Par Mme Amhis Djoher Ouksel, enseignante, auteure et poétesse A travers cette contribution, je livre aux lecteurs une série de réflexions sur les problèmes qui nous tourmentent tous. Chaque thème effleuré mérite d'être approfondi. L'acte d'écriture constitue un acte de résistance : résister à la volonté d'effacement de la mémoire, d'une histoire millénaire ; admettre que la diversité linguistique est une richesse. Si l'on veut avancer, dialoguer sereinement et tenter de régler les problèmes fondamentaux qui freinent toute évolution, il faut remettre l'histoire sur les rails, régler rapidement la question linguistique, éviter les falsifications et ainsi empêcher de graves dérives. Ce qui me paraît essentiel, c'est la réconciliation Etat/peuple en changeant l'image au niveau de la représentation, afin de renforcer le sentiment d'appartenance à une terre, un pays. La fonction de l'Etat c'est d'assurer le bien-être du peuple et favoriser le vivre- ensemble. Est-ce une utopie de rêver à une Algérie vraiment libre et souveraine ? Les utopies, souvent, sont devenues des réalités. Tendre vers le bien, le beau, le juste, se battre pour des idées de liberté, se sacrifier pour un idéal, c'est là tout le sens de l'existence. Etat des lieux Avec le développement rapide de la technologie, on assiste à une affolante accélération du temps : les informations parviennent en direct et à profusion et ainsi spectateurs et auditeurs se retrouvent face à un monde qui bouge sans cesse et se révèle dans la diversité des cultures et des sociétés ainsi que des comportements. Malheureusement, cette diversité a parfois généré des rejets, du racisme et peut être source de haine, de turbulences, de dogmatisme, de division. Avec les changements spectaculaires historiques, révolution, décolonisation, intégrisme, nouvel ordre mondial, le citoyen est en perdition. Il n'arrive plus à être dans la sérénité et la stabilité. En proie à une angoisse existentielle. Toutes les périodes historiques violentes entraînent un véritable désarroi. Comment arriver à se situer ? Le passé est derrière lui et l'avenir incertain. Comment se définir dans ces turbulences chargées de haine et de violence ? A qui incombe la responsabilité ? Au nouvel ordre mondial ? A une conception erronée de la modernité ? Au dogme qui empêche une pensée rationnelle du juste milieu ? Tant de facteurs ont transformé les sociétés, les mentalités, les comportements. Plus que jamais, l'autocritique est nécessaire face aux changements spectaculaires de la planète. Chaque citoyen est en droit de revendiquer la paix, pour mieux vivre, mais que peut-il face aux extrémistes, aux enjeux qui le dépassent ? Regarder sans pouvoir rien faire ? Ce sentiment d'impuissance est préjudiciable à l'équilibre de tout un chacun. Et pourtant, il y a toujours possibilité de se manifester. Dénoncer inlassablement, bien sûr, partager la souffrance des «frères humains», apporter sa part d'humanité. L'image du monde actuel ne donne-t-elle pas raison à Nietzsche qui considère que «la seule culture qui est universelle est la barbarie» ? Le mal serait-il en nous ? La nature humaine est-elle porteuse de violence ? Comment alors atténuer cette violence destructrice ? Aller aux causes profondes ? Pourquoi à un moment ou à un autre, l'homme bascule-t-il dans la haine, l'extrémisme et agresse-t-il ses semblables sans état d'âme ? Ce qui est grave, depuis des années, c'est la banalisation de la mort. Ce qui est choquant, c'est que nous sommes en train de perdre notre humanité. Face au déferlement de la barbarie, à l'innommable, à l'insupportable, l'être humain se sent impuissant : impuissant, seul, ne pouvant infléchir le cours de l'histoire. Et pourtant, «l'homme doué de raison» devrait apporter sa contribution et créer des conditions favorables au vivre-ensemble : se reconnaître en l'autre, réduire les distances qui empêchent de reconnaître l'autre, son semblable, l'accepter avec sa différence, le comprendre, établir des rapports humains, vaincre les peurs sans fondement, se sentir tous dans «une communauté humaine», une communauté fraternelle. Le vrai changement peut