Pour le quatrième vendredi consécutif, les Algériens sont sortis par milliers à travers l'ensemble du territoire national pour dire non aux dernières propositions du pouvoir. Mais il n'y a pas que le caractère pacifique des manifestations qui force l'admiration du monde, les slogans sont attendus, décortiqués, expression profonde d'un mouvement pas comme les autres. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les mots ont un sens, et les Algériens mobilisés depuis près d'un mois pour réclamer une rupture avec le système en place depuis l'indépendance du pays l'ont bien compris. Loin des partis politiques, des organisations de masse censées encadrer ces formes de contestation, les citoyens expriment, depuis des semaines, leur opinion en puisant dans la terminologie populaire des expressions traduisant des positions hautement politiques. Et elles traduisent aussi et surtout la manière avec laquelle la société suit les développements en cours. Le niveau de conscience, l'intérêt étaient, une fois de plus, très perceptibles hier lors des manifestations qui ont drainé de grandes foules à travers l'ensemble du territoire national. Les citoyens sont sortis pour dire non aux dernières décisions de Abdelaziz Bouteflika, celles consistant à construire une deuxième république en passant par l'organisation d'une conférence nationale devant elle-même déboucher sur une nouvelle Constitution puis être suivie d'un référendum populaire. Ce à quoi les manifestants ont répondu ce vendredi en brandissant des pancartes réclamant le départ de «Bedoui et Lamamra», respectivement Premier ministre et vice-Premier ministre mis en place pour gérer la situation d'urgence dans laquelle se trouve le pays. Mais ni l'un ni l'autre ne semblent avoir convaincu. Mégaphone en main, des manifestants scandaient leur nom repris par la foule qui scandait «dégage». «Pas de réformes», «La Constitution n'est pas un cahier d'essai», «Pas de référendum, le peuple a parlé», pouvait-on également lire sur plusieurs affiches. Les réponses sont claires, sans appel. A Didouche-Mourad comme à la place Audin, des groupes de jeunes veillent à ce que l'expression écrite soit très présente dans ces manifestations. Pour ce faire, ils ont amené avec eux des rames de papier et des feutres qu'ils proposent gratuitement à ceux qui auraient de nouvelles idées. Beaucoup en profitent pour inscrire à la hâte les nouvelles idées qui viennent de germer. Assise sur des marches d'escalier, une jeune fille écrit : «Système out. Notre réponse : dégagez». Les slogans sont rédigés en fonction de l'évolution de l'actualité nationale et internationale. Les refus d'ingérence sont multiples et traduits de manière affinée. Vendredi dernier, les réactions aux propos des Américains («nous suivons de très près la situation en Algérie et nous continuerons à le faire», départements d'Etat) ont donné naissance à des slogans écrits en anglais pour dire globalement «occupez-vous de vos affaires nous avons vu ce que vous avez fait dans le monde». Hier, les manifestants ont réagi avec force aux commentaires maladroits d'Emmanuel Macron (voir encadré). Les slogans hostiles au cinquième mandat ne sont plus d'actualité. Pas plus que ceux en rapport avec les élections. L'heure était à la réponse aux réformes proposées, mais aussi à la détermination à poursuivre le mouvement de contestation. Des mots simples pour tout dire : «Si vous ne partez pas, nous ne bougerons pas aussi», parfois aussi des images, celles de martyrs de la Révolution pour rappeler que beaucoup de sang a coulé afin que l'Algérie connaisse un sort meilleur. Dans le lot, certains jeunes ont leur manière de traduire leur opinion, «Impossible de construire un nouveau navire avec du vieux bois». Au centre de l'affiche, les photos de Bedoui, Lamamra et Lakhdar Brahimi sont en médaillon. A. C.