Il était une fois, un Président puissant, le plus puissant au monde qui avait une vision sur des contrées lointaines. Plus précisément un projet jamais expérimenté dans cette région : la DEMOCRATIE. George W. Bush conseillé par les néoconservateurs prend une initiative inédite connue sous le nom de «Grand Moyen-Orient». Son objectif est de transformer le paysage politique et économique de tout cet ensemble. Son idée est simple : «Tant que le Moyen-Orient restera un lieu de tyrannie, de désespoir et de colère, il continuera de produire des hommes et des mouvements qui menacent la sécurité des Etats-Unis et de nos amis. Aussi, l'Amérique poursuit-elle une stratégie avancée de liberté dans le Grand Moyen-Orient», déclame-t-il. Il est vrai que le 11 septembre 2001, l'Amérique a essuyé de tragiques et inqualifiables attaques. Hormis l'invasion de l'Afghanistan, la riposte américaine est plus globale : inscrire la démocratie au Moyen-Orient. Telle est la doctrine Bush. Elle nécessite la chute du tyran de Baghdad. Ce dictateur sunnite qui opprime la majorité de son peuple shiite et sans oublier les Kurdes. Sans aucune résolution onusienne, une coalition militaire internationale, conduite par les Etats-Unis, envahit l'Irak. Le conte de liberté raconté par Bush peut commencer. En réalité, c'est le début d'un cauchemar. Quelques années plus tard, au lieu de voir la démocratie émerger, le monde avec l'Amérique en tête, voient apparaître Daesh, un Etat islamique où affluent des terroristes venus de toute la planète. Bien que non inscrite dans la Constitution, la corruption est un principe strictement observé par tous les gouvernements irakiens successifs. A cela s'ajoutent une crise économique, un chômage massif et l'absence de toute protection sociale pour des millions d'Irakiens. Le pays vit dans une instabilité politique aggravée depuis mille et une nuits. Les gouvernements se suivent et ils sont rejetés par la population. Durant le mois d'octobre 2019, le pays connaît un « Hirak » sans précédent. La répression est particulièrement violente. En quelques semaines, les rangs des manifestants comptent plus d'un demi-millier de morts. Sans compter les dizaines de milliers de blessés, les milliers d'arrestations arbitraires et les centaines de kidnappings. Alors que les contestataires ne voulaient qu'un changement radical qui ne pouvait passer que par la chute du régime. Un système tenu à bout de bras par les Etats-Unis ne peut s'effondrer facilement, le tout dans un climat de rivalité irano-américaine. En effet, les milices pro-iraniennes dont «El Hach Al-Chaabi» participent au carnage. Elles sont particulièrement visées par les hirakistes qui scandent : «L'Iran dehors et l'Irak sera libre.» Le 27 novembre 2019, le consulat iranien de Nadjaf est incendié par les manifestants. Téhéran ne peut rester inerte. Lors d'une réunion secrète tenue à Baghdad, le général iranien Qassem Suleimani, commandant en chef de la Force Al-Qods, les forces spéciales du Corps des Gardiens de la révolution islamique, il est à la tête des opérations extérieures iraniennes : Afghanistan, Liban (il était l'un des co-bâtisseurs du Hezbollah), Syrie et bien sûr l'Irak. Il ordonne aux milices sous ses ordres de mener des attaques sur des cibles américaines. Qassem Suleimani veut ainsi détourner la colère des Irakiens vers les Etats-Unis, la puissance tutélaire du gouvernement de Baghdad. Il souhaite provoquer la riposte de Washington. Deux jours après Noël, des roquettes s'abattent sur la base K1 à Kirkouk, où sont présents des militaires américains. Un sous-traitant américain est tué dans l'attaque. L'année 2020 qui vient de commencer est pour le successeur lointain de Bush, Donald Trump, celle de sa réélection. Le renseignement américain et ses relais dans la région se déploient pour localiser le chef de la Force Al-Qods. Ce dernier arrive en toute discrétion à l'aéroport de Baghdad, le 3 janvier de cette nouvelle année. Il descend de l'avion pour monter dans une voiture banalisée, une douzaine de véhicules constituent son escorte. Surgit du ciel un drone américain, alors que le convoi vient de quitter l'aéroport. Deux missiles