Les images d'Algériens se bousculant ou sagement alignés pour attendre le sachet de lait redevenu problématique ont envahi les réseaux sociaux ces derniers jours. On faisait comment avant, quand il n'y avait pas internet et Facebook ? Eh bien, on… vivait les pénuries de lait et de bien d'autres choses encore. Le matin on partait à l'assaut des espaces qu'on nous avait recommandés la veille. Tout le monde savait qu'il n'y avait pas de lait mais chacun savait où en trouver. On allait alors faire la «chaîne» avant l'ouverture de l'échoppe promise au ravitaillement. On peut être évidemment servi au prix d'une longue attente et parfois d'une périlleuse mêlée. Ou revenir bredouille, ce qui est plus fréquent, les pieds en bouillie et le désespoir sur l'épaule. Et le soir on râlait ou on se tournait en dérision. Un pays sans lait, il y a de quoi désespérer mais aussi de quoi rire de soi ou de laisser exploser sa colère. On a fait tout ça, puis il y a eu… du lait. On sait que ce n'est pas parce qu'on a importé et distribué des vaches mais parce qu'on a donné des permis d'importer de la poudre et ouvert des «usines» pour la mélanger avec de l'eau. Il paraît que mélanger de la poudre et de la flotte est une «industrie». La poudre puante et l'eau douteuse, on appelle ça la «transformation». Mais il y a du lait même si ce n'est pas vraiment du lait et c'est déjà mieux qu'avant. Puis le pays a rechuté. Cycliquement, on découvre qu'il n'y a finalement pas de lait. Il paraît que les gouvernants faisaient exprès de nous occuper avec le lait pour nous détourner des choses sérieuses. Ce n'est pas sérieux, le lait ? Si, c'est sérieux et pour preuve, ça peut vous détourner de la… politique. Il y a toujours du lait à l'approche des élections, pendant et juste après. Le reste du temps, on ne sait jamais. Pendant le «printemps arabe», on avait laissé entendre que le prix du lait allait augmenter puis on a démenti l'information qui est évidemment une rumeur malveillante. Surtout pas ça, la subvention ne profite pas vraiment aux plus faibles mais on ne touche pas aux «acquis», n'est-ce pas. Ça fait un moment qu'on n'a pas manqué de lait, c'est louche. Il ne fallait pas parler trop vite, nous y sommes, avec le Hirak et Facebook en plus. Il manque quand même les cravatés du ministère du Commerce qui venaient nous expliquer les raisons d'une (toujours) «légère tension sur le produit». On n'a jamais vu un enfant prendre des «explications» au petit déjeuner mais ce n'est pas important. On n'a jamais vu un Algérien écouter les explications d'un rond de cuir, non plus. Avant, on remettait rapidement du lait dans les échoppes puis on annonçait rapidement et solennellement qu'il y a finalement du lait et que son prix ne bougera pas. Les gouvernants redoutaient la rue. Depuis une année, la rue est dans… la rue. Ça ne parle pas de lait mais ça n'a pas oublié le… yaourt ! S. L.