Même si la majorité du Hirak garde le cap sur ses liens fraternels et solidaires avec l'armée, on observe depuis quelques vendredis, une animosité minoritaire contre l'ANP. Cette multitude d'expressions libres et démocratiques démontre la vitalité du mouvement du 22 février qui refuse de s'enfermer dans un unanimisme périlleux. Cependant, certains éléments de tendance "printaniste" agissent dans un cadre totalement étranger à l'essence même de cette contestation populaire pacifique. En faisant de l'armée la cible privilégiée de leurs attaques, ces éléments qui ont autant le droit à la parole que les autres, ne risquent-ils pas de dévier la trajectoire de la contestation ? Ce point de fixation n'est pas toujours innocent. Tout en saluant la vigilance des larges masses qui refusent de se faire voler leur révolution ou de subir une dictature militaire, il nous faut garder toute notre lucidité pour ne pas tomber dans des scénarios menaçant l'unité des rangs et qui nous détourneraient de notre objectif : un changement radical du régime par l'émergence d'un pouvoir démocratique débarrassé de l'influence oligarchique et des jeux claniques. Des amis lecteurs nous ont écrit pour nous demander de les éclairer davantage à propos du «printanisme». C'est un courant qui s'inscrit dans la continuité des fameux printemps arabes ou «révolutions réactionnaires» et qui agit principalement contre les forces armées en vue de créer les conditions d'une confrontation directe qui peut mener vers la déstabilisation, les conflits et l'intervention étrangère sous couvert d'atteintes aux droits des peuples. Les forces de l'Otan ne sont jamais loin. C'est l'essence même des «printemps» à la sauce BHL, ce troubadour philosophe de pacotille.Les meneurs de cette tendance radicale ne sont pas toujours conscients de ces dangers. Ils agissent dans un esprit révolutionnaire en vue de bâtir un ordre nouveau mais sont vite dépassés par le populisme et l'activisme débordant des mouvements religieux radicaux qui finissent par prendre la tête de la contestation. Que de démocrates, figures de proue de ces révolutions et vieux opposants des dictatures, ont été balayés par les radicaux islamistes ! Dans les pays où les forces armées sont faibles et désorganisées (Libye), ces extrémistes finissent par éparpiller les troupes et faire disparaître l'armée nationale légale, gardienne de l'Etat-Nation et ultime rempart contre les dangers extérieurs. Mais lorsque l'armée est puissante et unie, avec un esprit patriotique élevé (Syrie), l'aventurisme des «printanistes» est vite démasqué, combattu et éliminé. C'est pourquoi, le plan général concocté dans les laboratoires de la manipulation oriente toujours la contestation vers les forces armées.
Manque de pot pour les «printanistes» algériens, l'ANP n'a pas joué le rôle attendu, c'est-à-dire un alignement pur et simple sur les positions du pouvoir honni. En sortant des rangs et des schémas traditionnels planifiés par des forces occultes, la position de l'armée a déstabilisé ce petit mouvement greffé au corps de la contestation populaire. Cela n'avait pas été prévu ! Car, au fond et si on y réfléchit bien, que reproche-t-on à l'ANP ? Après avoir pris position pour le Hirak, l'armée a promis de veiller sur les marches et d'empêcher par tous les moyens que le sang algérien coule. A-t-elle tenu parole ? Elle a pesé de tout son poids pour que la principale revendication de la contestation, à savoir le départ de Bouteflika, se réalise sans que cela passe par un coup d'Etat. Elle a poursuivi son soutien au mouvement populaire en encourageant la justice à se libérer afin de faire payer les voleurs et les corrompus. Jusqu'à ce treizième vendredi, elle joue son rôle de gardienne des marches et intervient discrètement pour tempérer l'ardeur bestiale de certains policiers. Tout en rappelant le droit de tous à critiquer les institutions, y compris l'armée, nous devons aussi reconnaître que beaucoup parmi les «printanistes» n'agissent pas toujours dans un esprit malfaisant : ils sont persuadés que les forces armées ne peuvent pas être objectivement du côté du peuple ! Même quand il n'y a pas de raison objective de le faire, ils concentrent leurs tirs sur la principale force organisée dans ce pays et qui, malgré toutes les critiques, n'a pas trahi le mouvement populaire du 22 février et n'a commis aucun acte hostile contre le peuple. C'est la preuve que ces «printanistes» ne tiennent nullement compte des réalités nationales mais continuent d'agir selon des plans préétablis qui, malheureusement pour eux, tombent à l'eau dans le cas algérien. Comme nous le disions dans un précédent article de cette série, le Hirak