De notre correspondante à Rome, Aïcha Abdeslem La situation de la presse écrite en Italie n'était pas des meilleures avant la pandémie due au coronavirus. Mais les mesures drastiques de confinement sur tout le territoire et la fermeture de plusieurs centres commerciaux et points de distribution ont privé les sociétés éditrices de recettes substantielles. Valerio Piccioni, journaliste responsable de l'édition romaine du plus grand quotidien de sport européen, La Gazzetta dello Sport, nous explique comment travaillent ses confrères dans ces conditions d'isolement avec l'impossibilité de se déplacer. Cette pandémie risque-t-elle de donner le coup de grâce à une presse déjà en crise ? Je ne sais pas si ce sera le coup de grâce, mais c'est certainement une épreuve très dure pour la profession, surtout pour la presse écrite imprimée. Les ventes vont encore chuter et les annonceurs, frappés eux aussi par l'arrêt de la machine de la production, seront moins enclins à financer les journaux. Par contre, les médias online résistent mieux vu que les personnes sont confinées chez elles et ont beaucoup plus de temps pour se connecter et lire les informations sur le Net. Le pays est certes presque immobile mais il combat avec force face à cette situation d'urgence qui menace, non seulement, la presse mais tous les domaines de la vie économique et sociale de la péninsule. Votre rédaction centrale se trouve à Milan, premier foyer de la contagion. Comment vous êtes-vous organisés pour continuer à travailler ? La direction a mis la plupart des journalistes au «smart working», la formule qui leur permet de travailler de chez eux. Seuls 15 ou 20% de la rédaction demeurent au siège pour assurer une présence physique et garantir les tâches qui ne peuvent être effectuées autrement. Evidemment, en prenant toutes les précautions et en portant les protections (masques, gants...). Toutefois, je crois que les responsables vont réduire ultérieurement ce nombre. Même si les kiosques à journaux font partie des rares commerces encore autorisés à ouvrir, avez-vous observé une forte chute des ventes ? Il est clair que lorsque la presse se débat dans des problèmes de rentabilité, les quotidiens sportifs se découvrent les plus vulnérables. Le sport est une activité et un loisir qui devrait faire sourire et amuser les lecteurs, mais lorsque les consommateurs sont poussés à choisir entre les produits de première nécessité et l'information sportive, leur choix est vite fait. Pourtant, notre journal a ajouté depuis des années des pages politiques à son édition, pour permettre au lecteur qui achète La Gazzetta dello Sport d'avoir une information complète. Concernant les ventes, les kiosques sont encore ouverts, en effet, mais comme en Italie, la tradition veut que les cafés mettent à la disposition de leurs clients toute la presse le matin, et vu que ces commerces sont fermés par décret, c'est une grande tranche de nos abonnés qui s'en va. Beaucoup de journaux italiens proposent, à présent, à leurs lecteurs un abonnement mensuel de leur version on-line pour un euro symbolique. Est-ce par solidarité avec le lectorat ou pour se garantir des entrées minimes ? Je dirais plutôt que c'est pour fidéliser leurs lecteurs et ne pas les perdre dans ces circonstances tragiques. Un abonné, c'est un lecteur qui vous suit, qui reste loyal, même dans les moments difficiles. Et si on lui fait payer un prix minimum aujourd'hui, demain il sera enclin à débourser plus pour ne pas perdre son fil d'actualité et rester au courant, non seulement, des nouvelles sportives mais également de celles qui touchent la vie sociale, culturelle et politique du pays. Malgré vos problèmes, votre groupe éditorial a lancé une campagne de solidarité pour réunir des fonds destinés à soutenir le secteur de la santé... Absolument, il s'agit d'une collecte de fonds lancée par notre quotidien, par le Corriere della Sera et la télévision La 7. Il est de notre devoir de faire quelque chose pour soulager les hôpitaux qui se trouvent sous une grande pression. Nous le devons au personnel médical qui combat jour et nuit pour ne priver personne de son droit aux meilleurs soins. Notre visibilité est utile en ces moments car elle nous permet de recueillir des dons d'entreprises, d'hommes d'affaires et même de simples lecteurs qui, spontanément, veulent contribuer à l'effort général pour aider notre pays dans ce drame de la pandémie. Êtes-vous optimiste pour le futur de la presse et de l'Italie ? Pour être sincère, au début de cette tragédie à laquelle personne ne s'attendait et qui nous a pris tous au dépourvu, on est resté pétrifiés. Ensuite, on a vite réagi, surtout en pensant comment nos pères, nos mères et nos grands-pères se sont relevés après la guerre et comment ils ont reconstruit l'Italie. Il faudra sans doute beaucoup de force et de constance, mais on le fera. Pour nous-mêmes, mais surtout pour ceux qui n'ont pas survécu à cette pandémie. A. A.