Touiza, un court métrage du cinéaste Karim Bengana, et Babylone-Constantina, un long métrage de Sid-Ahmed Semiane, fraîchement sortis des cartons (2019), projetés dimanche soir à la cinémathèque de Béjaïa, au 2e jour de l'ouverture des rencontres cinématographiques de Béjaïa, ont visiblement ravi. Deux projets, deux sensibilités et deux thématiques que rien ne rapproche à première vue, mais qui, paradoxalement, se rencontrent et se complètent dans leur objectif visant à rendre compte des difficultés de la vie, de la détresse humaine, mais aussi des espoirs qui peuvent en surgir. Les deux trames ont ce point commun également de se tisser sur un sujet partagé, en l'occurrence le terrorisme. Bengana en fait un élément central de son œuvre et Semiane une référence de second plan. Touiza signifie, en berbère, solidarité. Mais dans le film, paradoxalement, il exprime une idée contraire. Il met en scène deux personnes qui vivent ensemble, mais qui ne se parlent pas. «Quand l'entraide n'est pas là, on est dans la violence», explique l'auteur, qui en grossit les traits en faisant évoluer ses deux héroïnes, une bourgeoise post-indépendance et sa domestique, dans un espace fermé, un vase clos, qui rend leur contact encore plus pénible. L'une et l'autre ont perdu le goût de la vie. Yasmine se réfugie dans la religion et sa patronne ne tire ses semblants de joie qu'en bichonnant sa chienne comme un bébé et envers qui elle a transféré tout son intérêt et son affection. De fil en aiguille, la domestique verse dans l'activité terroriste et finit par s'exploser sur une place publique alors que sa patronne, par désespoir, en vient à tuer sa chienne. Une chute terrible, voulue expressément par Bengana pour symboliser autant l'enfermement du pays durant la décennie noire que les silences qui se sont imposés alors à une large partie de la population, ostensiblement gagnée par la méfiance entre ses différentes parties. Pour Sid-Ahmed Semiane, en revanche, le terrorisme s'il a produit des drames, n'en a pas pourtant inhibé ou bridé les rêves. Malgré les attentats et la peur, les populations ont trouvé l'énergie et les ressorts adéquats à chaque épreuve pour rebondir ou continuer tout simplement à vivre. Et quoi de mieux pour le faire que de s'embarquer dans un projet musical euphorique. Exploitant le tenue du Festival international de djazz, organisé en 2000 à Tabarka, en Tunisie, puis ramené et dupliqué à Constantine, il en profite pour filmer toutes les coulisses de l'organisation, la fièvre des artistes en répétition et leur engagement à sublimer leur art. Pour réussir son pari, Sid- Ahmed Semiane a sorti les grands moyens et convoqué pour s'y produire des valeurs sûres et des artistes universels hors pair. Alpha Blondy, Stéphane Gaillairdo, Karim Ziad, Billy Cobhane, et tant d'autres stars, invitées du festival, ont été suivis pas à pas et sa caméra a capturé leurs meilleurs passages, leurs moments de détente et leur état d'esprit. Une prouesse. Naturellement, il n'y avait pas que les vedettes. Tout le cru et la fine fleur de Cirta étaient là aussi. Les rappeurs, El-Aïssaoua, les maîtres du malouf dont Raymond, le père fondateur, et surtout un inénarrable ammi Ahmed, gardien de ce patrimoine millénaire, et qui préservait des bandes sonores qui dataient de l'époque de Radio Constantine et qui en prenait soin comme de la prunelle de ses yeux. Un voyage de folie, qui allait d'une scène à une autre, d'un genre musical à un autre, le tout compilé dans une sensation d'unicité époustouflante. Toute la magie du film est là, et visiblement Semiane pouvait se passer d'une composition dramatique. Car tout y est dit en musique et en poésie.