L'affaire des 701 kg de cocaïne, au centre de laquelle se trouve Kamel Chikhi, influant promoteur immobilier et un des principaux importateurs de viande en Algérie, connaît de nouveaux développements. Il y a quelques jours, le juge de la 9e chambre du pôle pénal spécialisé, qui siège au tribunal de Sidi M'hamed, a entendu Ameyar Hamel, fils de l'ex-patron de la police,Abdelghani Hamel. Convoqué en tant que témoin, il a été entendu par le magistrat instructeur sur son activité commerciale liée à son entrepôt sous douane avec chambres froides situé à Oran, où les cargaisons de viande importées du Brésil par Kamel Chikhi (dont celles où étaient dissimulés les 701 kg de cocaïne) étaient acheminées pour y être stockées, en attendant les formalités douanières. Il faut dire que depuis quelque temps, le juge d'instruction s'intéresse de très près aux activités des trois enfants de l'ex-Directeur général de la Sûreté nationale. Sur son instruction, une enquête est ouverte sur tous les biens, sociétés et participations financières de la fratrie désormais dans le viseur de la justice, apprend-on de sources judiciaires. Néanmoins, le juge reste muet, à ce jour, concernant la demande d'audition de Abdelghani Hamel, déposée par les avocats de Kamel Chikhi il y a plus de deux mois. Dans une déclaration à El Watan, faut-il le rappeler, ces derniers, à leur tête Me Saïd Younsi, ont jugé «très importants» les propos tenus par Abdelghani Hamel alors qu'il était toujours à la tête de la police. Il avait réagi à la mise sous mandat de dépôt de son chauffeur personnel, dans le cadre de cette affaire, mais aussi au fait que le nom de son fils ait été évoqué durant l'enquête préliminaire. Les avocats de chikhi N'y allant pas avec le dos de la cuillère, Hamel a parlé de «pressions» de «violation de procédure durant l'enquête préliminaire» avant de lâcher : «Celui qui veut enquêter sur la corruption doit être lui-même propre», et de terminer en menaçant de mettre à disposition de la justice des informations qu'il disait détenir sur cette affaire. Pour les avocats de Kamel Chikhi, «les propos tenus publiquement par l'ex-patron de la police devant les caméras de télévision sont très importants. Il a parlé de graves dépassements lors de l'enquête préliminaire et déclaré détenir des informations sur le dossier. Il est donc essentiel pour nous d'avoir plus de précisions. Raison pour laquelle nous avons estimé, dans l'intérêt de la vérité et en dehors de toute considération politico-politicienne, de demander au juge de l'entendre dans le cadre de l'instruction judiciaire. Notre confiance en le magistrat est très grande. Dans ce dossier, c'est la vérité qui compte et, pour y arriver, il faut utiliser tous les moyens. Nous sommes convaincus que l'ex-patron de la police détient une part de vérité qui pourrait aider la justice à élucider cette affaire. Je ne veux pas anticiper sur les événements. J'ai confiance en la justice. Mais pour donner plus de crédibilité à l'instruction, il est impératif que l'ex-patron de la police soit auditionné.» Déposée au mois de juillet dernier, la demande des avocats de Chikhi n'a toujours pas reçu de réponse. Le juge continue à mener ses investigations sur le volet lié à la corruption et les connexions qui ont permis à Kamel Chikhi d'ériger, en un temps record, un empire immobilier et surtout de devenir l'un des hommes les plus influents devant lequel aucun obstacle administratif ne peut se dresser. A l'exception des six mis en cause arrêtés dans le cadre de l'affaire la cocaïne – à savoir Kamel Chikhi, ses deux frères, un de ses associés, Nadjib Messaoud, et le directeur commercial de la société Dounia Meat, importatrice de viande, et un agent du port d'Oran, supposé directement impliqué dans le commerce et l'importation de la cocaïne – les autres prévenus, au nombre de 18, sont quant à eux poursuivis pour les délits, entre autres, de «trafic d'influence», «corruption», «abus de fonction» et «perception d'indus cadeaux» et ont vu les demandes de mise en libération refusées par la chambre d'accusation et leur détention prolongée de quatre autres mois, en attendant que l'instruction prenne fin. Trois groupes de prévenus ont été incarcérés. Le premier concerne le fils de Abdelmadjid Tebboune, ancien Premier ministre, le chauffeur personnel de Abdelghani Hamel, le fils d'un ancien wali de Relizane, l'ex-maire de Ben Aknoun et deux magistrats, l'ex-procureur de Boudouaou et son adjoint. Tous les mis en cause ont été placés sous mandat de dépôt, avant qu'un autre groupe de prévenus, composé essentiellement de cadres de l'administration du cadastre et de l'urbanisme, soit présenté devant le pôle judiciaire spécialisé pour avoir facilité à Kamel Chikhi toutes ses démarches administratives pour ériger un empire immobilier, en moins de cinq années, dans les quartiers les plus prisés de la capitale. Douze cadres de l'administration du cadastre et de l'urbanisme ont été piégés par les enregistrements vidéo des caméras de surveillance placées par Kamel Chikhi dans ses bureaux. Il s'agit des chefs des services de l'urbanisme de Kouba, Aïn Benian, Draria, Chéraga et Hydra ; des conservateurs fonciers de Hussein Dey et Bouzaréah ; de deux contrôleurs de la conservation foncière de Hussein Dey ; d'un fonctionnaire de la conservation foncière de Bouzaréah ainsi que d'un architecte de la direction de l'urbanisme d'Alger. Tous ont été placés sous mandat de dépôt. Pour l'instant, aucune réponse aux commissions rogatoires délivrées, entre autres, au Brésil et à l'Espagne, n'a été donnée pour ouvrir le dossier de l'affaire de la cocaïne proprement dite. Suspicions A ce jour, le mystère reste entier sur cette importante cargaison de drogue dure – trouvée dissimulée dans des cartons de viande, dans un des containers importés du Brésil – et qui a transité par l'Espagne, où ses scellés ont été ouverts dans des conditions suspicieuses. Kamel Chikhi continue de nier tout lien avec cette marchandise, alors que l'affaire a fait l'effet d'un séisme et suscité le limogeage des plus importants chefs des forces militaires, des généraux-majors, dont trois chefs de Région : Lahbib Chentouf de la 1re RM, Saïd Bey de la 2e RM et Abderrazak Cherif de la 4e RM, ainsi que le directeur central des finances et président des commissions des marchés au ministère de la Défense nationale, ainsi qu'un colonel, responsable régional (Oran) de la direction de la sécurité de l'armée, mais aussi le général-major Menad Nouba, patron de la Gendarmerie nationale. Tous ces responsables seraient impliqués de près ou de loin dans l'affaire Chikhi, soit par le biais de leurs enfants, qui fréquentaient les bureaux du magnat de l'immobilier, soit par les suspicions qui pèsent sur leur richesse «illicitement» acquise. Jusqu'à aujourd'hui, l'enquête judiciaire au niveau du tribunal militaire de Blida n'a pas livré ses secrets, mais déjà les banques ont été saisies par le juge d'instruction pour avoir toutes les informations sur les avoirs et les sociétés des mis en cause.