La salle de conférences du journal El Hiwar ne résonnera pas au slogan «Tebboune président», scandé avec portrait brandi comme ce fut le cas samedi dernier à la maison de la culture Mohamed-Laïd-Al-Khalifa à Batna et au centre de jeunes de Khenchela. Entouré de son staff de campagne, le candidat à l'élection présidentielle prochaine se voulait plus pédagogue, plus explicite quant à son programme de 54 points rendus publics au demeurant depuis quelques semaines. Pour autant, il a tenu à préciser, hier dimanche, qu'il rejetait l'appellation de promesses électorales mais plutôt d'engagement. Et il va loin demandant — comme il l'a fait face à un jeune à Khenchela — de le confondre avec vidéo à l'appui, dans le cas où il trahirait ses engagements une fois élu à la magistrature suprême. Ce dimanche 24 novembre, devant un parterre de journalistes de la presse nationale, il n'a pas dérogé à la règle qu'il s'est apparemment fixée, autrement dit aborder sans tabous tous les sujets qui intéressent la vie des Algériens, qu'ils soient d'ordre économique, social, culturel et à fortiori politique. Tout en ne sortant pas de l'obligation de réserve que lui impose son statut de cadre de l'Etat.C'est donc dans un calme olympien qu'il s'est livré à l'exercice ardu d'expliquer et de convaincre, face aux médias venus en masse, ainsi qu'il l'a relevé lui-même. Il est vrai aussi qu'à l'occasion de la conférence d'El Hiwar, hier, le prétendant à la magistrature suprême est revenu sur des thèmes abordés dans les deux wilayas de l'est du pays. Des annonces fortes, il y en a eu sur les impôts, les bas salaires, la moralisation de la vie publique, la justice, le système politique qu'il propose, les revendications du Hirak, allant jusqu'à affirmer qu'il reçoit et débat avec des activistes du mouvement populaire et de la société civile en général. Imperturbable, Abdelmadjid Tebboune ne semble pas s'émouvoir des opposants au scrutin, reconnaissant à chacun le droit de s'exprimer librement, mais soulignant toutefois que si la majorité doit respecter la minorité, cette dernière ne doit pas aussi imposer ses vues à la majorité. «Chacun est libre de voter pour moi ou pour d'autres.» Il reprend cependant une idée avancée au meeting de Khenchela, à savoir intégrer dans son futur gouvernement des jeunes, sur la base du critère de la compétence qui aura en charge la jeunesse. C'est cette démarche politique qui s'impose pour éviter tout dérapage et l'aventure. A ce propos, il réitère son rejet de la transition. Il faut rétablir la confiance entre les gouvernants et les citoyens, dit-il, ce qui l'amène à insister sur l'instauration de l'Etat de droit. L'Algérie, dira-t-il, a les moyens de s'en sortir grâce aux capacités intrinsèques de son peuple, car les solutions existent et elles ne sont pas d'ordre exclusivement financier. Il affirme qu'il est rejoint par plusieurs sensibilités, islamistes ou autres : «Je leur dis voici mon programme, bienvenue», insistant sur l'importance des débats contradictoires : «Moi, je respecte tous les avis», la finalité étant l'intérêt de l'Algérie, dit-il. Selon lui, aucun candidat ne peut se prévaloir de plus de 250 000 soutiens, alors que le corps électoral est de plus de 14 millions de personnes. Abdelmadjid Tebboune n'a pas esquivé les questions qui fâchent dont celle en rapport avec l'homme d'affaires Allilat qui reste du ressort des services de sécurité et de la justice. L'occasion pour lui de réitérer son appel à une justice indépendante et contre toute ingérence (la justice du téléphone). Il parlera, chose nouvelle, de la nécessité de prémunir nos magistrats contre les tentations qui ont pour nom la corruption sous toutes ses formes. Cela doit être concrétisé dans un Etat de droit en harmonie avec un «régime parlementaire adapté au régime présidentiel et à notre mentalité» car ce système a montré aujourd'hui ses limites, à l'exemple de la Grande-Bretagne avec le problème du Brexit ainsi que dans d'autres pays de l'Europe. Le candidat libre, comme il se plaît à le répéter, promet la réforme du système fiscal qui ne s'applique qu'à Sonatrach et aux travailleurs, alors que beaucoup de secteurs privés y échappent. A propos des travailleurs, Abdelmadjid Tebboune donne l'impression de s'insurger contre les bas salaires (18 000 – 30 000 DA), proposant de mettre en place les mécanismes innovants comme solution et élever le niveau de vie des classes moyennes, laminées par la crise depuis les années 1990. Il cite à son actif la prime de scolarité qu'il a introduite en tant que ministre en 2001, et préconise une prime mensuelle pour les revenus mensuels moyens. Argent pour argent, le candidat Tebboune se fait fort pour avoir été au fait de certaines pratiques quand il était en fonction, et en particulier en tant que ministre du Commerce. «Quel que soit le montant récupéré, par exemple 5 milliards de dollars suffiront à régler le problème de retraites, y compris ceux des militaires.» Mais comment récupérer cet argent volé ? «Je connais les mécanismes pour ce faire mais il faut être en position de force sur la base des dossiers traités avec la justice.» SKD-CKD : une aberration selon le conférencier, qui met le doigt sur les graves dérives de la surfacturation. Le candidat au poste de président de la République surprendra plus d'un en se laissant aller à une sorte de nostalgie, parlant des grandes sociétés nationales comme l'Eniem, l'Enie, Sonacome et bien d'autres entreprises souveraines qui ne sont plus aujourd'hui que l'ombre d'elles-mêmes, mettant le marché à se contenter de «l'importation des produits manufacturés qui peuvent être facilement faits ici». Les équilibres budgétaires (notion dépassée pour lui), le marché parallèle de la devise, la situation de la culture, seront aussi au menu des débats au siège d'El Hiwar. Abdelmadjid Tebboune, qui a été logiquement interpellé sur les arts, a plaidé pour «la mise en place d'un baccalauréat des arts et de la musique, l'ouverture de studios de cinéma, rappelant le génie créateur des Algériens et la diversité de la richesse de la société…». Chronique des années de braises de Lakhdar Hamina, La bataille d'Alger par Gillo Pontecorvo… Ce film de nostalgie boostera-t-il le candidat Tebboune au huitième jour de la bataille pour la présidentielle ? B. T.