Le moudjahid Lakhdar Bouregaâ a passé sa première nuit en prison hier. Arrêté à son domicile samedi après-midi, il a été, ensuite, conduit vers un lieu inconnu avant d'être déféré, dimanche matin, devant le procureur du tribunal de Bir-Mourad-Raïs qui l'a placé sous mandat de dépôt pour «participation à l'affaiblissement du moral des troupes de l'ANP et humiliation d'un corps constitué». Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Au choc provoqué par la nouvelle de son arrestation se mêlait hier un fort sentiment d'indignation accentué par un malaise très perceptible à travers les nombreuses réactions et condamnations d'hommes politiques et de citoyens. Au cours de la matinée de ce dimanche, l'opinion était d'abord à la recherche de nouvelles du moudjahid. Lakhdar Bouregaâ, commandant militaire de la Wilaya IV historique, chef de guerre et responsable de la katiba Zoubiria, célèbre pour ses hauts faits d'armes contre les paras du tristement célèbre Massu, avait été interpellé la veille par les services de sécurité. Selon le témoignage de ses enfants, il se trouvait alors à son domicile, entouré de plusieurs membres de sa famille conviés à un dîner. Vers 15h30, des hommes se présentent et lui demandent de les suivre. L'homme âgé de 86 ans les suit, vêtu d'une gandoura et chaussé de tongs, rapporte sa famille. Il monte avec eux «à bord d'un véhicule de marque Kangoo et ne répond pas lorsque ses enfants inquiets tentent de le joindre au téléphone», alerte sur sa page Facebook Fodil Boumala, défenseur des droits de l'Homme proche du moudjahid. Sur les réseaux sociaux, il tient régulièrement informés les internautes qui se déchaînent déjà sur les réseaux sociaux. Les Algériens se disent indignés, ils dénoncent, exigent sa libération immédiate, s'insurgent contre ce qu'ils désignent comme étant «un nouveau grave dérapage après celui des drapeaux amazigh». Les partis politiques ne tardent pas à réagir eux aussi. Le FFS fait savoir qu'il a appris avec «beaucoup de colère et de consternation la nouvelle de l'arrestation du commandant de la Wilaya IV historique et membre fondateur du parti le 29 septembre 1963», il appelle à sa libération. Le RCD, le PT (Parti des travailleurs), Jil Jadid, des organisations de défense des droits de l'Homme et l'APW de Tizi-Ouzou se disent «choqués, indignés», rappellent le passé glorieux de «Si Lakhdar Bouragaâ», et qualifient son interpellation «d'atteinte à la Révolution». La longue nuit du samedi soir s'achève sans nouvelles du moudjahid. Les membres de sa famille font savoir qu'il a seulement pu les contacter un bref moment pour leur faire savoir qu'il était «dans un lieu inconnu». Le lendemain matin, les évènements se précipitent. A travers Fodil Boumala, la famille Bouragaâ fait savoir que des éléments des services de sécurité se sont à nouveau présentés en milieu de matinée demandant à ses enfants de leur remettre des vêtements et les médicaments inscrits dans son traitement médical car étant atteint par plusieurs maladies. Ces derniers se refusent à le faire, annonçant qu'ils feraient porter la responsabilité de toute conséquence aux auteurs de la décision de son interpellation. Les enfants Bouragaâ multiplient les appels à la libération de leur père. La toile se déchaîne. Dans le pays, beaucoup tentent aussi, sans justifier, de comprendre l'origine de l'affaire. Des informations laissent entendre que l'interpellation fait suite à une déclaration dans laquelle Lakhdar Bouragaâ laissait entendre que «le pouvoir avait déjà son candidat à la présidentielle». Dans une récente interview filmée, le moudjahid s'en était également pris au chef d'état-major usant à son égard de termes peu glorieux. Les chefs d'inculpation pour lesquels il a été placé sous mandat de dépôt semblent faire suite à ces propos. Peu après 14h, un communiqué publié par le parquet du tribunal de Bir-Mourad-Raïs levait définitivement le voile sur l'affaire. Il évoque les charges retenues : «Tentatives d'affaiblissement du moral des troupes de l'ANP en temps de paix et atteinte et humiliation à corps constitué.» Lakhdar Bouragaâ, l'un des symboles de la Révolution algérienne, a passé sa première nuit à la prison d'El-Harrach hier. A. C.