venir de cette prise de conscience et ainsi promouvoir une culture de la paix. Aujourd'hui, le 16 mai 2018, on célèbre chez nous la journée internationale du vivre-ensemble, journée initiée par l'Algérie et adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU. Par sa position géostratégique, la Méditerranée a toujours été un lieu de brassages, de métissages, qui intègre l'autre avec la dignité qui lui est due. A maintes reprises, Mouloud Mammeri a précisé que le Maghreb a toujours eu cette faculté d'accueil qui a permis de cohabiter avec des personnes diverses. Il est vital de rétablir le lien familial, le lien social, face à la résurgence de la violence. A cet égard, le rôle de notre école est fondamental. En effet, ce qui me paraît primordial c'est l'éducation et l'instruction, les deux ne pouvant être dissociés : remettre notre pays sur les rails de l'Histoire authentique, faire connaître notre patrimoine qui est extrêmement riche ainsi que notre culture et surtout, surtout transmettre nos valeurs qui ont toujours fait la force de notre pays face aux multiples invasions, promouvoir le mouvement vers le progrès, vaincre l'immobilisme, telles sont les priorités. Pour avancer, il est nécessaire de créer de nouveaux repères. Certes, les traditions ont joué un rôle de stabilité et de protection face aux colonisateurs qui avaient intérêt à nous maintenir dans cet état de léthargie. Il est plus que temps, après cinquante ans d'indépendance, que l'Algérien lutte contre tous ceux qui empêchent les forces de progrès d'émerger. On ne peut pas rester hors de l'Histoire et il est impératif de se reconnaître en tant qu'Algérien et de s'ancrer dans son pays, géographiquement et historiquement. L'Algérie n'est-elle pas le socle fondateur sur lequel se sont sédimentées de nombreuses cultures et civilisations. Il est plus que jamais temps de réconcilier l'Algérien avec lui-même en se réappropriant le patrimoine de son pays, se reconnaître soi-même pour aller vers l'autre et établir des relations d'humanité. Les positions de repli sont dangereuses et néfastes autant que les idéologies de la supériorité. Être capable de les dépasser, c'est faire preuve d'une grande hauteur de vue, apte à appréhender les problèmes de notre temps avec un regard lucide et un esprit critique. Ne pas s'enfermer dans une idée, une pensée dogmatique car, comme dit Alain, un grand éducateur, «il n'y a rien de plus dangereux qu'une idée quand on n'a qu'une idée». Avant tout, l'ouverture de l'esprit par l'éveil de l'intelligence et le développement du sens de la fraternité, de l'humain. L'autre est ton semblable. Méditons ces mots de Frantz Fanon : «Si tu ne réclames pas l'homme qui est en face de toi, comment veux-tu que je suppose que tu réclames l'autre qui est en toi ?» Certes, le monde a terriblement changé. A mon époque, le temps avançait lentement, les parents transmettaient les valeurs. L'avenir n'était pas incertain ; un étudiant s'inscrivait dans la perspective d'un avenir où il aurait sa place ; il avait ses repères et n'était pas dans cette angoisse générée par un monde qui avance trop vite. Actuellement, il y a une fracture profonde entre les générations. Un chaînon a manqué dans la transmission de nos valeurs et de nos savoirs. Un fil a été rompu. Le conflit parents-enfants a changé de nature. Le fils qui s'oppose à son père s'affirme dans sa personnalité. Autant que le stade des conflits mère-fille, c'est un passage obligé pour le développement de l'adolescence, une étape. Or, ce qui a fondamentalement changé, ce sont les rapports culturels qui ont entraîné chez toute une jeunesse un profond désarroi, souvent source d'agressivité et de violence. Comment arriver à se situer stablement face à l'accélération du temps et aux changements rapides de toute une société ? Certes, les jeunes vont remodeler une nouvelle société, trouver d'autres repères nécessaires à leur équilibre, à la réalisation de leur devenir. En attendant, une réflexion s'impose pour redonner l'espoir à cette jeunesse : le suicide d'un jeune de 14 ans nous interpelle de façon dramatique. Une personne qui s'immole nous