Vendredi 19 avril. Acte 9 de la mobilisation populaire nationale contre le système politique. Ceux qui ont tablé sur un essoufflement du mouvement et ceux qui ont manœuvré pour diviser le peuple algérien, plus que jamais uni, ont déchanté. Karim Aimeur - Alger (Le Soir) - A Alger, la manifestation est imposante. Baptisée le vendredi de la Victoire, la mobilisation était celle des grands vendredis avec des millions de manifestants dans les rues. Les groupes de citoyens venus réaffirmer leur détermination ont commencé à affluer vers la Grande-Poste vers 8h du matin. Au fil des heures, les places principales se remplissaient de monde. A 15h, l'heure de pointe, il était devenu pratiquement difficile de marcher : le centre d'Alger était noir de monde. Tous les boulevards et les petites ruelles étaient saturés par des manifestants qui rejettent tous les plans du pouvoir pour sortir de la crise. Le mot d'ordre général était «non» à la gestion de la transition par les figures du régime politique. Des scènes extraordinaires d'union et de fraternité ont été offertes par les Algériens, venus de nombreuses wilayas du pays, malgré les barrages filtrants de la Gendarmerie nationale. Alger bouillonnait de couleurs et d'espoirs en cette veille d'anniversaire du Printemps berbère de 1980 et du Printemps noir de 2001. Le drapeau amazigh a été fortement présent, épousant l'emblème national dans une symbiose que seuls les Algériens savent faire. Pour l'occasion, les slogans du Printemps noir durant lequel plus de 120 jeunes ont été tués, tels que «Ulac smah ulac» (pas de pardon), « pouvoir assassin » ont fusé dans les rues de la capitale. A côté de ces slogans, ceux qu'entonnent les foules depuis le 22 février sont maintenus. « Vous avez dévoré le pays, espèces de voleurs », « Vous allez tous dégager » ou encore « Nous sommes venus démanteler la bande » ont retenti sous le ciel gris d'Alger. Les images des foules pacifiques sont saisissantes. Extraordinaires. Inédites. Indescriptibles. Historiques. Le nouveau président du Conseil constitutionnel, Kamel Fenniche, qui a remplacé le démissionnaire Tayeb Belaïz, a été catégoriquement rejeté par les millions de manifestants. La conférence prévue pour lundi par le chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, à laquelle la classe politique et la société civile refusent de prendre part, est également rejetée par les manifestants. Les manifestants demandent l'application immédiate de l'article 7 de la Constitution, seul article qui vaut dans la loi fondamentale actuelle. Il s'oppose à l'application intégrale de l'article 102, expliquant qu'aucune Constitution n'est supérieure à celle du peuple. « Depuis le début du mouvement populaire, le peuple a élaboré sa Constitution. Son article 1 stipule que Yetnehaw gaâ. Le deuxième article stipule que Yethasbou gaâ », nous lance un manifestant au milieu d'une foule qui scande « Vous avez construit des prisons, vous allez tous y séjourner ». Le pouvoir va-t-il garder son entêtement et organiser cette conférence ? Le tunnel des Facultés bloqué Certains manifestants ont interpellé le chef d'état-major de l'armée, Ahmed Gaïd Salah, lui demandant de choisir son camp : le peuple ou la bande. « Entraver la volonté populaire est une trahison », lit-on sur une banderole déployée par les manifestants. Sur une autre, on pouvait lire : « Toute personne qui entre dans la maison de la bande à Bensalah est un traître .» La détermination populaire d'aller jusqu'au bout de son combat est inébranlable. Cette détermination est traduite sur des banderoles géantes accrochées sur les immeubles à Didouche-Mourad. Celle-ci est l'une des plus significatives : « Si vous voyez le bourreau persister dans son injustice, sachez que sa fin est proche. Si vous voyez la victime de l'injustice persister dans sa lutte, sachez que sa victoire est imminente .» Une fois n'est pas coutume, le tunnel des Facultés a été bloqué, hier, par la police, sans avancer de raison. Le vendredi passé, un drame a failli être provoqué à cause de l'utilisation des bombes lacrymogène par la police qui a tenté d'empêcher la marche. Hier, pour la première fois depuis le début de la contestation populaire, les deux côtés du tunnel ont été fermés par des fourgons de police et des cordons sécuritaires. Pour éviter tout affrontement, des dizaines de bénévoles, portant des t-shirts de couleur orange sur lesquels était inscrit « Silmya » ou « pacifique », se sont interposés entre les manifestants et les forces de l'ordre. Par ce pacifisme inédit, les Algériens forcent l'admiration du monde. En bouclant le tunnel des Facultés, la police a laissé la montée du boulevard Mohammed-V libre, alors que les vendredis passés, ce passage a toujours été fermé pour empêcher les manifestants de marcher vers El-Mouradia. A Alger-Centre, la manifestation s'est déroulée dans un caractère pacifique exemplaire. Après les millions de citoyens sortis hier dans les rues du pays, les figures du régime contestées vont-elles avoir un petit sens de responsabilité et d'honneur et répondre aux exigences de sa majesté le peuple ? K. A.