À Alger, chaque semaine, dans les tribunaux se tient le procès du siècle tant les révélations successives sont hallucinantes et la défense des prévenus l'est encore plus. Quatre mandats à cheval entre deux siècles renferment une longue série de prédations. A la barre se bouscule la majeure partie du gotha politique de l'ère bouteflikienne. Chaque prévenu, ministre, haut responsable ou homme d'affaires est à lui seul un grand coffre-fort où étaient, continuellement, déversées les richesses du pays. Le Trésor public alimente les carnets de commandes d'oligarques pour des projets inachevés souvent et parfois bâclés mais toujours payés rubis sur l'ongle. En cumulé et dans la durée, le chiffre des projets octroyés à l'ETRHB, entreprise d'Ali Haddad, représente le quart du PIB du Malawi (2018). C'est quasiment un budget d'Etat mais un Etat vérolé. Je ne veux pas, dans ces lignes, m'adonner à une approche nominative ni faire de moi un juriste de comptoir. Toutefois, en toute logique, l'honnêteté des donneurs d'ordre de ces contrats et projets faramineux est questionnable. A leur tête, le chef de l'Etat. Responsable mais pas coupable ? L'histoire de la corruption en Algérie est longue. Une date particulière me semble être celle de la naissance de la corruption à une échelle industrielle. L'affaire «Khalifa et son issue sont un «bon pour le service » délivré à la prédation. Depuis, la corruption est inscrite à l'encre invisible sur la Constitution comme un devoir, voire un droit pour les tenants de la décision économique. Ces derniers, protégés par l'onction présidentielle, ont abusé avec zèle de ce «droit». L'affaire «Khalifa» est le «patient zéro» du virus de la corruption. S'installe une pandémie en Algérie mais aucune alerte n'est donnée ni aucune contre-mesure prise. Je ne commente pas cette décision de justice mais je note tout simplement que certains membres de l'honorable famille Keramane ont été lourdement condamnés pour une relation inexistante avec la nébuleuse Khalifa, alors que d'autres... Ce jugement est en soi une invitation «Louis-Philliparde», lancée par le Président à sa cour nombreuse et cupide. De nouveau devant la cour de justice, deux anciens Premiers ministres, condamnés déjà, face aux accusations sur le financement du mort-né cinquième mandat, ils affirment qu'ils n'ont fait qu'appliquer la loi votée par l'Assemblée nationale et le programme de Bouteflika. « Il n'y a ni justice ni Parlement», déclare un et l'autre d'affirmer : «Je ne suis pas un corrompu.» Selon eux, «un seul coupable, Bouteflika» crié avec la même certitude que ceux qui scandent : «Un seul héros, le Peuple.» L'absence du Président déchu à la barre est de moins en moins compréhensible. D'autant plus, en lisant le discours de feu Ahmed Gaïd Salah, prononcé à la mi-juin dernier où il affirmait que personne n'était au-dessus des lois, je croyais que Bouteflika était aussi montré du doigt. L'ex-Président peut difficilement dire «Responsable mais pas coupable.» Aussi, me vient en tête le procès, certes expéditif, du dictateur Ceausescu dont la finalité n'est autre que la construction de la légitimité du nouveau pouvoir roumain postcommuniste. Un procès est parfois une séance d'exorcisme d'un mal qui hante une personne et pourquoi pas un pays. Me vient en tête un autre exemple, celui d'un autre Président déchu : Hosni Moubarak. Au pouvoir depuis 1981, son cinquième mandat à peine entamé, il est très vite emporté par la déferlante du «printemps arabe». Officiellement, comme Bouteflika, il démissionne le 11 février 2011. Contrairement (pour le moment ?) à l'ex-Président algérien, il est présenté aux juges, avec son fils Gamal, version cairote de Saïd, peu de temps après. La foule en liesse élit démocratiquement l'islamiste Morsi à la tête de l'Etat. En Egypte, les archives sont ouvertes et les langues se délient. L'Egyptien apprend avec stupeur l'étendue de la corruption et du pouvoir démesuré de Gamal, le Président-fils. Chef d'orchestre des dernières campagnes électorales de son père, peu à peu Gamal devient le véritable détenteur du pouvoir. Comme Saïd, en Algérie mais avec la cocaïne en moins. Gamal accorde contrats et projets, il nomme et dégomme. Au point où les observateurs anglo-saxons avaient surnommé l'Egypte «The House of the Rising Son» (la maison du fils ascendant), titre déformé d'une chanson traditionnelle du folk américain et dont la version française est intitulée «Le pénitencier». Prémonitoire ! Quelques années plus tard, en 2017, après l'incarcération du Président Morsi, Hosni Moubarak est acquitté, son fils est libéré après avoir purgé une peine de trois ans d'emprisonnement. Contrairement aux Egyptiens, j'étais surpris par l'hommage national rendu à Hosni Moubarak. Des funérailles militaires où le Président Sissi marche derrière le cercueil, marche solennellement aux côtés des fils Moubarak. J'en parle avec un vieil ami, venu du Caire. Il m'explique que pour les Egyptiens, la guerre de Kippour est un événement historique et Hosni Moubarak, officier d'aviation, est un héros de cette guerre, de par ses faits d'armes. En effet, l'ancien Président égyptien avait véritablement fait la guerre, lui. L'Algérie n'est pas l'Egypte qui a jugé et honoré, à titre posthume, son Président. Je ne sais pas si le tribunal de Sidi-M'hamed est équipé de facilités pour permettre l'accès aux personnes handicapées. Je ne crois pas, non plus, qu'un procureur fera son réquisitoire devant un portrait encadré de dorures et à qui on rendait les honneurs et on offrait des cadeaux avec applaudissements mais je suis sûr que l'ex-Président n'aura pas de funérailles ni militaires ni nationales. Même si le tombeau de la Chrétienne n'est pas loin de Zéralda. N. B. E.-M.