envoie des messages forts. Pourquoi ces situations extrêmes ? Les spécialistes — sociologues, psychiatres, psychologues, pédagogues — ont fort à faire car le chantier est immense du fait de la forte proportion de la jeunesse dans notre pays. En tant qu'éducatrice, pédagogue, j'ai toujours dénoncé et déploré qu'on ait livré l'école à des charlatans qui ont porté préjudice à notre jeunesse et hypothéqué l'avenir de notre pays, un pays riche de sa culture, de son histoire, d'hommes et de femmes qui ont transmis des valeurs grâce auxquelles, malgré les invasions multiples, il a gardé son âme. Il est temps de s'opposer fermement à tous ceux qui veulent le génocide de tout un peuple ; il est temps d'apporter un contre-discours et d'impulser le changement. L'Algérie doit trouver sa voie non pas en termes de conflits, d'opposition, de rejet, de violence mais à partir de ce qui nous appartient : se connaître soi-même en tant qu'Algérien, assurer son ancrage dans un espace historique, géographique et culturel. Il y a un travail énorme à faire au plan éducatif. Les Anciens ont pris conscience qu'il était temps d'agir pour cette jeunesse et ainsi rétablir la continuité historique. Il s'agira, notamment, de : lutter contre les falsifications historiques ; rechercher la vérité en ayant à l'esprit qu'il n'y a pas de vérité absolue ; ouvrir l'esprit au savoir, à la réflexion, à la critique par les lectures et les échanges ; œuvrer à réparer les dégâts commis par des pouvoirs dominants ; faire prendre conscience de l'aliénation ; rétablir l'équilibre entre le milieu familial, le milieu scolaire, le milieu social ; favoriser le dialogue qui ne doit pas être un moment d'affrontement. Les failles sont profondes et une nouvelle société est à construire. Un homme nouveau est à naître, qui ne soit ni individualiste ni communautariste, mais un homme en phase avec lui-même et en accord avec son environnement, un homme nouveau qui accepte la différence pour ne pas céder à l'intolérance. Plus que jamais, face à toutes les dérives, les détournements, une réflexion s'impose pour penser et construire une stratégie de paix : favoriser avant tout le dialogue dans le respect de chacun. La violence naît souvent de la méconnaissance de l'autre et de la tendance à s'installer en supérieur. Le dialogue libère la parole. La liberté d'expression est déjà une étape pour promouvoir le vivre-ensemble et faire progresser la réflexion. On ne peut pas aborder la question sous un seul aspect, à titre individuel : la famille, l'école, la société civile sont étroitement liés et tous les segments de la société sont concernés. Importance de la communication Dans nos sociétés, du fait de l'éducation reçue issue du système patriarcal, on communique peu : l'omniprésente du père par le silence, le regard, signes d'autorité – la mère réduite au silence – tout cela crée un climat d'enfermement où le dialogue devient impossible. Comment dépasser ce barrage qui confine chacun dans le repli et la frustration ? Comment briser le tabou et l'immobilisme dans lesquels se complaît l'Algérien ? Comment débloquer la parole sans l'affrontement ? Comment réduire le décalage entre l'autorité et les attentes de tout un chacun ? L'Algérie se relève difficilement de plusieurs siècles de violence et de déshumanisation. Des capacités de résistance ont été intégrées. La culture de la violence, produit de l'Histoire, a laissé des marques indélébiles. A l'indépendance, le pays était à reconstruire sur tous les plans. Il y avait des priorités et elles n'ont pas intégré la culture et la jeunesse, ce qui aurait favorisé un ancrage social dans une Algérie retrouvée, libre et souveraine, avec ses valeurs ancestrales, ses assises référentielles très solides. J'ai vécu pendant la colonisation la guerre d'indépendance et l'aboutissement qui nous a permis de nous retrouver chez nous, dans notre territoire et de nous réapproprier nos richesses. Après tant d'années de violence, toute une jeunesse s'est trouvée désemparée, «déracinée» et incapable de se situer. Cette situation a généré de l'angoisse et de la violence. Les jeunes ont été malheureusement