C'est un mandat de dépôt de trop. Lakhdar Bouregaâ, grand moudjahid, a été placé hier, en détention préventive, après son arrestation la veille de façon musclée. Selon un communiqué du procureur de la République près le tribunal de Bir Mourad Raïs, Bouregaâ est accusé de «démoralisation et outrage à corps constitué». «Après avoir entendu le mis en cause, le procureur de la République a soumis le dossier de procédures au juge d'instruction pour répondre des chefs d'accusation de participation, en temps de paix, à une entreprise de démoralisation de l'armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale et à un corps constitué, des faits mentionnés et passibles de sanctions, cités dans les articles 75, 144 bis et 146 du code pénal», pouvait-on lire dans le document repris par l'APS. Lakhdar Bouregaâ avait été arrêté samedi, aux environs de 14 heures, dans son domicile familial à Alger, par deux individus des services de sécurité, avant d'être conduit vers une destination inconnue. Agé de 86 ans, Bouregaâ n'était pas en possession de ses médicaments lorsqu'il a été arrêté. Ce qui a poussé les services de sécurité à retourner encore une fois dans son domicile pour les demander auprès de sa famille. Et c'est à ce moment-là, raconte l'activiste Fodil Boumala, après insistance des membres de la famille que les «officiers» ont déclaré qu' «ils n'étaient que des chargés de mission pour enquêter». La précision vient par la suite du communiqué du parquet. Lequel précisera que «l'enquête préliminaire diligentée par la police judiciaire relevant du service territorial d'instruction judiciaire de la ville d'Alger concernant des faits à caractère pénal reprochés au nommé Bouregaâ. Après avoir écouté le prévenu lors de la première comparution, le juge d'instruction a décidé son placement en détention provisoire». L'arrestation et le placement sous mandat de dépôt de Bouregaâ, marquent un tournant grave dans les événements depuis le début de la révolution du 22 février. Elle intervient au lendemain d'une série d'arrestations ciblant les porteurs de l'emblème amazigh, après que le chef d'état-major de l'ANP, Ahmed Gaïd Salah, ait donné l'ordre de l'interdire durant les marches. Jusqu'à présent, l'on ignore les raisons de l'arrestation du commandant de la wilaya IV historique, et les faits pour lesquels il a été inculpé pour «démoralisation des troupes». Mais, tout porte à croire que cela est lié à sa dernière sortie médiatique, lors de la rencontre des partis de «l'alternative démocratique», tenue au siège du RCD. «Ce régime cherche à se sauver», a déclaré Bouregaâ qui, évoquant l'institution militaire, a accusé qu'au lendemain de l'indépendance «une milice s'est formée en dehors du terrain de la lute et s'impose jusqu'à nos jours». «On nous dit que l'ANP est héritière de l'ALN. C'est faux !», avait lâché le moudjahid, estimant que pour cette armée soit vraiment une armée nationale populaire, «elle doit accompagner, comme nous l'avons entendu, le Hirak». Nombre de partis politiques ont déjà dénoncé cette dérive. L'arrestation de Bouregaâ «participe d'un plan pour semer la peur, la confusion et la division dans les rangs des populations», a accusé le RCD. Tout en dénonçant «l'instrumentalisation de l'administration et de l'appareil judiciaire à des fins de pouvoir», le RCD a exigé dans un communiqué «la libération du chef de la wilaya 4 historique et de tous les détenus d'opinion et l'arrêt des harcèlements policiers et judiciaires à l'encontre des membres du soulèvement populaire». Pour sa part, le FFS qui a appris «avec beaucoup de colère et consternation» cette arrestation, «considère qu'aucun prétexte n'est recevable devant ce déni de l'histoire et de ses braves artisans». D'ores et déjà, un large élan de solidarité s'est constitué autour du grand moudjahid, notamment sur les réseaux sociaux où les algérien(e)s ont dénoncé «un grave dérapage».