Depuis le début du mouvement populaire sans précédent contre le système politique, le drapeau amazigh flotte à côté de l'emblème national sans qu'aucune conscience soit heurtée. A part, peut-être, celles gravement accidentées. Karim Aimeur - Alger (Le Soir) - Chaque vendredi, des jeunes Algérois occupent les escaliers longeant le jardin de l'Horloge fleurie, rue Pasteur, tout près de la Grande-Poste. Depuis le début de la manifestation hebdomadaire jusqu'à sa fin, ces escaliers vibrent au rythme des chants patriotiques et des chants populaires hostiles au système politique. Vendredi 12 avril. Un groupe de manifestants venus de Kabylie, brandissant un drapeau amazigh géant, passe à côté de ces jeunes en furie contre le pouvoir. A l'arrivée du drapeau amazigh, les jeunes Algérois interrompent leur slogan et lancent : « Il n y a plus de racisme » à plusieurs reprises. Et aux jeunes Kabyles de les rejoindre et fêter ensemble la fin du racisme sous les cris saisissants « C'est fini le racisme ». Une scène émouvante. Elle a donné des frissons à ceux qui l'ont observée de près. Depuis le début du mouvement populaire sans précédent contre le système politique, le drapeau amazigh flotte à côté de l'emblème national sans qu'aucune conscience soit heurtée. A part, peut-être, celles gravement accidentées. Les tentatives de diviser et de s'attaquer à ce symbole de la lutte identitaire ont toutes échoué. La politique de diviser pour, et longtemps, régner n'est plus d'aucune utilité pour ceux qui l'ont pratiquée. Elle s'est brisée sur les digues érigées par le peuple plus que jamais uni contre un système qui a conduit le pays droit dans le mur. Le drapeau amazigh a flotté avec le drapeau national aux quatre coins du pays (Oran, Annaba, Mostaganem, El Oud…), offrant des images d'union et de fraternité inespérées, il y a tout juste deux mois. Une image à constitutionnaliser Mais que signifie ce mariage entre les deux drapeaux ? La fin de l'ostracisme et du déni qui a frappé la cause identitaire ? Saïd Sadi a estimé que cela « préfigure la nouvelle Nation plurielle et solidaire » surtout que « les mots d'ordre d'Algérie libre et démocratique sont scandés dans des foules colorées, tolérantes et conviviales » dans tout le pays. Pour Mustapha Hadni, coordinateur du Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD), les manifestations populaires de ces dernières semaines ont montré le respect de la pluralité culturelle la plus aboutie et du patrimoine millénaire du pays par son peuple. « Le mouvement du 22 février a ouvert un nouveau chapitre dans l'Histoire du pays en exprimant une ferme volonté de la réécrire. Notre jeunesse a démontré qu'elle éprouve le besoin de la relire et de revisiter la grande épopée de la guerre de Libération nationale pour mettre fin au mensonge et rectifier les vérités mutilées », a-t-il indiqué. « L'Algérie se revendique aussi bien de Jugurtha, de saint Augustin et d'Apulée de Madaure et c'est en s'abreuvant à toutes ces sources sans exclusive qu'elle chassera les démons de la division et avancera d'un pas sûr vers un avenir meilleur », soutient M. Hadni dans une déclaration au Soir d'Algérie. Pour sa part, le détenu du Printemps berbère de 1980 et militant de la cause, Mouloud Lounaouci, contacté par nos soins, soutient que cela doit devenir une tradition et figurer dans la prochaine Constitution. « L'emblème national actuel est le symbole de la libération du pays à laquelle nous avons tant donné, le drapeau amazigh est celui de notre profondeur historique, de notre réelle identité mais aussi celui de l'unité nord-africaine. Un jour ou l'autre viendra la construction d'un Etat supranational: les états-unis nord-africains », a-t-il assuré. De son côté, Abderrazak Dourari, professeur de linguistique, soutient que la présence des deux drapeaux ensemble marque « un éveil de la Nation algérienne sur ses origines anthropologiques et ses origines historiques ». « Il n'y a absolument aucune contradiction entre les deux drapeaux étant donné que la Nation algérienne est amazighe comme exactement la Nation marocaine l'est en termes d'Histoire », a-t-il affirmé. Sollicité par nos soins, le professeur Dourari a expliqué que « sur le plan de la socio-sémiotique (sémiotique est l'étude des signes et de leur signification, ndlr), il y a une très grande évolution du concept de l'algérianité ». « Un concept qui est fondé, non pas sur une mythologie telle qu'elle était défendue dans le discours nationaliste du FLN qui prônait l'unité de la nation arabe qui est une création mythologique ou le discours islamiste, du FIS plus particulièrement, qui développait un discours sur l'unité de la Ouma islamique. Au contraire de ces deux discours qui ont dominé la scène intellectuelle et politique du pays depuis pratiquement le début de l'indépendance jusqu'à la fin des années 1990, l'algérianité a émergé comme un socle véritable de l'unité de la Nation algérienne et que la Nation algérienne est fondée sur le socle amazigh », a-t-il détaillé. Ainsi, tout le monde s'accorde à dire que le mouvement du 22 février ferme une page de l'Histoire pour en ouvrir une autre. Plus prometteuse. K. A.