Mouloud Hamrouche, 76 ans, ancien chef de gouvernement de Chadli Bendjedid (1989-1991) et ex-candidat à l'élection présidentielle (slogan : Le changement) semble ne pas déroger à la règle qu'il s'est imposée après avoir quitté les affaires de l'Etat. En effet, il est devenu habituel pour l'observateur de quelque niveau qu'il soit de se voir invité à partager avec lui ses interrogations, réflexions voire ses inquiétudes quant aux enjeux impliquant le pays. Car il s'invite à chaque moment particulier que vit l'Algérie afin d'exprimer son point de vue, de proposer son analyse de la chose politique dominante de l'heure. Récemment encore, c'est un véritable pamphlet qu'il commet sous forme de contribution dans un quotidien national, El Watan. Mouloud Hamrouche a longtemps vécu dans l'ombre des arcanes du pouvoir, frayant avec les mastodontes de la politique de l'époque de la légitimité révolutionnaire. S'il a pris du recul, il ne s'est jamais déconnecté des débats qui alimentent l'actualité nationale. Son itinéraire lui confère ainsi la latitude de pouvoir se prononcer sur les grandes décisions engageant l'avenir. Mouloud Hamrouche met une pointe d'orgueil dès lors qu'il évoque sa gouvernance à une époque charnière post-octobre 1988 se posant comme la tête pensante du pluralisme politique et des réformes. Et du libéralisme économique on sait ce qu'il est advenu. Hier encore, l'ancien Chef de gouvernement remet ça en montant en épingle les questions de l'heure, la situation prévalant depuis l'explosion du mouvement populaire le 22 février «qui est venu mettre un terme à l'expansion des difficultés, des impasses et des menaces engendrées, accumulées et non résolues par le système». Mouloud Hamrouche fait siennes les revendications du hirak et veut y adhérer totalement : «Le mérite du hirak est d'avoir révélé tant de désordres et de malversations…». C'est pourquoi le mouvement populaire exige le changement du système qui est la solution et non le problème, écrit-il. A ce changement, l'auteur de la tribune y croit, mais met en exergue les difficultés : «Ce sera dur mais réalisable de façon concertée, ordonnée et déterminée…». Elites politiques, l'armée qu'il défend bec et ongles, les éléments de «la bande» toujours aussi actifs et nuisibles sont les thèmes phares que le natif de Constantine développe : «Ces tenants, leurs médias et leurs relais sont toujours en action de régénérescence…». Il se fait mordant voire virulent à l'endroit des «élites timorées, incrustées dans les réseaux d'allégeance et de coercition/corruption…». Mouloud Hamrouche peut avoir le bénéfice de la liberté de parole sans crainte d'être contredit, lui qui n'a pas créé de parti ni n'a rejoint un autre ; électron libre, c'est qu'il est aussi un pur produit du FLN, version légitimité populaire. Il est vrai aussi que l'on ne peut pas l'absoudre des mauvaises fréquentations et autres conciliabules dans les divers conclaves qui ont réuni personnalités, et chefs de formation politique des avant-gardistes (RCD, FFS) aux traditionnalistes (Hamas, Ennahda, etc.). Mais il est vrai que c'était là des postes d'observations privilégiés permettant de jauger des mouvements et préoccupations de fond qui traversent les partis toutes tendances confondues. Confronté à la situation que vit le pays, notre observateur va donc conclure péremptoire que «le pays a cruellement besoin non pas d'un simple consentement ou un changement d'hommes, mais d'un vrai modèle institutionnel politique et étatique» pour insister très fortement affirmant que «sa survie, celle de son armée et de son gouvernement en dépendent». De l'armée, il en sera fortement question. Il la défendra contre ceux qui veulent l'entraîner dans des aventures désastreuses : «L'armée ne veut plus, ne peut plus servir de base sociale et politique ni de régulateur ou protecteur de tel pouvoir et de tel gouvernement». Octobre 1988, la décennie noire et les autres mouvements de protestation populaire sont pour lui là pour rappeler la justesse de ce point de vue de Mouloud Hamrouche, lui qui a vécu les affres de l'insurrection des islamistes de l'ex-FIS dissout. Il expose dans ce pamphlet sa vision (toujours la même) du rôle de l'armée et se lâche : attention dit-il, «ce système liberticide, anti-politique, anti-militance, anti-gouvernance, anti-institutions, anti-organisations et antinational» risque de briser la cohésion de l'armée. Rageur, Mouloud Hamrouche dit que ce système que certains veulent préserver est un «non-système», «un modèle qui ne ressemble à rien d'autre». C'est pourquoi, il faut aller dans le sens des revendications populaires que, pour lui, l'armée accompagne et qu'il est urgent d'aller vers l'élection du président de la République, «une logique froide de raison». Mais de quoi sera fait demain ? L'ancien Chef de gouvernement veut être positif, la survie du pays est dans «la mise en place d'un ordre politique composé de partis de gouvernement, capables de faire émerger des élites, des compétences, des adhésions et des soutiens…». «Qualité politique et morale» devra être l'exigence de référence pour les partis qui doivent «réajuster leurs paradigmes» afin de se transformer en vecteur de changement et de gestion pertinente du pays qui en a grandement besoin. Voici, donc, résumé l'essentiel des arguments développés par l'ancien candidat à la présidentielle. Peut-être aussi que lui également, il lui sera problématique de se débarrasser du costume de l'ancien système qui l'a fait. Homme du passé, sa tribune manque de pertinence quant à une vision d'avenir et d'une Algérie nouvelle. D'ici là, le hirak continue pour la construction d'une nouvelle Algérie qu'appellent de tous leurs vœux les marcheurs du vendredi qui sera demain à son 29e ! B. T.