La harga un voyage à hauts risques C'est une aventure des plus étonnantes que nous racontent ces jeunes d'à peine vingt ans qui ont bravé la mort pour se rendre en Europe. Appréciez plutôt.... Nous les appellerons Mohamed et Farès. Ce sont deux Algériens rencontrés au niveau de la Gare Saint-Charles à Marseille (France). L'air perdu, même paniqué, ces deux jeunes d'une vingtaine d'années ont les yeux qui essayent de chercher un visage qui peut leur paraître familier. Avec un français des plus approximatifs, l'un d'eux s'approche de nous et lance avec une voix des plus stressées: «S'l vous pli Missieu, le wifi.» On comprend par la suite qu'il voulait qu'on l'aide à connecter son téléphone au réseau gratuit de la gare marseillaise. En lui répondant en arabe, son visage s'illumine d'un seul coup et ses yeux se remplissent de larmes. Il avoue de suite que lui et son ami étaient des «harraga», avant de vider son sac pour raconter leur périple qui n'est pas de tout repos. Leur cauchemar commence au début du mois de septembre, au niveau de ce qu'ils appellent ironiquement «l'aéroport Chetaïbi international» qui n'est autre que la plage de cette commune de la wilaya de Annaba (est de l'Algérie), d'où ont l'habitude d'amorcer les embarcations clandestines. «Chacun de nous a payé 120 000 dinars pour ce voyage de la mort. On était 25 dans une petite embarcation qui ne doit pas dépasser les 20 personnes. Nous on est d'El Harrach (banlieue est d'Alger), mais il y avait avec nous des jeunes venant de différentes wilayas», racontent-ils. «Au début, on était très enthousiastes. La mer était calme. Il y avait une ambiance bon enfant, on chantait, on se racontait nos vies...Mais plus le temps passait, plus l'angoisse gagnait chacun de nous», poursuivent-ils en ayant la chair de poule. Ces appréhensions se sont accentuées quand la mer a commencé à s'agiter. «D'un seul coup, alors qu'on ne savait pas où l'on était la mer commence à se déchaîner. Deux grosses vagues font chavirer l'embarcation mais on réussit à la maintenir à flot, malgré le fait que deux passagers se retrouvent à l'eau. On les aide vite à remonter, tout le monde est mouillé, il fait un froid de canard...», poursuivent- ils en assurant avoir vu la mort en face d'eux. Face à face avec la mort! Après quelques autres heures de terribles combats avec la mer, ils aperçoivent enfin l'horizon! «On commence alors à crier tous d'une seule voix et en s'enlaçant dans les bras: c'est la Sardaigne, c'est la Sardaigne», se remémorent t-ils. C'est à ce moment-là, qu'un choix doit être rapidement fait. «Soit on débarque discrètement sur les côtes vierges de cette île italienne au risque de se perdre soit on se fait volontairement arrêter par les gardes-côtes italiens», font-ils savoir en affirmant avoir choisi la seconde solution. «On se fait donc arrêter par les «Guardia Costiera». On dit qu'on est des réfugiés syriens. Sans trop de problèmes, ils nous emmènent dans un camp», soutiennent-ils. «Après une semaine de détention, ils nous donnent un laisser-passer pour le continent et l'on doit immédiatement quitter le territoire...Bien évidemment aucun de nous ne l'a quitté de son propre gré», rétorquent- ils. Avec ce laisser-passer en main, ils atterrissent à Rome où c'est le début d'une nouvelle aventure, chacun des «harraga» a une destination précise à rejoindre. Pour les deux «Harrachis» ça sera Valence, préfecture du département de la Drôme, en région Auvergne-Rhône-Alpes, où l'un d'eux a un oncle qui se propose de les héberger. De Rome à Marseille sans être...inquiétés Mais comment traverser les 1000 km qui séparent les deux villes sans se faire prendre par la police? «Mon oncle nous a dit de prendre des bus de petites distances, là où l'on ne contrôle pas les identités. On avance doucement, mais sûrement. C'est plus long, plus cher, mais on ne se fait pas choper», avoue l'un d'eux en précisant qu'il avait traversé Rome, Florence, Bologne, Nice, Cannes et Marseille. «On a passé la nuit dans un petit hôtel tenu par des Algériens qui ne demandent pas de papiers pour louer une chambre», attestent-ils. «On s'est également acheté à 15 euros une puce Internet-mobile illimité. Elle est déjà activés. Elle tient un mois, et on a besoin d'aucune pièce d'identité pour l'avoir», rapporte-t-il. «On s'était auparavant acheté deux billets de train pour le lendemain (le 30 septembre). Cela nous a coûté 37 euros, mais dans ces petits trains aucun contrôle d'identité n'est fait...», réplique-t-il avant de nous demander de les aider à trouver le quai du train qu'ils espéraient aller les emmener vers une vie meilleure...Ces «harraga» qui n'ont jamais quitté de leur vie leur petite banlieue algéroise montrent la recrudescence de ces voyages de la mort qui avaient pourtant connu une forte baisse ces dernières années. Ils montrent aussi la facilité déconcertante de se déplacer en territoire Schengen sans être inquiétés...Il faut souligner que cette rencontre fortuite avec ces deux «harraga» est intervenue la veille des attentats de Marseille de dimanche dernier, pratiquement au même endroit et à la même heure...