ne fut pas l'œuvre de ces «printanistes» qui ont toujours rêvé d'une telle opportunité pour installer leur sale «printemps» mais le peuple, conscient des dangers, ne les a pas suivis. Le Hirak n'est pas non plus, comme le disent certains, une manipulation des services secrets qui devaient l'utiliser pour abattre un clan adverse. Le mouvement du 22 février est spontané. Il est né de l'entêtement d'un pouvoir gâteux qui voulait se perpétuer dans la tricherie, le mensonge, le vol et la répression. C'est cette obstination à aller au cinquième mandat qui en fut le déclencheur principal. La tendance «printaniste» a rejoint le mouvement dans la foulée des premiers vendredis. Elle a d'emblée voulu orienter les revendications dans une direction inscrite dans son propre agenda mais qui ne fut pas agréée par la majorité des marcheurs. La fraternisation peuple-armée n'était pas bien vue par elle et pourtant ce sont ces élans spontanés de solidarité, de pacifisme et de poussées patriotiques généreuses qui ont ému le monde. Les adeptes des «printemps» arabes auraient voulu la confrontation, le sang. Les télés de Paris et du Golfe ne tarderont pas à rapatrier leurs caméras. Non, ce n'est pas le scénario attendu. Ce n'est pas la «bonne» direction prise par les évènements ! Pourtant, c'est cette image d'une nouvelle Algérie qui fait notre fierté et l'ANP y a sa place comme une force patriotique qui s'est rangée aux côtés du peuple dont elle est l'émanation. Ceci étant, le danger persiste tant que la principale revendication du mouvement, à savoir le départ des "restes de la bande", n'a pas été satisfaite. Il y a une grande frustration de la part du Hirak qui attend beaucoup de l'armée. Cette dernière a beau expliquer qu'elle ne peut pas intervenir directement, qu'elle ne peut sortir ni de la Constitution, ni du cadre légal, on refuse de l'admettre ! Certaines parties qui appelaient de tous leurs vœux une intervention de l'armée il n'y a pas si longtemps, ont mal réagi lorsqu'elle a commencé à suggérer des solutions allant dans le sens de l'attente populaire ! Il y a un jeu malsain et ce jeu est le résultat d'une perception préconçue qui refuse de se corriger lorsqu'elle se confronte à la réalité. C'est comme si l'on reprochait à l'armée son refus de «dégager» Bensalah, Bedoui et même Bouchareb ! C'est comme si l'on demandait à l'ANP d'annuler le vote du 4 juillet et de mettre en place une instance transitoire, etc. A-t-on enfin réalisé l'impuissance du mouvement populaire à concrétiser par lui-même ses propres revendications ? Amère réalité car le Hirak, hormis ses marches pacifiques, n'a aucun moyen, aucun mécanisme, aucune force pour imposer les solutions populaires ! C'est pourquoi beaucoup se tournent vers l'armée et, quand cette dernière se terre dans ses positions constitutionnelles, ils sont paniqués car ils réalisent que le mouvement, et même s'il marche toujours aussi bien le vendredi, est en manque crucial de sa propre force de proposition, voire de décision ! A quoi bon le répéter alors que nous le martelons ici depuis des semaines : c'est au moment où il était uni, fort et craint que le Hirak aurait dû se doter d'une direction capable de le mener vers la réalisation des aspirations populaires. Il a certainement trop compté sur l'armée et la déception d'une grande partie des manifestants vient peut-être de ce sentiment d'avoir été «abandonné» en cours de chemin. Ce qui n'est pas vrai, bien entendu, car l'ANP agit sur un terrain miné, toute action pouvant être interprétée comme un «coup d'Etat», avec son corollaire de réactions en chaîne au niveau africain et international. Triste constat : cette armée qui intervenait déjà en 1963 pour corriger les erreurs des politiques en grave désunion, cette même armée qui a su, malgré tout, préserver l'unité nationale tout au long de ces 57 années d'indépendance décriées aujourd'hui, la voilà rattrapée par son destin. Les partis sont laminés. Le peuple marche et attend que le chef de l'armée parle pour applaudir ou bouder... C'est toujours l'armée qui «corrige» quand elle a un peu de temps, entre défendre les frontières et sécuriser l'épreuve du bac! [email protected] P. S. : on ne peut oublier d'adresser un salut fraternel à la camarade Louisa Hanoune qui croupit au fond d'une prison pour avoir simplement répondu à une invitation entrant dans le cadre de ses activités politiques. Parce que c'est une femme, parce qu'elle est malade, parce qu'elle est connue pour son combat contre l'oppression et l'oligarchie, parce qu'elle n'avait aucun pouvoir pour déstabiliser l'armée et parce que c'est le Ramadhan, la cheffe du PT doit retrouver sa liberté le plus tôt possible.