aborder la question de la censure mais aussi pour élaborer une réflexion commune sur une réforme fondamentale du système qui régit actuellement la production cinématographique. «Il s'agit de revoir ce système de commissions totalement opaques dont on ne connaît ni les membres ni les critères ni les procédures mais aussi les lois et amendements liberticides sur le cinéma. Il faut en finir avec l'opacité». A titre d'exemple, il cite le visa d'exploitation dont son avant-dernier documentaire Contre-pouvoirs est privé depuis sa sortie en 2015 : «Le ministère n'a jamais répondu à ma demande, ni par oui ni par non. Ainsi, quand on évoque la censure, il rétorque qu'il n'y a aucun document certifiant son refus d'accorder le visa d'exploitation». Or, en plus de cette mesure, le ministère de la Culture a institué depuis Khalida Toumi le visa culturel, ciblant spécialement les festivals qui doivent ainsi demander l'autorisation à la tutelle pour la projection des films sélectionnés : «ce visa n'existe nulle part dans le monde, sauf en Corée du Nord ou en Arabie Saoudite peut-être », assène Bensmaïl. Et d'expliquer : «Les festivals, les ciné-clubs et les cinémathèques ont le droit de projeter n'importe quel film, fut-il le plus subversif, le plus tabou. Même au temps de Boumediène, des textes ont été promulgués pour protéger la liberté totale dans le choix des films et les débats au sein de la Cinémathèque algérienne». Et de conclure : «Même La bataille d'Alger a obtenu son visa d'exploitation en France en 1967. Ce sont les alertes à la bombe et les menaces des partisans de l'Algérie française qui ont contraint les directeurs de salles à l'autocensure.» Sarah H.