L'ampleur des manifestations qui se sont déroulées ce 8 mars a dépassé tous les pronostics établis ces derniers jours. Des milliers de personnes ont défilé hier à Alger mais aussi à travers toutes les grandes villes du pays en réponse à un appel lancé pour dire non au cinquième mandat et réclamer des changements de fond dans le système de fonctionnement du pays. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - La foule était immense, colorée, organisée et surtout pacifique. A la mi-journée déjà, des centaines de personnes avaient commencé à se rassembler dans les principales places de la capitale. Audin, Didouche-Mourad et la place du 1er-Mai étaient à ce moment déjà envahies par des manifestants qui n'ont pas attendu la fin de la prière hebdomadaire pour se mobiliser. Sur place, un dispositif de sécurité a été déployé pour empêcher notamment les marcheurs de se déplacer vers la grande artère menant à la présidence de la République. Les policiers veillent aussi à maintenir la circulation automobile fluide. Aucune tension ne règne. Pancartes à la main, des hommes, des femmes mais aussi beaucoup de jeunes scandent des slogans contre le cinquième mandat. Aujourd'hui, aucun cordon de sécurité destiné à empêcher l'accès au centre-ville n'a été dressé. La jonction entre différents groupes de manifestants s'effectue facilement. Les gens marchent, tout simplement, et tous vont en direction du centre de la capitale où se concentre la contestation depuis le début du déclenchement des évènements. Les femmes, très nombreuses, portent souvent une rose à la main. La tenue traditionnelle kabyle, mais aussi le haïek est très présent. Les couleurs nationales sont partout. Accrochées aux balcons, dans des écharpes que beaucoup portent au cou, elles teintent les chapeaux et casquettes qui recouvrent la tête des enfants amenés par leurs parents, se détachent sur des tee-shirts confectionnés pour la circonstance ou s'étalent avec grandeur sur les emblèmes que l'on brandit ou dont se sont drapées des centaines de personnes. Il est 13h30. Une déferlante humaine a envahi le centre de la capitale. Il en arrive aussi de partout. Des hauteurs d'Alger, El-Biar, de Bouzaréah, ils viennent aussi de Bab-el-Oued où des manifestations ont commencé en milieu de matinée, de Belouizdad, de la périphérie d'Alger, Bab Ezzouar, El- Harrach, Bachdjarrah. Ils passent devant les CRS en criant des mots d'ordre pacifiques. Ces derniers se contentent de monter la garde devant les institutions, établissements ou autres points sensibles. La foule est organisée. Elle se déplace parfois en carrés. Au-devant, ce sont surtout des femmes portant le drapeau national qui devancent. Des vendeurs de roses restent à la périphérie pour tenter d'écouler la précieuse fleur à 200 DA la pièce. Un large sourire sur le visage, certains hommes préfèrent distribuer des bonbons. Un autre carré, composé des supporters du MCA, focalise l'attention. Ils reprennent ces chants fustigeant le pouvoir qui ont ébranlé les stades tout au long des semaines précédentes. Les cris qui s'élèvent parmi les manifestants cessent bizarrement à ce moment. Photos, applaudissements, youyous. Djamila Bouhired, symbole de la résistance durant la guerre de Libération, marche aux côtés de plusieurs femmes qui l'accompagnent. Un homme d'un certain âge verse des larmes d'émotion. Des jeunes font des selfies. Respectueusement, la foule s'écarte pour la laisser passer. La prière du vendredi est terminée. Il y a plus de deux heures que les Algériens manifestent dans les rues de la capitale. Les slogans sont durs, sans appel. «Non au cinquième mandat», «20 ans ça suffit», «on ne règle pas le problème avec ceux qui l'ont créé», «Algérie libre et démocratique»… D'autres fois, ils sont exprimés avec humour : «Quatre plus un font zéro», «Peuple connecté, système déconnecté»… D'autres slogans encore plus durs sont lancés contre le Premier ministre. «Ouyahia dégage, le pays ne t'appartient pas», des mots que la bienséance interdit de reproduire ici sont systématiquement scandés. Il est un peu plus de 16h. Une marée humaine envahit la place Audin et Didouche-Mourad. D'importants groupes continuent à affluer. Sur une immense pancarte on peut lire : «Le pacifisme est notre force», «pas de référendum, le peuple a parlé»… Les slogans ont évolués, se sont affinés depuis le 22 février. L'intérêt porté à l'évolution de la situation est très perceptible. En réponse aux dernières déclarations de responsables étrangers, beaucoup de jeunes ont écrit en anglais : «Ce qui se passe ici doit rester ici», «Ne vous mêlez pas de nos affaires nous sommes assez grands pour nous en charger»… Le dispositif mis en place à l'entrée de l'autoroute menant vers l'aéroport laisse passer les groupes qui arrivent de la périphérie. Ils vont grossir la foule incroyable rassemblée au centre-ville. Les manifestants font du sur place. A chaque tentative d'aller plus loin, les CRS se montrent fermes. Un concert de klaxons s'élève à Alger. Vendredi 8 mars, une nouvelle page d'Histoire s'écrit en Algérie. A. C.