Le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Louh, surprend, à partir d'Oran où il était en visite lundi dernier, par une sortie pour le moins énigmatique. D'abord par l'animation d'un meeting «avec la société civile», privilège réservé depuis des années à Bouteflika, ses Premiers ministres et, depuis peu, au ministre de l'Intérieur. Ensuite, par ses attaques frontales contre Ahmed Ouyahia, le Premier ministre qui dirige l'actuel gouvernement où siège Tayeb Louh ! Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - «Dans la dernière loi de finances, des taxes allaient être imposées au simple citoyen sur les documents biométriques. Quand elles sont arrivées au niveau du Conseil des ministres, qui les a annulées ? Le Président Bouteflika, bien sûr», dira Tayeb Louh à Oran, accablant, sans le citer nommément, le Premier ministre. La cible de Louh est d'autant plus facile à identifier que, durant ce même meeting à Oran, le ministre de la Justice n'a pas manqué d'évoquer une vieille affaire, celle des «cadres injustement incarcérés» sous Zeroual, et qui a toujours été attribuée à Ahmed Ouyahia, qui occupait, à l'époque, le poste de Premier ministre. «Il faut rappeler à tous les Algériens et Algériennes que, suivant les orientations du président de la République et conformément à son programme, (…) les abus dont ont été victimes dans les années quatre-vingt-dix les cadres de l'Etat, font partie du passé et ne peuvent en aucun se reproduire.» Certes, ce genre d'attaques, Ouyahia en a subi à plusieurs reprises par le passé. Notamment de la part de l'opposition mais aussi de partenaires politiques comme le FLN. La plus violente des charges étant, que l'on se rappelle, celle de Amar Saâdani en 2016. Mais cette fois, l'attaque vient d'un ministre en exercice d'un gouvernement dirigé par ce même Ouyahia qui, le jour même, accueillait le président du Conseil des ministres italien, c'est-à-dire un chef d'Etat, au nom de Abdelaziz Bouteflika ! Une attaque qui, par ailleurs, intervient dans une période de grande détente entre le RND que dirige Ouyahia et le FLN auquel appartient Tayeb Louh. Pour ceux qui connaissent Ouyahia, l'homme ne réagit jamais quand il est en position de faiblesse. Par contre, la réplique est immédiate et foudroyante, quand il est en position de force. Et cela a été le cas hier lorsque Ouyahia réagissait à travers un communiqué de son parti, le RND. Ce communiqué, certainement rédigé par le Premier ministre en personne, notera que «des voix s'en sont prises, encore une fois, au secrétaire général (du RND, Ndlr) Ahmed Ouyahia, en faisant allusion, encore une fois, au dossier (vide) des cadres emprisonnés dans les années 1990». Pour le RND, «nul n'ignore les intentions» des auteurs de ces «accusations sans fondement», précisant qu'à l'époque, Ouyahia n'était pas ministre de la Justice, mais Premier ministre. «Lorsque quelques cadres, ont été incarcérés dans le milieu des années 1990 (et leur nombre est de quelques dizaines et non des milliers) monsieur Ahmed Ouyahia n'était pas en charge du secteur de la justice. Donc l'accuser d'avoir emprisonné des cadres est une accusation infondée et calomnieuse et une atteinte aux juges indépendants et respectables.» Dans ce même communiqué, le RND tenait également à rappeler que Ahmed Ouyahia, qui avait été nommé à la tête du ministère de la Justice dans le premier gouvernement de Bouteflika avait pris deux mesures pour «renforcer l'indépendance de la justice et protéger les cadres de l'Etat». L'une consistant en une «instruction ministérielle adressée en 2000 à toutes les juridictions et qui a interdit toute interférence du ministère dans leur travail et qui a interdit à ces mêmes juridictions de demander une quelconque orientation dans l'exécution de leur mission». Quant à la deuxième mesure, elle consistait en un amendement du code de procédure pénale pour «empêcher toute poursuite contre des cadres dirigeants sans plainte officielle des instances responsables au niveau de l'entreprise concernée». A bien décortiquer la réplique de Ouyahia, on notera que, d'un côté, il s'est limité à répondre à des attaques concernant la période d'avant-Bouteflika. De même qu'il ne fait aucunement allusion au FLN. Il s'agit, donc, d'une polémique entre le Premier ministre et le ministre de la Justice qui, visiblement, a agi de son propre chef lorsqu'il s'en prenait à Ouyahia, lundi dernier à partir d'Oran. Car, il serait pour le moins inimaginable que Ouyahia réponde aussi rapidement et aussi fermement à une attaque qui serait commanditée à partir de la présidence. Reste que, au final, cet échange public entre le Premier ministre et un ministre de souveraineté, deux responsables directs dans l'organisation de la prochaine élection présidentielle, porte un sérieux coup à la cohésion de l'équipe gouvernementale. En tout cas, à la cohabitation des deux hommes au sein du même gouvernement. K. A.