Il se disait que les interdictions de sortie du territoire (ISTN) signifiées au tout début de la «rédemption» de la justice concernait un grand nombre de patrons et de responsables politiques, mais eu égard à ce que le commun des Algériens pouvait croire, jusqu'à il y a à peine quelques semaines, on ne pouvait penser qu'autant de personnes, et surtout pas de leur rang, allaient être appelées à rendre des comptes. Une retentissante opération «mains propres» qui fait des gorges chaudes partout à travers le pays qui, au fur et à mesure, a allégrement franchi les frontières du pays du fait évidemment de la qualité des innombrables personnages qui se retrouvent aujourd'hui derrière les barreaux ou mis sous contrôle judiciaire en attendant ceux qui devraient leur emboîter le pas dans les jours et les semaines à venir dans cette espèce de reconquête du terrain perdu par la justice, qui se trouve d'ailleurs une des revendications déclamées par le peuple dès les toutes premières manifestations, sans trop y croire, jusqu'au soir du 31 mars dernier, alors que Bouteflika vivait ses toutes dernières heures à la tête du pays, au moment même, à quelques heures près, où les douaniers en poste aux frontières algéro-tunisiennes, à Oum Tboul dans la wilaya d'El Tarf, donnaient le ton en appréhendant celui dont le nom était jusqu'alors accompagné souvent du qualificatif «puissant», l'homme d'affaires et président du FCE Ali Haddad. Une interpellation pour une histoire de détention de deux passeports et d'une somme d'argent en monnaie étrangère supérieure à ce qu'autorise la réglementation. Motifs d'une banalité à mourir de rire à première vue pour le commun des Algériens, mais qui, au final, vaudra de gros soucis à l'ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal, entre autres faiseurs de décisions. Une affaire de faux et usage de faux, qui a valu à Ali Haddad, une peine ferme de six mois de prison assortie d'une amende de 50 000 dinars, en attendant les lourds dossiers pour lesquels il devra comparaître devant une autre juridiction du fait de l'implication de membres de ce qui constituait la plus haute sphère de l'Etat. Les quelques jours qui suivront l'arrestation de Haddad aux frontières avec la Tunisie seront surtout marqués par les spéculations sur le nombre de personnes du sérail et de sa multitude de satellites, notamment le milieu des affaires, concerné par les ISTN, qui devaient donc s'attendre à une convocation de la justice. Certaines sources évoquaient des chiffres allant crescendo au fil des semaines depuis la mi-avril jusqu'à atteindre plus de 500 noms. Des mises sous mandat de dépôt inimaginables Le bal des arrestations ayant suivi celle du patron de l'ETRHB et président du FCE sera marqué par notamment la main lourde de la justice militaire qui s'est activée pour mettre aux arrêts le trio composé de Saïd Bouteflika, celui que l'on croyait jusqu'alors intouchable frère du président de la République mais qui s'était en réalité accaparé tous les pouvoirs, et des patrons des services de renseignements que sont Mohamed Mediene dit Toufik, et celui qui lui succédait quelques petites années plus tard, Athmane Tartag. Une triple arrestation, le 5 mai dernier, pour les motifs extrêmement lourds d'«atteinte à l'autorité de l'armée et complot contre l'autorité de l'Etat» qui les exposent à des peines maximales. Une hallucinante entrée en matière de la part de la justice qui sera suivie, quatre jours plus tard, par la convocation de Louisa Hanoune devant le même tribunal militaire de Blida pour le même dossier et finalement se faire mettre en détention pour le chef d'accusation de «complot contre l'autorité de l'Etat». Convocations conclues par des mises en détention qui atteindront un rythme que personne ne pouvait imaginer, même au plus fort de la protestation du Mouvement populaire et des millions de citoyens qui auront, par la suite, maintes occasions de tomber des nues avec les mises sous mandat de dépôt de ceux qui étaient parmi les maîtres des lieux, ceux qui font et défont la décision du présent et de l'avenir de tout un pays. Des grosses têtes à El Harrach aux «justiciables en fuite» Une liste à la tête de laquelle trônent tout en haut depuis la fin de semaine dernière Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, les deux Premiers-ministres auxquels il est reproché pratiquement les mêmes méfaits. De gros cas de corruption, de violation de la réglementation des marchés publics et de trafic d'influence, et même d'enrichissement illicite en tirant profit de leur fonction. Des motifs qui leur vaudront le séjour à la prison d'El Harrach au même titre que ceux qui, dit-on, les ont enfoncés lors de leur passage devant les magistrats instructeurs, c'est-à-dire Mahieddine Tahkout et des membres de sa famille, les «influents» frères Kouninef dont beaucoup d'Algériens ne connaissaient apparemment même pas les noms jusqu'au début de la Révolution du 22 février, et depuis la fin de la semaine dernière, Mourad Oulmi, le patron de Sovac. Par ailleurs, si un ministre, Amara Benyounès en l'occurrence, a été interpellé et envoyé en détention, un autre membre du gouvernement, Abdelghani Zaâlane, l'éphémère directeur de campagne de Bouteflika, a été mis sous contrôle judiciaire au grand dam du parquet qui a fait appel. En parallèle à tous ces mandats de dépôt, le ministre de la Justice, Slimane Brahmi, a introduit auprès du Conseil d'Etat et de l'APN des demandes de levée de l'immunité parlementaire de Amar Ghoul, sénateur du tiers présidentiel, et celle de Boudjemaâ Talaï, député FLN, pour répondre dans la même affaire que celle dans laquelle sont concernés les ex-ministres des Travaux publics et des Transports, Ammar Tou et Amar Ghoul, Karim Djoudi, l'ex-ministre des Finances, Abdelkader Bouazghi, l'ex-ministre de l'Agriculture, l'ex-ministre de l'Industrie, Abdeslam Bouchouareb, ainsi que les ex-walis, d'Alger, Abdelkader Zoukh et d'El Bayadh, Mohamed Djamel Khanfer et d'autres encore. Il faut souligner que, selon plusieurs sources, au moins deux parmi les gros pontes du règne de Bouteflika sont donnés «en fuite», eux sur lesquels pèsent depuis longtemps de lourds soupçons de corruption, portant sur des millions de dollars, bien avant que le Mouvement populaire du 22 février n'ait été même pas imaginé. Chakib Khelil l'ex-ministre de l'Energie et grand patron de Sonatrach qui a eu déjà maille à partir avec la justice aussi bien algérienne qu'étrangère, italienne en l'occurrence. Et puis, l'ex-ministre de l'Industrie celui qui, d'ailleurs, a eu «l'honneur» de figurer en qualité de premier responsable algérien cité dans un scandale planétaire, les Panama Papers. Scandale après lequel il assurait qu'il allait s'expliquer devant le président de la République, au moment même où la santé de ce dernier périclitait, avant que personne ne vienne lui rappeler qu'il traînait une affaire de création de société off-shore avec des fonds dont il aurait dû expliquer la provenance. Des noms tomberont, c'est une certitude mais de là à convaincre les Algériens que les crimes commis lors de la gouvernance de Bouteflika est du genre à les inciter à mettre en sourdine la revendication «Yentnahaw gaâ»... Azedine Maktour