Pancartes en main ou cris de foule : d'un bout à l'autre du pays, les citoyens étalent leur opinion à travers des slogans qui trahissent l'évolution qualitative des formes de protestation algériennes. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les photos prises sur le vif par les reporters ou les images circulant en grande quantité sur le web sont loin de ressembler à celles qui nous étaient offertes durant les décennies précédentes. Pas de pneus enflammés, pas de barricades tenues par des jeunes aux yeux exorbités et surtout sortis d'on ne sait où, aucune marque d'appartenance politique ou idéologique, de peur lisible sur les visages. Les Algériens ont franchi un grand pas, et le bon. Un véritable saut qualitatif, indéniable, particulièrement décelable à travers les slogans enregistrés. Un mot d'ordre principal, hurlé du Nord au Sud, d'Est à l'Ouest : «Non au cinquième mandat», sans recours à l'insulte ni mots indécents. Le message est hautement politique et les manifestants tiennent à le respecter de manière stricte. Son expression se fait de différentes manières, littéralement rédigée dans les deux langues sur des affiches, en énorme 5 barré, une grande croix sur les cinq doigts écartés d'une main et surtout scandé. D'autres messages politiques très durs ont été entendus mais toujours exprimés sans dérapage verbal : «L'Algérie est une république, pas une royauté», «rendez-nous notre pays, vous avez tout pris», «Algérie libre et démocratique», «Liberté». Des noms de hauts responsables sont criés suivis de «dégage». Ce vendredi, plus qu'un autre jour, les Algériens ont également démontré le degré d'intérêt qu'ils portent à l'évolution de la situation en cours. Des réponses ont ainsi été apportées aux propos tenus cette semaine par le Premier ministre à l'Assemblée. En marge de la déclaration de politique générale du gouvernement, Ahmed Ouyahia a comparé les marches aux événements qui ont précédé le basculement de la Syrie. Les manifestants ont réagi en criant que la contestation algérienne s'achèvera «avec des roses». Les milliers de personnes sorties dans les rues ce vendredi se sont fait un point d'honneur d'éviter toute provocation ou toute confrontation avec les forces de l'ordre. A la place du 1er-Mai où des gaz lacrymogènes ont été tirés, la foule a immédiatement réagi en scandant «pacifique, pacifique». Des images historiques captées à ce moment montrent aussi des jeunes tapoter l'épaule de CRS ou carrément les enlacer en signe de fraternité ou de retrouvailles après une longue période d'adversité. Des scènes encore inimaginables il y a peu montrent qu'en certains endroits où devait régner une certaine tension, des jeunes ont pris l'initiative de dresser un cordon pour protéger les CRS de ceux qui pourraient être tentés par la contestation. «Khawa, khawa» (nous sommes tous frères) lançaient à ce moment des centaines de personnes. Face aux brigades anti-émeutes qui interdisaient le passage aux manifestants voulant faire jonction avec ceux qui défilaient au centre-ville, tous ont préféré contourner le cordon en criant «nidham», signifiant leur adhésion à l'ordre. Les chants patriotiques étaient également très présents, arrachant parfois des larmes d'émotion aux anciens, aux femmes présentes en grand nombre lors de ces mobilisations citoyennes. Loin des partis politiques, des organisations censées produire ces scènes auxquelles le monde assiste aujourd'hui, les Algériens ont choisi également d'isoler les casseurs et de lancer d'autres messages forts, silencieux ceux-là en entamant le nettoyage des zones où des dérapages ont eu lieu. A. C.