Après huit semaines de mobilisation historique des Algériens contre le système politique, l'ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, rompt le silence. Il décrit un système corrompu et brutal, salue une révolte pacifique fascinante, critique la classe politique, appelle l'armée à contribuer au parachèvement de l'édification de l'Etat national. Karim Aimeur - Alger (Le Soir) - Il a entamé sa contribution, publiée hier par deux quotidiens nationaux (El Watan et El Khabar) par le constat relatif à l'exercice du pouvoir par le système rejeté, du reste connu de tous. «Par le Hirak, les Algériens ont exprimé un refus sans ambiguïté de ce système de cooptation, de non-droit, de corruption et de brutalité», a-t-il affirmé. Mouloud Hamrouche explique que le mouvement du peuple attend de l'armée et des partis politiques « des perspectives prometteuses avant qu'il ne s'estompe ou sombre dans des violences primaires», prévoyant que les semaines prochaines seront «critiques et décisives». Selon lui, la démission de Bouteflika et la désignation de Bensalah pour organiser la présidentielle est loin d'être une solution. Le mouvement du 22 février a disqualifié «les fausses réalités d'un pluralisme fictif et fait découvrir d'incroyables handicaps et de grands vides politiques», et a provoqué «de vraies opportunités et de réelles chances pour l'Algérie», précise l'ancien chef de gouvernement qui a critiqué les propositions de sortie de crise faites par différentes parties. Il explique que les contributions et suggestions avancées et proposées par nos politiques, penseurs, experts et exégètes sont dignes d'intérêt mais restent «sans effet». «Elles calent toutes, par-delà les avantages et les limites intrinsèques de chacune, par l'absence cruelle de cette puissante mécanique qui gouvernerait l'élaboration d'une solution, sa mise en œuvre et le contrôle de son exécution jusqu'à son aboutissement final. Elles calent aussi par l'absence de détermination au préalable d'un schéma final. C'est le schéma final qui indique le modèle, détermine les processus et définit les champs et les temps », a-t-il soutenu. Quel rôle pour l'armée ? Saluant la position de l'armée par rapport au mouvement populaire, Mouloud Hamrouche estime qu'il reste à l'institution que dirige Gaïd Salah «à contribuer au parachèvement de l'édification de l'Etat national par la mise en place d'une Constitution et d'institutions de vrais pouvoirs d'autorisation, de régulation, d'habilitation et de contrôle». «Cela mettra l'armée définitivement à l'abri des conflits politiques partisans, permettra de servir de base politique au gouvernement ou d'être un outil entre les mains d'un omnipotent», a-t-il expliqué. Pour l'ancien chef de gouvernement, le mouvement du 22 février a empêché une confrontation sanglante entre clans par l'intermédiaire des réseaux d'allégeance et d'obédience. « Par son ampleur unitaire, le mouvement a évité à l'armée d'intervenir et de garder sa cohésion intacte. Ensuite, avec l'évolution de la situation au sein du sérail, l'armée a pris naturellement et formellement position avec le peuple. Ce qui lui permet de ne pas être en contradiction avec son statut d'armée nationale et de ne pas être une cible fragile à détruire par d'autres puissances étatiques étrangères, particulièrement méditerranéennes ou de l'Otan», a-t-il affirmé. En évoquant l'armée, Hamrouche a expliqué que l'ordre mondial et ses puissances étatiques ne s'accommodent jamais de la présence d'une armée puissante qui échappe à des contrôles constitutionnels, institutionnels et des lois d'un contrôle rigoureux en termes de fonctionnement, d'emploi et d'utilisation. «Seules des armées nationales soumises à un contrôle institutionnel et constitutionnel et assujetties à l'obligation de l'Etat et à son contrôle ont un droit d'exister et d'établir des relations internationales et être intégrées dans le système mondial de paix, de maintien de l'ordre et de stabilisation régionale», a-t-il justifié. Quelle issue pour la crise ? Dans sa longue contribution, Mouloud Hamrouche ne présente pas un plan de sortie de crise. Il se pose plutôt des questions et appelle à les résoudre. Pour lui, il est urgent de commencer par identifier les rôles et les missions de l'Etat qui ne feront pas l'objet de disputes ni de compétition à l'avenir. «Il serait primordial d'obtenir des tenants du système, de l'armée et des partis un accord sur le schéma final de l'organisation de l'Etat et ses pouvoirs régaliens, la place de l'armée comme structure étatique de défense et de sécurité, la forme démocratique de gouvernement, de contrôle politique et institutionnel qui seront en œuvre à l'avenir», a-t-il écrit. En tout cas, Mouloud Hamrouche avertit que les semaines à venir seront critiques et décisives pour démontrer si les élites politiques seront capables d'aller de l'avant en mettant à l'abri l'Etat et l'armée par le développement de vrais instruments et mécanismes d'une démocratie gouvernante et d'un vrai contrôle par de vraies institutions et de vrais élus. K. A.