sont lancés, pulvérisant le véhicule transportant Suleimani et celui d'Abou Mehdi Al-Mouhandis, chef de la milice « El Hach Al-Chaabi ». Cette attaque ciblée est ordonnée par Trump lui-même. Le Président américain ajoute qu'en cas de riposte des ayatollahs, les Etats-Unis attaqueront 52 cibles stratégiques iraniennes. Ce chiffre n'est pas choisi par hasard, il fait référence au nombre d'otages américains capturés dans leur ambassade à Téhéran et libérés grâce à l'entremise de la diplomatie algérienne, 40 ans auparavant. La réaction militaire iranienne est symbolique, des tirs de roquettes creuses sur une base américaine, sans aucun dégât, permet à Téhéran de sauver la face mais Trump remporte ce bras de fer. Il en a besoin pour sa réélection. Toutefois une victoire militaire sans solution politique a des portées limitées. Le gouvernement irakien doit changer de têtes et de pratiques. Le choix des Américains se porte sur un quinquagénaire qui dirige les services secrets irakiens depuis 2016 : Mustapha Al-Kadhimi. Commencent dès lors des tractations secrètes pour lever toute résistance iranienne à la désignation par Washington du nouveau Premier ministre irakien et dont le parcours est atypique. Al-Kadhimi passe l'essentiel de sa jeunesse en Europe, loin de l'Irak de Saddam Hussein, après un séjour en Allemagne, il rejoint la Grande-Bretagne. Il rentre à Baghdad après la chute de Saddam Hussein avec un bagage universitaire très mince qu'il tente d'étoffer dès 2012 avec une licence en droit, mention passable en suivant des cours du soir. Cependant son activité de journaliste suivie d'un entraînement militaire dans une base kurde lui permet d'étoffer son carnet d'adresses. Ses œuvres journalistiques consistent en un répertoire des atrocités commises par Saddam Hussein. Il devient ainsi une sorte de boîte noire des crimes de l'ancien régime. Ce travail n'est élaboré qu'à partir des relations avec le monde du renseignement, l'américain en tête. Ainsi, en 2016, il est désigné chef des service secrets irakiens, réceptacle de grands «humanistes». A ce titre, il est soupçonné, sans preuves, par les Iraniens d'avoir participé à l'assassinat du commandant en chef de la Force Al-Quds. Al-Kadhimi, soutenu par les Américains et les Kurdes, ne peut cependant pas être Premier ministre sans l'adoubement de Téhéran. Il s'y rend dès le début mars 2020 pour rencontrer Bagdad Al-Shamkani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité national iranien. Il rend aussi visite à Ismail Qaani, remplaçant de Qassem Al-Souleimani. Aussi, grâce aux relations de son épouse libanaise, fille d'une figure religieuse respectée et un important dirigeant du parti Al-Daâwa, il prend son bâton de pèlerin pour aller à Beyrouth afin d'avoir une entrevue avec le chef du Hezbollah, Hassan Nassrallah, au mois d'avril, en plein confinement dû au Covid-19. Quelque temps après son retour du Liban, Al-Kadhimi est chargé de former un nouveau gouvernement. Un consensus entre Téhéran et Washington lui permet, enfin, d'accéder à ce poste. Sa première décision comme chef du gouvernement est de retirer un poster géant de Qassem Souleimani, près de l'aéroport où il a été abattu. Pourtant, rien n'est encore gagné. La chute des cours pétroliers qui alimentent en devises 95% des caisses de l'Etat, met son gouvernement à la merci du FMI. En attendant, lors de sa première sortie en tant que Premier ministre, au siège de l'organisme gérant les pensions de retraite, il tient au mégaphone un violent discours anti-corruption. Aussi, s'engage-t-il à indemniser les centaines de familles des victimes du Hirak. Rien n'indique qu'Al-Kadhimi peut relever les immenses défis économiques auxquels fait face son pays mais il est un des maillons essentiels du potentiel dialogue irano-américain. Il y va de la réélection de Trump, privé de son argument de la relance de l'économie américaine mise à mal par le coronavirus. Il n'est donc pas négligeable pour le candidat sortant d'avoir éventuellement un accord avec Téhéran meilleur que celui obtenu par Obama. Reste à savoir si les Iraniens ont les moyens d'entraver les projets de Trump. Naoufel Brahimi El Mili