L'ancien chef de gouvernement et président du parti Talaie El Hourriet, Ali Benflis, a décliné l'invitation que lui avait adressée, mercredi dernier, le chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, dans le cadre des « consultations autour de l'instance chargée de la préparation et de l'organisation des élections ». Dans une lettre adressée à Bensalah, hier samedi, Benflis écrit que « ces consultations sont inopportunes, hors du sujet de l'heure et contre-productives ». Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Une lettre cinglante et sans concession de Ali Benflis qui, dès l'entame, annonce la couleur. Il y est précisé, en effet, que cette missive est adressée à « l'attention de monsieur Abdelkader Bensalah, présidence de la République, Alger ». Sciemment, Benflis ne donne, ainsi, aucune qualité à son interlocuteur, se contentant du nom et de son adresse, la présidence de la République ! Ceci pour la forme. S'agissant du fond, et après les formules de bienséance, Benflis interpellera Bensalah en ces termes : « Je vous avoue, bien volontiers, qu'à la lecture minutieuse et attentive de la lettre d'invitation, j'ai pris toute la mesure de la profondeur du fossé qui sépare la gouvernance politique actuelle du pays, du peuple algérien dans son ensemble .» Il s'explique : « Pourtant, la révolution démocratique pacifique en marche dans notre pays n'a manqué ni de clarté ni de force dans l'expression de ses attentes et de ses aspirations. Et de fait, poursuit Ali Benflis, les revendications légitimes du peuple algérien sont parfaitement lisibles, audibles et visibles pour qui veut bien lire, voir, entendre et écouter .» Pour Ali Benflis, qui a mené une opposition ferme et constante au régime Bouteflika depuis 2003, il y a « aujourd'hui, une immense divergence entre cette gouvernance politique et la révolution démocratique pacifique qui suit son cours inexorable dans notre pays ». Une divergence qu'il dit se manifester à trois titres. Il notera , d'abord, que « (…) La démission de l'inspirateur et l'architecte de ce régime politique (Bouteflika, ndlr) ne peut, d'aucune façon, s'assimiler à une fin du régime politique lui-même. Bien au contraire, ce régime politique perdure avec ses figures emblématiques qui restent aux commandes des principales institutions constitutionnelles, en l'occurrence la présidence de l'Etat, l'Assemblée populaire nationale et le gouvernement ». Or, estimera encore l'ancien chef de gouvernement, « la révolution démocratique pacifique ne s'est pas mise en marche pour le départ d'un homme (Bouteflika, ndlr) qui a porté au plus haut point le culte de l'homme providentiel et le pouvoir à vie. Elle s'est mise en marche aussi pour le départ immédiat de tous ceux qui partagent avec lui une lourde responsabilité dans le véritable désastre national dont le pays hérite aujourd'hui politiquement, économiquement et socialement ». En second lieu, Ali Benflis considère, toujours en s'adressant à Bensalah, que « le pays est dans une impasse politique ». Une impasse qu'incarne Bensalah, Bedoui et Moad Bouchareb. « Dans un élan qui n'a pas fléchi jusqu'à ce jour et dans une unanimité remarquable par sa solidité et par sa constance, le peuple algérien réclame que la présidence de l'Etat, la présidence de l'Assemblée populaire nationale et le gouvernement soient confiés à des mains en lesquelles il puisse placer sa confiance, qui jouissent d'une crédibilité auprès de lui, qui soient en mesure de porter ses revendications légitimes et de s'employer à les satisfaire.» Mieux, Benflis estime que le départ de ces figures emblématiques du régime est plus « qu'une revendication ordinaire, mais une exigence dont la satisfaction aiderait à sortir le pays de l'impasse politique actuelle, à introduire de l'apaisement et de la sérénité dans les cœurs et dans les esprits et à fournir un déclic au règlement de la grave crise actuelle ». Par conséquent, Benflis considère que, « de toute évidence, l'heure n'est pas aux consultations sur l'instance de préparation et d'organisation des élections. Cette heure viendra dans le cadre d'un règlement global de la grave crise actuelle ». Aussi, « la création de cette instance ne fera pas avancer la recherche d'un tel règlement d'un iota. Elle substitue l'accessoire à l'essentiel. Bien plus, il est tout à fait légitime qu'elle soit perçue comme une diversion et une manœuvre dilatoire ». Les consultations lancées par Abdelkader Bensalah sont donc rejetées, dans le fond et dans la forme, par Ali Benflis qui estime que, d'abord, elles sont inopportunes « car elles ne manqueront pas d'être perçues par notre peuple comme une provocation ». Ensuite, hors du sujet de l'heure, « car le vrai problème posé par le peuple algérien est ailleurs, c'est-à-dire à la présidence de l'Etat, la présidence de l'Assemblée populaire nationale et au gouvernement ». Enfin, Benflis les considère-t-il encore « contre-productives, parce que nous sommes engagés dans une course contre la montre et qu'elles font un usage inapproprié du temps qui nous est compté ». Affirmant être, naturellement, « dans le regret de ne pouvoir répondre favorablement à votre invitation », Benflis conclut sa lettre à Bensalah en ces termes : « Comme citoyen, je partage pleinement les justes revendications de notre peuple. Comme responsable politique, je m'emploie, au mieux de mes possibilités et de mes capacités, à contribuer à leur réalisation prometteuse pour la nouvelle citoyenneté, pour l'Etat de droit et pour la République démocratique et moderne ». Ali Benflis, dont les candidatures aux présidentielles de 2004 et de 2014 avaient sérieusement inquiété, à chaque fois, Bouteflika et son entourage, à savoir tout le pouvoir, reste, à bien des égards, l'un des présidentiables les plus sérieux dans le paysage politique national de l'après-Bouteflika. K. A.