« Je suis un islamiste convaincu de par mon histoire et mon parcours .» Abdelkader Bengrina était, visiblement, agacé par une question d'un journaliste, ce dimanche 10 novembre, dans le cadre d'une conférence de presse tenue au forum du journal El Wassat. Il a tenu à rappeler, de façon péremptoire, son appartenance politique à la mouvance islamiste algérienne qui se perd encore en conjectures quant à se déterminer par rapport aux élections décidées pour le 12 décembre prochain. Elections à haut risque s'il en est, compte tenu du contexte du Hirak et de mots d'ordre scandés par les manifestants. Abdelkader Bengrina, 57 ans, président de Harakat El Binaa est le premier candidat à la candidature de la prochaine présidentielle. Ce transfuge du MSP de feu Mahfoud Nahnah crée avec ses amis son propre parti en 2013. Costume-cravate, un peu guindé, il fait néanmoins face à la presse toujours le sourire en coin sans se départir pour autant du sérieux qu'il met dans l'analyse de la situation économique du pays qu'il considère critique et allant même jusqu'à tirer la sonnette d'alarme quant à sa gravité. Cet ancien ministre du Tourisme de la coalition gouvernementale avec le MSP (1997-1999) clame aux yeux des présents sa probité. « J'ai les mains propres, je n'ai rien volé », dira-t-il, arguant d'un rapport de la Cour des comptes, institution mise par la suite en veilleuse par le Président déchu. La corruption sera d'ailleurs un sujet-phare de son intervention tout en proposant des solutions que « le peuple sera invité à approuver ou non ». Abdelkader Bengrina joue avec les chiffres induits par cette plaie qu'est la corruption dont sont responsables les gouvernants, aujourd'hui pour beaucoup en détention provisoire. En attendant leur jugement définitif ? La « bande », comme sont qualifiés les tenants du régime Bouteflika, est responsable du détournement de 150 milliards de dollars dont la plupart sont des crédits sous forme d'entreprises non créatrices de richesses, dira-t-il. Le leader de Harakat El Binaa n'y va pas avec le dos de la cuillère dans ce domaine qui le révolte mais qui, surtout, lui donne du grain à moudre dans la gestion de sa campagne pour la présidentielle. Il s'étendra ainsi sur les moyens de récupérer les biens mal acquis « en accord avec les prévenus » qui doivent apposer leur paraphe dans toutes les opérations de rapatriement des capitaux financiers (comptes en banque) ou matériels (hôtels, sociétés, résidences, etc.). Il s'insurge devant les scandaleux virements en devises effectués par les banques algériennes vers l'étranger. Ainsi 950 millions d'euros vers l'Espagne et 650 millions d'euros vers l'Italie, notamment. Dans la lutte contre la corruption, il cite pour cela l'exemple de l'Arabie Saoudite qui a mené avec succès pareille opération. Par la suite, dit-il, on pourra imaginer, éventuellement, une amnistie que seul le peuple décidera dans le cadre d'un référendum. Dans le cas de l'élargissement des détenus, ils ne pourront reprendre uniquement que leurs biens initiaux, sans commune mesure avec tous les détournements. Retour salvateur à la case départ ? Toujours en matière de chiffres, le conférencier prend à témoin l'assistance : la dette publique de l'Etat est à 52%, tous les indicateurs sont au rouge, soulignera-t-il, citant un rapport de la Banque mondiale. Avec des réserves devises de 60 milliards de dollars, Abdelkader Bengrina exclut l'intérêt des investisseurs étrangers (IDE) pour le marché algérien. Par ailleurs, il s'attaquera violemment à la « tchippa » (commission) « Monsieur 10%, voire 30% ! ». « Cette mentalité doit à jamais disparaître dans l'Algérie de demain pour laquelle nous nous engageons .» Il appuie sa déclaration en citant les surfacturations dans le budget d'équipements (600 milliards de dollars) qui auraient atteint 30% ! Dans cette optique, le chef de Harakat El Binaa dénoncera le scandale de l'industrie de montage automobile qui s'avère ruineuse pour l'économie du pays et très faible pourvoyeuse d'emplois, dernier souci des concessionnaires autos. Abordant les idées forces de son programme de campagne, le natif de Ouargla, qui dit appartenir à la génération postindépendance (il est né le 1er janvier 1962 !), insistera sur le rôle d'avant-garde dans la lutte de Libération nationale de sa wilaya. « Pourquoi pas un Président issu du Sahara ?» lancera-t-il. Abdelkader Bengrina soulignera dans ce cadre : « Aujourd'hui, nous n'avons plus de candidat-Président comme par le passé ou qui réclame la légitimité historique et où tout était joué d'avance .» Il met un point d'honneur que son parti soit le premier à revoir le Smig, l'IRG et les congés de maternité qui doivent être allongés pour la bonne santé du nouveau-né. «Nous œuvrons pour une nouvelle Algérie, celle de l'après-22 février, date de l'insurrection citoyenne pacifique qui a emporté le régime Bouteflika.» Mieux, le chef du mouvement islamiste estime qu'avec son parti, il a été le précurseur de « l'intifadha ». Pour cela, il affirme avec force conviction que le candidat Harakat El Binaa fait siennes les revendications du Hirak, sans prétendre pour autant le représenter et que le nouveau Président servira, enfin, les intérêts de la communauté et non pas les siens. « Il y a, dit-il, un avant et un après Hirak .» A ce propos, Abdelkader Bengrina rend un vibrant hommage au moudjahid Lakhdar Bouregaâ, âgé, alité et très affaibli par l'opération chirurgicale qu'il a subie il y a quelques jours et demande sa libération immédiate. Au plan de l'actualité, il considère comme nulles et non avenues la loi sur les hydrocarbures et la loi de finances 2020 (qui cache un grave déséquilibre). Il en est de même pour le mouvement des 3 000 magistrats (cause de la grève) et des walis. Evoquant, par ailleurs, les rapports de son parti avec les autres formations politiques – qui lui proposent une coalition, Abdelkader Bengrina affirment les rejeter et apprécie le soutien du parti Hamas de Mokri. Le candidat à la présidentielle du 12 décembre promet de se lancer avec détermination dans cette campagne électorale à venir qui commence déjà pour lui dans certaines wilayas du Sud. B. T.