Le Parlement a accepté hier la démission du gouvernement d'Adel Abdel Mahdi dans un Irak en deuil, y compris dans les régions sunnites jusqu'ici à l'écart de la contestation, alors que les violences ont fait un nouveau mort à Baghdad. L'Assemblée, qui s'est réunie en ce premier jour de la semaine, a annoncé qu'elle allait demander au président de la République Barham Saleh de nommer un nouveau Premier ministre. En attendant, M. Abdel Mahdi (77 ans), un indépendant sans base partisane ni populaire arrivé au pouvoir il y a 13 mois, reste à son poste pour gérer les affaires courantes. Dans le même temps, la mobilisation populaire contre le pouvoir se poursuit, dans le sud chiite mais aussi dans le nord sunnite, jusqu'ici resté à l'écart, après un déchaînement de violence ces derniers jours. Dimanche, pour la première fois en deux mois de manifestations endeuillées par plus de 420 morts et des milliers de blessés, un officier de police a été condamné à mort pour avoir tué deux manifestants à Kout, au sud de Baghdad. Les autorités, qui accusent depuis le 1er octobre «des tireurs non identifiés» de viser indifféremment manifestants et forces de sécurité, a reconnu par endroits un «usage excessif de la force». Elles ont aussi limogé en quelques heures un militaire qu'elles avaient dépêché pour «restaurer l'ordre» à Nassiriya, la ville d'origine de M. Abdel Mahdi, mais qui y a ouvert les portes du chaos jeudi. Le calme est revenu samedi soir dans cette ville, après sa reprise en main par les dignitaires tribaux qui ont fait sortir leurs combattants en armes. Hier, les tribus de la ville sainte chiite de Najaf, elle aussi entrée dans une spirale de violences avec l'incendie mercredi soir du consulat d'Iran, tentait d'intercéder pour que les tirs cessent. Là, aux abords du mausolée d'une figure tutélaire d'un parti chiite, des hommes en civil ont tiré sur les manifestants qui ont déjà incendié une partie du bâtiment. Après la mort, depuis jeudi, d'une vingtaine de personnes, pour beaucoup sous les tirs de ces hommes, les habitants redoutent que la situation ne dégénère plus encore. La démission du gouvernement n'est qu'une «première étape», ont répété à l'envi les manifestants dimanche sur les places de Baghdad et des grandes villes du sud. «Qu'Abdel Mahdi dégage, le Parlement aussi, et les partis et l'Iran», a énuméré un jeune manifestant dans la capitale alors que, pour la rue, c'est tout le système politique installé par les Etats-Unis après la chute de Saddam Hussein en 2003 et désormais sous mainmise iranienne qu'il faut changer. Elle réclame aussi le renouvellement complet d'une classe politique qui a déjà fait s'envoler dans les vapeurs de la corruption l'équivalent de deux fois le PIB de l'un des pays les plus riches en pétrole au monde. Alors que les cercles politiques ont déjà fuité des noms, comme des ballons d'essai, tous sont rejetés sur la place Tahrir de Baghdad. «Nos martyrs ne sont pas tombés pour les partis, mais pour la patrie», s'est emporté un protestataire. Sur Tahrir et ailleurs, les défilés du jour se sont transformés en processions funéraires, y compris à Mossoul, la grande ville sunnite du nord, où des centaines d'étudiants vêtus de noir se sont rassemblés. Les provinces sunnites, reprises au groupe terroriste Daesh il y a deux ans, s'étaient tenues à l'écart du mouvement jusqu'ici. Si leurs habitants se plaignent des mêmes maux que dans le sud, ils redoutent d'être taxés de nostalgiques du pouvoir de Saddam Hussein ou de celui de Daesh, accusations déjà portées ailleurs contre les manifestants par leurs détracteurs. Après deux mois de contestation, Zahra Ahmed, étudiante en odontologie à Mossoul, estime toutefois que «c'est le minimum» à faire «pour les martyrs de Nassiriya et Najaf», deux villes du sud où près de 70 manifestants ont été tués ces trois derniers jours. «Nous sommes présents, tout l'Irak est présent, maintenant le gouvernement doit répondre aux revendications», a renchéri Hussein Khidhir, étudiant en sciences de l'éducation. Vendredi dernier, une autre province sunnite, celle de Salaheddine, au nord de Baghdad, avait déclaré trois jours de deuil. Dimanche, huit provinces du sud chiite ont observé ce deuil. Les autorités locales y ont même décrété un jour chômé pour les fonctionnaires.