«Le Président Bouteflika félicite son homologue grec», titrait hier El Moudjahid. C'est ce genre de titre qu'on ne verra plus après que Gaïd Salah a demandé officiellement l'application de l'article 102 de la Constitution. Pourquoi a-t-on attendu si longtemps pour demander son application ? Est-ce que parce que le clan présidentiel faisait de la résistance ? Est-ce parce que le président du Conseil constitutionnel et ami du Président ne voulait pas en faire la demande ? Est-ce «un coup d'Etat» comme l'affirment certains partis qui avaient pourtant réclamé l'application de l'article 102 ? En tout état de cause, l'article 102 est clair. Si l'état d'empêchement pour raisons médicales est déclaré, Abdelaziz Bouteflika n'ira pas au terme de son mandat qui expire le 28 avril. Il ne pourra pas passer le relais à son successeur selon les procédures établies. C'est un coup dur porté à un homme qui jurait de mourir sur son siège de chef d'Etat ainsi qu'au dernier carré des fidèles d'un Président qui a manœuvré jusqu'au bout pour que Bouteflika reste au-delà du 28 avril et garde la main sur le processus de sa propre succession. Toutefois, cette fin programmée d'Abdelaziz Bouteflika ne met pas fin à la crise. Le 22 février a ouvert une nouvelle séquence et rebattu les cartes. Les millions d'Algériens sortis dans la rue cinq vendredis de suite exigeaient, outre le départ du chef de l'Etat, un changement radical du système, une deuxième République, avec un personnel politique n'ayant aucune attache avec le régime précédent et avec cette opposition politique qui court derrière les jeunes depuis le 22 février. Une opposition, dont, visiblement, le compteur s'est arrêté à janvier 1992, puisqu'elle n'a rien trouvé de mieux que d'inscrire dans son agenda le retour de vieilles croûtes de l'ex-FIS. Et qui, à l'instar de ceux qui gouvernent, n'a pas compris que l'Algérie a changé, que cette jeunesse, qui s'est réappropriée la rue, et derrière laquelle elle court désespérément, est porteuse d'une image neuve du pays avec de vraies institutions démocratiques. Pour paraphraser l'écrivain Tahar Djaout, cette jeunesse, c'est «la famille qui avance» qui en a marre qu'on lui rebatte les oreilles avec des vieilleries dont elle n'a que faire. Abdelaziz Bouteflika, quant à lui, aurait pu sortir par la grande porte quand le prix du baril valait plus de 100 dollars et que les réserves de change frôlaient les 200 milliards de dollars et entamait des réformes nécessaires. Il a choisi de se maintenir. Et ce qui devait arriver est arrivé : une triste porte de sortie pour celui qui avait traité ses prédécesseurs de «Présidents stagiaires». Un dernier mot concernant ceux qui soutenaient contre l'évidence qu'Abdelaziz Bouteflika était en mesure de briguer un 5e mandat, qu'il avait un cerveau qui fonctionnait mieux que tous les Algériens réunis (Benyounès), ou qu'il pouvait même rester au pouvoir jusqu'en 2030 (Ould Abbès), c'est pour eux un revers amer. Revers aussi pour Ammar Saâdani, appelé à la rescousse pour blanchir le clan présidentiel et raconter aux Algériens qu'il existe un «Etat profond» (c'est quoi et qui ?) qui serait aux manettes et dont ferait partie Ahmed Ouyahia. Il ne le dit pas expressément mais le suggère quand il affirme que c'est le même Ouyahia qui avait le tampon et le paraphe présidentiel. Autrement dit, les messages de Bouteflika étaient rédigés et signés à son insu ! Question : pourquoi l'ancien chef du FLN a-t-il attendu aujourd'hui pour asséner ses vérités ? Quelques jours avant, les Algériens avaient eu droit au pavé de Seddik Chihab affirmant que l'Algérie était dirigée par des «forces extraconstitutionnelles » depuis au moins «cinq ans» ! le 28 octobre dernier, le même Chihab ne déclarait-il pas que «Bouteflika est l'homme idéal pour le parachèvement de tous les grands chantiers lancés dans tous les secteurs et domaines, la construction et la promotion de la démocratie…» ? Et le chef du FLN Moad Bouchareb, qui déclarait que «Dieu a envoyé Bouteflika en 1999 pour redresser l'Algérie et lui redonner ses lettres de noblesse et lui rendre sa dignité», que va-t-il dire aujourd'hui ? Eh bien, son parti comme le RND applaudissent l'appel de Gaïd Salah. Pour tous ces gens, y compris l'ancien Premier ministre qui agitait le spectre du chaos syrien, leur carrière prend fin avec celle du Président dont ils ont caché la gravité de l'état de santé aux Algériens. Il faudra qu'ils tirent rapidement les conclusions qui s'imposent. H. Z.