embrigadés par de nouveaux gourous, se prétendant détenteurs de la vérité, qui ont trouvé un terrain favorable à la réalisation d'un projet obscurantiste, oblitérant l'avenir et les espérances d'une génération qui ne demandait qu'à participer à la construction du pays. Avec l'évolution de la société, d'autres problèmes ont surgi : une démographie non contrôlée, un enseignement idéologisé, une élite décimée ; en tout, un véritable marasme et l'absence de perspectives à long terme. Il a été facile, grâce à la manne pétrolière, de construire des ouvrages d'art, des centres culturels, des universités, des écoles, des hôpitaux, mais l'essentiel a échappé : celui de donner une âme à tous ces projets. A quoi sert un centre culturel lorsqu'il se retrouve pratiquement vide pour ne pas dire désaffecté ? Il aurait fallu promouvoir la formation et favoriser l'enrichissement culturel. Au lieu de quoi, le pays a été sous-développé, paupérisé, appauvri, livré à l'ignorance, source de frustrations et facteur de violence. Les raisons sont multiples et identifiées. Trop de distance entre le pouvoir et le peuple, entraînant un sentiment de mépris, de rejet. Le slogan «La révolution par le peuple et pour le peuple» a été vidé de son sens. L'Algérien en est arrivé à douter, à se démobiliser, à ne manifester aucun intérêt pour la vie politique.Le mal est profond et il faut repenser sérieusement les démarches à entreprendre. C'est urgent, c'est vital et très complexe. L'entreprise visera essentiellement à faire opérer à l'Algérien la prise de conscience qui lui permettra de se retrouver : - en rendant visible tout ce qui a été occulté ; - en luttant contre toutes les formes de falsifications : histoire, langue, culture, identité ; - en protégeant son pays des convoitises que suscitent ses richesses ; - en développant le sens patriotique. Les deux points les plus importants sont le problème identitaire et, par voie de conséquence, le problème linguistique. Le jeune Algérien doit être en accord avec son environnement naturel. Les formes insidieuses de domination hypothèquent l'avenir de notre pays et celui de nos enfants. Il incombe aux jeunes de s'impliquer, d'impulser le changement et d'œuvrer pour l'établissement d'un Etat de droit. N'est-ce pas Victor Hugo, poète, écrivain engagé qui a prononcé ces paroles : «Donnez la liberté et le reste suivra.» A l'école, l'enseignement doit échapper au prosélytisme et au dogmatisme. Il doit développer la réflexion, l'esprit critique, la pensée rationnelle. C'est pour cela qu'il est nécessaire de soutenir toutes les initiatives visant à ouvrir l'école à la réalité, en faire un instrument d'ouverture d'esprit et ainsi favoriser les forces de progrès. L'être humain a besoin de vivre en paix mais il subit malgré lui les retombées de tous les systèmes coercitifs : discriminations, racisme, exclusion, mépris de l'autre, déni, arbitraire. Des associations tentent d'apporter leur contribution, mais elles ne sont pas aidées, et le bénévolat a ses limites. Le parti unique empêche la libération de la pensée, le monolinguisme enferme et exclut le dialogue et bloque toute tentative de construire un avenir. La sérénité est nécessaire à l'échange, à la multiplicité des points de vue. Chacun dans son domaine se doit de participer à l'édification du pays, prêcher par l'exemple. Ne pas réprimer tout le temps, mais expliquer, expliquer constamment. Les partis politiques – comme l'explique Frantz Fanon dans Les damnés de la terre – ont abandonné le terrain pour des intérêts personnels et cette attitude est ressentie comme une trahison. Depuis 1962, je suis à l'écoute des discours. Pas de transparence, langue de bois. On n'avance pas, on est constamment dans l'explicatif, l'historique, les statistiques. Journalistes, écrivains, cinéastes, quelques intellectuels dénoncent courageusement, mais ils se heurtent à une attitude autistique. C'est le blocage et le déni du peuple, de toute une jeunesse réduite au désespoir et exposée parfois au suicide. Les médias ne donnent pas la visibilité nécessaire à tout ce qui est positif. La jeunesse a des potentialités