La démission du Premier ministre Saad Hariri va-t-elle constituer une solution à la crise libanaise provoquée par les manifestions populaires, en cours depuis déjà 15 jours ? Rien n'est moins sûr si l'on prend en compte l'impact régional de ce petit pays de 6 millions d'habitants, sachant sa grande diversité ethnique et confessionnelle. Il a donc suffi de l'annonce de l'impôt sur les appels WhatSapp pour que les Libanais, indépendamment de leur appartenance politique, ethnique ou religieuse, crient à l'unisson leur ras-le bol de l'incurie d'un gouvernement incompétent et contre la corruption des hauts responsables du pays tant il est vrai que l'écrasante majorité des populations avoue être à bout et finit par se révolter contre les conditions de vie précaires, voire chaque jour un peu plus intenables. « Yetnahaou ga3 » scandent, à leur façon, les Libanais sortis dans la plupart des villes, selon le mot d'ordre du Hirak algérien — qui entame, ce vendredi 1er Novembre, son huitième mois. En l'espace de deux semaines, tout le gouvernement doit partir et céder la place à des technocrates susceptibles de sortir le pays de cette impasse, clame une foule déterminée à aller au bout de ses revendications. Le très controversé Saad Hariri, 49 ans (il possède la nationalité saoudienne), n'a sans doute pas fait oublier ses démêlés avec son parrain, l'Arabie Saoudite, qui, après l'avoir forcé à démissionner à partir de Riyad en novembre 2017 et l'humiliant, malgré ses dénégations, de la plus vile des manières. Il sera remis sur selle peu de temps après, par la grâce de Paris, notamment. Cette volonté de changement n'est toutefois pas du goût de tout le monde à l'intérieur du Liban : Hezbollah et Mouvement Amal ne veulent pas se mettre au diapason du Hirak libanais ni surfer sur la vague de contestations d'un système qui a bâti la richesse de ses mentors sur la misère de la majorité. Il était donc évident qu'il voie d'un très mauvais œil l'impressionnante chaîne humaine de solidarité, longue de 170 km. Pour la simple raison que les deux mouvements chiites entendent peser sinon influer directement sur le cours des événements… qui les ont pris de court. Leurs militants, rompus à la « bagarre », n'ont pas hésité à jouer des biceps, démolissant les barrages qui barraient les routes d'entrée des villes. Il faut savoir que Hassan Nassrallah, fer de lance de la résistance aux agressions de l'Etat d'Israël, a refusé que ses ministres au gouvernement démissionnent. Force incontournable dans l'échiquier politique libanais et régional, le Hezbollah tentera-t-il de tuer dans l'œuf les revendications politiques et sociales ? De plus, ce parti ne se contente pas d'être seulement acteur de la scène politique interne au Liban puisque ses engagements l'amèneront à s'impliquer au dehors, particulièrement en Syrie, au Yémen et reconnaît publiquement ses liens avec l'Iran, au grand dam d'une Arabie Saoudite jalouse de son rôle hégémonique dans cette région du Proche-Orient. Pot de fer contre pot de terre, le rapport de force dans le contexte des manifestations populaires contre le pouvoir en place fonctionne de façon souterraine qui échappe aux aspirations de changement dans un processus pacifique et démocratique. C'est dire qu'à la faveur de ces contestations, l'ordre établi ne risque pas d'être remis en cause aussi facilement. Ou pas du tout. En effet, l'occupation de la Palestine, l'état de guerre permanent au sud du pays font du Liban l'otage d'un enjeu qui dépasse malheureusement ses frontières. Les Libanais, traumatisés par 15 ans d'un conflit (1975-1990) des plus meurtriers (140 000 morts, 17 000 disparus), ne veulent pas revivre ce scénario du pire et tiennent aux accords de Taëf (parrainés par l'Algérien Lakhdar Brahimi) qui ont mis fin à la guerre civile. Quelle porte de sortie de crise alors pour les Libanais ? Le Liban dépasse-t-il par son envergure historique et géostratégique ses dirigeants, comme l'a clamé, dans un moment de forte émotion, la star de la chanson libanaise Majda Roumi ? Et comme pour confirmer les craintes ne voilà-t-il pas les réactions internationales aux relents d'ingérence dans une affaire interne. La première nous vient du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui, lui, parle plutôt de « grave crise » que traverse le pays appelant à la sauvegarde de sa « stabilité et sa sécurité ». Washington lui emboîte le pas et suggère aux dirigeants libanais de former un nouveau gouvernement et de « répondre aux besoins du peuple ». Traumatisé par des conflits à répétition, le Liban aura ainsi à panser ses blessures anciennes et nouvelles. Il reste à espérer que l'équilibre fragile né des accords de Taëf, qui consacrent le partage du pouvoir entre les principales forces jadis en guerre, résiste aux vieux démons. Brahim Taouchichet