Encore une fois, pour le troisième vendredi du mois de Ramadhan, le quatorzième de suite depuis le 22 février, il aurait fallu plus que les assommants 32° générés par un ardent soleil et les effets du jeûne pour empêcher plusieurs milliers parmi les habitués de la manifestation hebdomadaire de déferler sur le centre-ville de Tizi-Ouzou afin de répondre présents pour la suite d'un combat qui, chaque semaine, révèle une tournure qui, en fait, légitime encore plus le sursaut des Algériens. «Ma hantise c'est qu'elles aient fait leur effet, les manœuvres qui ont lieu depuis quelques jours de la part des reliquats du pouvoir encouragés par les discours de Gaïd Salah notamment ceux de cette semaine», nous explique ce dentiste venu, comme tous les vendredis depuis 14 semaines, prendre part à ce moment charnière que représente la manifestation du vendredi dans le mouvement né le 22 février pour dégager le système. En vérité, lui et son fils avaient dans l'idée plutôt de descendre cette fois sur Alger pour se mêler à ces centaines de milliers d'irréductibles manifestants d'un genre nouveau, qui subjuguent le monde depuis trois mois maintenant. Projet tombé à l'eau à cause de la chaleur qui a sévi ce vendredi et surtout en raison des informations qui ont fait l'essentiel des discussions de la matinée, informations selon lesquelles ce vendredi enregistrait une montée de tension plus perceptible encore chez la police qui s'est mise à interpeller à tout-va et à renvoyer d'où ils venaient tous les véhicules non immatriculés à Alger. Contre mauvaise fortune, notre jeune dentiste et son fils ont dû faire bon cœur et ne se sont pas fait prier pour se mêler à la longue procession qui les a «engloutis» après quelques dizaines de mètres à peine franchis sur le plat de la route du CHU-Nedir, tout en haut de la pente menant vers le campus principal de l'Université de Tizi-Ouzou, là où, comme de tradition maintenant bien établie, les centaines de personnes de tous âges et de sexes avaient décidé de braver le temps étouffant de ce vendredi depuis midi pour constituer les premiers groupes avec lesquels il faudra toujours compter pour sonner le ralliement hebdomadaire des manifestants «décidés à se battre quoi qu'il en leur coûtera pour l'instauration de la IIe République». Les mots sont d'une étudiante en attente d'être diplômée en langue anglaise, qui n'a pas manqué une manifestation du vendredi depuis celle du 1er mars. «Notre présence, c'est notre réponse à celui qui décide de tout apparemment : Gaïd Salah», tranche l'étudiante sur un ton presque colérique, tellement elle était déterminée. De la détermination, un des maîtres mots de cette 14e manifestation du vendredi à Tizi-Ouzou, qu'illustrent ces dames d'un âge pourtant à ne pas défier un soleil du genre de celui qui sévissait hier. En kabyle, en arabe comme on ne pouvait jamais oser imaginer qu'elles étaient capables de prononcer le moindre mot, de braves femmes typiques de la profonde Kabylie qui, quand elles ne reprenaient pas les slogans entonnés par tout le monde, s'égosillaient dans la reprise de chansons du terroir et des plus récentes qui cadrent avec la révolution en cours. De politique, elles ne sont certainement pas les mieux indiquées pour discourir sur les tenants et les aboutissants du mouvement populaire et de l'adversité à laquelle il fait face, mais elles ont au moins quelques certitudes sur ce qu'elles veulent et ce qu'elles pensent : «Gaïd Salah dégage !» «Djeïch-Chaâb khawa-khawa, Gaïd Salah maâ el issaba» «Makanch intikhabat ya el-issabat», ou encore «Dawla madania, machi askariya», les mots d'ordre les plus repris et transcrits sur les écriteaux de fortune, hier, aux côtés des plus traditionnels «Oulach smah» ou «Y en a marre de ce pouvoir» ou encore «Pouvoir assassin» par des milliers de manifestants déterminés à affronter n'importe quelle épreuve, comme le laisse entendre cet ex-syndicaliste du secteur de l'éducation qui affirmait à qui voulait l'entendre que le pouvoir finissant, conscient qu'il n'a plus de cartes entre les mains, pourrait se mettre à user plus ouvertement de la répression. Un avis que beaucoup partagent tout en assurant que rien n'altérera la détermination dont ils font preuve depuis trois mois maintenant. Azedine Maktour