énormes, mais on ne lui crée pas les conditions d'épanouissement et de créativité. Une énergie formidable est réduite à néant. La jeunesse est une richesse, mais la volonté politique capable de la mettre à profit fait défaut. Les solutions doivent venir de l'observation de la réalité, du terrain et, plus que jamais, de la lutte contre toutes les formes d'aliénation. La pluralité est aussi une richesse. Comme dit Mouloud Mammeri, «la culture ne se décrète pas». Être citoyen «Être citoyen, c'est vouloir maintenir un accord et une unité entre des gens différents» (Jean Jousselin). Ainsi, la citoyenneté n'est pas un donné, elle se construit par un effort, une réflexion, une volonté. Deux mots-clés dans cette définition : «accord et unité», mais il y a un élément essentiel à retenir : l'unité ne doit pas porter atteinte aux spécificités de chacun. L'école dispense du savoir, de la connaissance certes, mais sa mission importante est de préparer le vivre-ensemble par l'enseignement des valeurs qui font la cohérence de la société. Le civisme est avant tout relation entre les membres d'une communauté ; c'est dans l'expérience quotidienne que se construit la citoyenneté. La citoyenneté se vit à chaque instant, mais requiert constamment un effort qui va permettre à l'enfant de découvrir qu'il n'est pas seul, qu'il doit vivre en communauté et surtout s'y trouver une place. L'enfant et l'adolescent prennent conscience de leur intégration dans une communauté, une collectivité dont ils doivent accepter les règles si contraignantes soient-elles. Dans un monde en perpétuelle évolution, le citoyen doit trouver en lui une manière de réagir pour s'insérer dans la société et éviter d'être déphasé dans une réalité constamment en mouvement. En amont, l'éducateur a le devoir d'initier les enfants au vivre-ensemble et les préparer à la socialisation. L'observation des comportements sociaux, l'absence de codes, de règles, d'éthique, interpellent l'éducateur : la cohésion sociale est une exigence vitale d'où la nécessité d'inculquer la culture de la responsabilité, du respect de l'autre, que ce soit au sein de la famille, à l'école ou dans la société, d'aider à la prise de conscience pour permettre une adhésion et une adaptation dans la collectivité. Ce sont là des conditions nécessaires pour assurer la paix et le vivre-ensemble, dans une société où il est donné à chacun la possibilité de s'épanouir par l'échange, le dialogue, l'exercice du sens de la responsabilité et de la solidarité. Une gageure, peut-on rétorquer, mais rien n'est insurmontable s'il existe une volonté réelle et un engagement : vouloir participer à œuvrer pour la paix, la cohésion du groupe et tenir compte des changements. La mondialisation, les nouvelles idéologies ont porté atteinte à la cohésion des sociétés traditionnelles et ont été un facteur de dissensions et de division. Le paradoxe ? Comment concilier l'aspiration à la liberté et l'adhésion à un groupe ? En famille, à l'école, dans la société, dès le jeune âge, l'enfant apprendra qu'il n'est pas seul, qu'il fait partie d'un groupe avec ses codes, ses repères qui vont le structurer. Il apprendra le respect et prendra conscience que s'il veut s'intégrer dans un groupe, il doit en accepter les règles. C'est une nécessité qui prépare au vivre-ensemble : connaître les règles, les appliquer librement sans avoir l'impression de subir une contrainte. Dans toute éducation, les solutions extrêmes génèrent les mêmes conséquences, qu'il s'agisse de répression et de permissivité excessive. Le juste milieu est nécessaire à l'équilibre de soi et à l'acceptation de l'autre. En famille, l'enfant apprend le respect, la solidarité, le sens du partage, la valeur de l'effort, du travail. Il doit s'imprégner du principe selon lequel sa liberté s'arrête là où commence celle des autres. Cela exige de la volonté et un effort sur soi. C'est ainsi qu'il se prépare au civisme, à la citoyenneté. En famille, la vie harmonieuse n'est possible que si tout un chacun apprend le respect de l'autre dans le comportement quotidien. Le dialogue, les échanges, la vigilance des parents sont plus que