Soumis à une très forte pression, l'appareil judiciaire a fini par rompre le silence se défendant de répondre aux injonctions d'une quelconque partie et promettant de fournir «désormais» les informations «justes dans les limites de ce que prévoit la loi». Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Le communiqué publié ce jeudi fait suite à une longue série d'interrogations mais aussi de critiques émises tant par l'opinion que par de nombreux acteurs politiques qui doutent aujourd'hui de la démarche de la justice dans les grosses affaires de corruption en cours et y voient la mainmise du chef d'état-major. Ce doute est né de deux faits : la fréquence et la terminologie utilisée par Gaïd Salah dans ses interventions concernant la vaste opération se déroulant dans les milieux d'affaires et ceux de personnalités proches de l'ancien Président ou symbolisant le régime, mais aussi le silence total dont fait preuve l'appareil judiciaire dans une étape où son rôle s'avère primordial pour entamer une réelle transition. Or, il se trouve que cette justice ne semble pas avoir répondu aux attentes des Algériens qui lui reprochent notamment de ne pas avoir su communiquer sur des dossiers extrêmement importants. Car c'est sur sa capacité à gérer dans la transparence les affaires de ces hommes que la rue appelle à juger depuis le 22 février que cette dernière est attendue. Les premières étapes n'ont pourtant pas convaincu. C'est par des rumeurs persistantes que les Algériens ont d'abord, en effet, appris qu'une liste d'hommes d'affaires, des oligarques, avait été dressée et qu'ils étaient soumis à des ISTN (interdiction de sortie du territoire national). La situation aurait pu être mise sur le compte de fuites (le contexte étant favorable à l'expression libre) si elle n'avait pas été suivie d'un autre fait troublant : dans les jours ayant suivi cette rumeur, le parquet a confirmé par communiqué l'existence de cette liste, mais c'est à nouveau par d'autres canaux que l'opinion, très intéressée, découvre le nom des concernés. Ces derniers ont été livrés par des sources bien informées à des télévisons privées et leur véracité n'a jamais été démentie. A aucun moment un communiqué officiel n'a été publié dans ce sens. Dans les jours suivants, les mêmes sources ont annoncé que cette liste avait été allongée, qu'elle concernait en fait y compris des personnalités politiques, des ministres… et de nombreux politiques et spécialistes ont commencé, dès lors, à s'interroger sur les raisons du silence de la justice. Un débat de fond se met en place, mais une autre forme de transmission de l'information voit le jour. Les convocations de Ahmed Ouyahia et de Mohamed Loukal sont annoncées par l'ENTV et reprises par les radios nationales et l'agence gouvernementale (APS). A quoi répondait la décision de passer par la télévision officielle ? Pourquoi l'instance judiciaire en charge du dossier n'avait-elle pas communiqué directement ? Pour quelles raisons les Algériens ne sont-ils pas informés par l'instance concernée de la situation dans laquelle se trouvent les hommes d'affaires arrêtés et conduits de manière spectaculaire à El-Harrach ? A l'heure où les interrogations s'enchaînent, des propos tenus et répétés par le chef d'état-major sèment le doute. De Ouargla, il annonce d'abord son intention de mettre la pression sur les hommes d'affaires aux avoirs douteux et informe que des enquêtes judiciaires étaient en cours, puis il rassure (lors d'une seconde visite à Ourgla) en affirmant que la justice est à présent libre, avant d'appeler cette dernière à accélérer son rythme en intervenant mardi dernier de Blida. Ces propos donnent lieu à de très nombreux commentaires. Gaïd Salah est directement ciblé. Le ministère de la Défense publie une mise au point s'adressant aux médias ayant perçu en ces propos une preuve de la mise de l'appareil judiciaire sous son contrôle. Le texte évoque une «tentative de désinformation avérée», «dément les pseudo-injonctions» dans les dossiers liés à la corruption, «enregistre avec étonnement cette interprétation malintentionnée» et se «réserve le droit de recourir aux voies légales pour mettre fin à ces campagnes de désinformation de l'opinion publique». Jeudi, un nouveau communiqué en rapport avec le sujet est publié, mais par la justice cette fois. Le parquet général d'Alger affirme «tenir à son indépendance», et déclare n'avoir «reçu aucune instruction d'une quelconque partie pour accomplir son devoir dans la lutte contre la corruption sous ses diverses formes» et que ce dernier se déroule «dans le calme et la sérénité et avec professionnalisme». Le texte répond également aux interrogations liées à son silence en déclarant «respecter strictement, dans tous ses exercices, procédures et décisions qu'il prend, le secret de l'instruction et de l'investigation (…) et la présomption d'innocence garantie par la Constitution (…) et à fournir toutes les garanties à la défense lors des différentes étapes de l'action publique». Le parquet invite aussi «toutes les parties» à «respecter ces principes et à ne pas s'engager dans ce qui peut induire en erreur l'opinion publique ou à perturber les juges et à inhiber leur volonté dans l'accomplissement de leurs missions qui leur sont confiées conformément à la loi». Toutes les enquêtes, ajoute-t-il, sont menées «par les services de police judiciaire spécialisés sous la direction directe de messieurs les procureurs de la République compétents et sous la supervision du procureur général». Il annonce, d'autre part, que de nombreuses plaintes liées aux affaires de corruption lui ont été adressées «dans un passé récent» et que celles-ci ont toutes été transférées à la police judiciaire, la Gendarmerie nationale et l'Office national de lutte contre la corruption avant d'inviter au respect du secret de l'instruction et «de prononcer des jugements anticipés». Il ajoute enfin : «La cellule de communication de la cour de justice d'Alger veillera désormais, à chaque fois que nécessaire, à fournir les informations justes dans la limite de ce qui est permis par la loi.» A. C.