Hier, dans un marché de la côte-ouest d'Alger. La frénésie et la cohue qu'elle a charriée sont insupportables. Pour quelqu'un —s'il en reste encore — qui doit faire ses courses dans la décontraction et la… quiétude ordinaires, c'est plus que raté. A tel point que la question peut être osée : est-ce que le peuple qui fait la révolution est le même que celui qui fonce ainsi sur les étals comme si c'était une question de… vie et de mort ? Puis cette autre, dont on ne peut pas faire l'économie : est-ce que les marchands qui sont là et ceux qui sont à d'autres niveaux de la chaîne de distribution sont les mêmes qui crient depuis 11 vendredis « vous avez bouffé le pays, bande de voleurs » ? Enfin, une dernière question, toute de réalisme : qu'est-ce qui a bien pu changer depuis le 22 février pour espérer une mutation culturelle pourtant nettement perceptible dans les manifestations ? Pas grand-chose, il faut en convenir. Dans la foulée, on aura remarqué que chez les gouvernants, il y a eu les mêmes « promesses » du passé, portées par les mêmes réflexes et les mêmes certitudes que les Algériens sont toujours un « tube digestif », pendant le mois de jeûne plus que le reste du temps. Mais de ce côté-ci, personne ne doit être surpris, même si la réalité n'y apporte pas vraiment de démentis. Là où ils sont démentis, par contre, c'est que leurs « promesses » ont rarement été tenues. Même pas ça : les prix ont encore flambé même si la ruée vers l'achat relativise, dans un terrible paradoxe, les difficultés financières de beaucoup d'Algériens, qui ne sont tout de même pas une vue de l'esprit. Loin de ce marché de la côte-ouest d'Alger, un Algérien, un musulman du nom de Soheib Bencheikh, qui a été mufti de Marseille dans une autre vie, défendait sur un plateau de télévision le «droit de ne pas jeûner pour un musulman ». Pour son argumentation, ne croyez surtout pas qu'il a puisé dans l'exégèse. Il part de ce principe simple que les Etats n'ont pas à régenter la foi des croyants, dont la relation à Dieu relève de l'intimité individuelle. Il soutient même que la répression d'Etat en l'occurrence est une atteinte à l'esprit de l'Islam. S'il était bien seul face aux autres intervenants, on lui a porté la contradiction sans l'injurier, ce qui n'est déjà pas si mal. Parce qu'on l'imagine dans la même posture, dans son propre pays, où cette discussion est déjà un fantasme. Et puis cette promesse d'un Ramadhan révolutionnaire, festif et généreux en réponse à ceux qui tablent sur ce mois pour l'essoufflement du mouvement populaire. En attendant, apprécions cet autre… fantasme, exprimé cette fois-ci par l'ami Arezki Aït Larbi sur Facebook, avec la finesse qu'on lui connaît : «Pour ce Ramadhan, jeûneurs et déjeûneurs, khawa khawa?» S. L.