La justice est en quête de vérité dans l'affaire dite El-Bouchi. Une quête ardue dans un monde fermé où les questions demeurent souvent plus nombreuses que les réponses. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Au tribunal de Sidi-M'hamed d'Alger, les apparitions de Kamel El-Bouchi, de son vrai nom Kamel Chikhi, ne font plus l'évènement. Même le dispositif mis en place aux alentours de la bâtisse se fait désormais plus léger qu'à l'habitude et attire, par conséquent, beaucoup moins le regard des curieux. Ici, tous sont habitués à la présence particulièrement renforcée des policiers et gendarmes lors de la comparution des «gros calibres». Le prévenu, amené mercredi matin, est au centre d'un gros scandale qui secoue le pays depuis l'été dernier. Aujourd'hui, il comparaît pour la troisième fois devant le juge d'instruction. Celui de la 9e chambre pénale en charge du dossier des 701 kg de cocaïne découverts dissimulés dans un container de viande congelée en provenance d'Espagne. La saisie a détruit en quelques heures l'empire d'El-Bouchi, bâti, l'accuse-t-on, grâce à un vaste réseau de corruption et de complicités dans des milieux stratégiques. La justice est chargée de faire la lumière sur tous ces points. Mais ce sera sans la coopération du prévenu «qui a nié en bloc toutes les accusations retenues contre lui», a-t-on appris de sources proches du dossier. Pour faire face au juge d'instruction, il s'est mis «dans la peau d'un homme à l'aise, sûr de lui», affirmant n'avoir aucun lien avec cette drogue. Il s'en est tenu à cette même position durant toutes les longues heures de son face-à-face avec le juge d'instruction. Une raison pour laquelle le magistrat, rompu à ce genre de situations, a questionné le prévenu durant plus de neuf heures. Entamée à 9h15, l'audition a pris fin vers 18h30. «Le dossier est très lourd, et surtout très compliqué», insistent nos sources. Pour se défendre, Kamel Chikhi se base sur un argumentaire. Il développe un discours basé sur l'inexistence de preuves palpables prouvant son implication directe dans la transaction de drogue. Son argument principal : «Le container transféré à Alger se trouve toujours sous la responsabilité du fournisseur avec lequel il n'y a eu aucune signature de documents. La marchandise, la viande congelée, a été commandée, payée par voie bancaire mais elle est restée entre les mains du fournisseur, le bateau a été amené à Alger avant même que soient signés les documents accusant réception et attestant donc que cette marchandise a bien été livrée à son acheteur.»Depuis son arrestation, El-Bouchi n'a eu de cesse de répéter la même phrase à tous les enquêteurs qui l'écoutent : «Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez rien, c'est le fournisseur qui se charge de louer le bateau et de charger la marchandise.» Il s'en tient aux mêmes faits durant toute la journée de mercredi. Le juge d'instruction l'écoute et consigne par écrit les déclarations qui se répètent. Aucune confrontation ne se déroule. Ses deux principaux coaccusés sont restés à la cellule d'El-Harrach qu'ils partagent tous les trois. Le prisonnier ne se trouve pas en isolation totale. Il est avec son frère et un de ses plus proches collaborateurs. Nul ne sait quand ils seront amenés au tribunal. Des sources judiciaires nous apprennent que plus d'une trentaine d'employés ont été, en revanche, entendus par le juge d'instruction au cours de ces derniers jours. Les questions auxquelles ils ont été soumis visaient à en savoir davantage sur les activités de leur patron. Savoir en particulier si ces derniers avaient à un moment «reçu des instructions bizarres ou reçu l'ordre de transporter des cartons, des marchandises douteuses vers des lieux inhabituels ou encore si des visites ou des mouvements suspects se déroulaient au sein de l'entreprise». Peu d'éléments circulent sur les éléments d'enquête recueillis, mais les employés ont tous été remis en liberté. On dit seulement que les informations demeurent rares et difficiles à obtenir. On sait également qu'aucune des personnes interrogées n'a fait l'objet d'une nouvelle convocation depuis. El-Bouchi pourrait, cependant, comparaître à nouveau dans les tout prochains jours. Jusqu'à jeudi, sa nouvelle audition n'avait pas été programmée par le tribunal d'Alger. La défense ne pourra être fixée que ce dimanche. La justice cherche à avancer. L'affaire de la cocaïne ne peut rester non résolue. Pour ce, la justice traite en parallèle le dossier «corruption et enrichissement illicite» de Kamel Chikhi. Au début de la semaine écoulée, il a dû répondre à plusieurs questions du juge d'instruction sur le sujet. Mais son audition n'a pas excédé les deux heures et demie. La défense est, quant à elle, dans l'attente d'une réponse à sa demande d'entendre Abdelghani El-Hamel. Ce dernier, nous dit-on, se trouvait en Espagne une semaine avant l'éclatement de l'affaire. Une affaire qui contient encore trop de zones d'ombre sur lesquelles s'interrogent bien des spécialistes en matière judiciaire. Parmi elles, le fait que le personnel du bateau à bord duquel se trouvait la marchandise n'ait pas encore été approché par les enquêteurs, ou encore «l'absence de documents espagnols expliquant la raison pour laquelle les scellés ont été changés avant que le bateau ne se mette en route vers Alger». A. C.