souhaitables. Dans nos sociétés traditionnelles, la communication, qui fait souvent défaut, est source d'incompréhension, de frustrations. Dans le monde dit «moderne», il est fréquent que les parents négligent le dialogue. Bien plus, chacun vit dans sa bulle avec son portable, sa tablette, etc. Ainsi, insidieusement, le tissu familial se distend et la communication est réduite au minimum au détriment d'un contrôle, d'une attention aux attentes des enfants. Or, seul le dialogue peut rétablir cette dimension humaine qui, malheureusement, est en train de disparaître : être à l'écoute avant tout, favoriser et créer les conditions de l'échange, de la participation au groupe familial et ainsi éviter les dérives. On perd souvent de vue le fait que l'enfant est malléable et qu'il y a lieu de le préserver des influences diverses qui risquent de l'entraîner vers un mauvais chemin. Les moyens modernes, images, cinéma, radio, télévision, ordinateur ne sont pas responsables des conséquences de leur utilisation. C'est donc aux parents qu'il incombe de gérer le temps des loisirs, du travail, du sommeil et faire preuve d'autorité contre les abus. C'est le rôle des parents de guider, de conduire, pour éviter les embrigadements. Le danger vient de la mauvaise utilisation des objets techniques qui influencent, forgent auditeurs et spectateurs par la propagande, la manipulation ; et plus que jamais, les parents doivent jouer le rôle de garde-fous en faisant appel à l'intelligence de leurs enfants, en développant leur jugement personnel, leur esprit critique et surtout leur sens de la responsabilité. C'est une étape fondamentale qui sera renforcée par l'éducation scolaire et par la pratique quotidienne de bonnes habitudes. La famille est un microcosme qui favorise et initie l'enfant à l'intégration dans un groupe plus élargi et c'est avant tout aux parents d'inculquer les principes éducatifs permettant d'affronter la société. «L'avenir est dans la tolérance», selon Claude Lévi-Strauss S'il est un mot chargé d'ambiguïté, c'est bien le mot «tolérance». Dans les multiples définitions des dictionnaires, il y a des nuances. Mais il me semble que l'emploi de ce mot établit implicitement une hiérarchie au plan des valeurs et qu'il s'agit d'admettre la présence de l'autre. Le mot me semble inadéquat tant «la contamination sémantique est prégnante». Dans le dictionnaire du français contemporain, «tolérer quelqu'un», dans un premier sens, c'est l'admettre à contrecœur, le supporter, puis, dans un deuxième sens, «tolérance : respect de la liberté d'autrui, de ses manières de penser et de vivre et particulièrement de ses convictions religieuses». Selon Le Robert, «attitude qui consiste à admettre chez autrui une manière de penser ou d'agir différente de celle qu'on adopte soi-même ; fait de respecter la liberté d'autrui en matière d'opinions». Pourquoi est-ce l'autre qui me tolère ? Au nom de quoi s'octroie-t-il le droit de m'accepter ? J'existe avec ma différence et ne veux pas être perçu dans le regard de l'autre, de ses jugements, de sa conception des valeurs et à la limite, d'une distinction dans un rapport de supériorité. Certes, la tolérance implique la reconnaissance de la différence mais l'autre est mon semblable. Si l'autre ne vous ressemble pas, il est tout simplement avec ses valeurs, sa culture, sa façon de vivre, son comportement ; il s'agit non pas de juger mais avant tout de comprendre. Pendant longtemps, l'ethnocentrisme européen a cultivé sa supériorité et le mépris de l'autre. Combien de civilisations prestigieuses ont été détruites, faute d'humanité et de compréhension ! Combien de populations ont été décimées pour le culte du veau d'or ! Défaut de culture, défaut de connaissances, carence de sens humanitaire ont conduit à la disparition d'un immense patrimoine de l'humanité. Les sociétés évoluent, les pensées s'ouvrent, un autre regard est porté sur l'autre comme un autre soi-même. Grâce à la multiplicité des informations, grâce à la lecture, une meilleure compréhension de l'autre permet de changer le regard et le sens de l'humain s'affirme de plus en plus. A. D. O. (À suivre)