Si j'ai bien compté, je suis à ma dixième semaine de confinement. Mais je crois avoir bien compté. Enfin, je peux dire que c'est une sacrée expérience. Je tire chapeau aux ermites et autres adeptes de la solitude. Tourner vingt-quatre sur vingt-quatre dans un espace clos est un sacré marathon. Il faut, à chaque seconde, s'inventer une occupation, ce qui n'est pas évident pour tout le monde. Il faut disposer d'un cerveau électronique pour arriver à se créer une motivation durant tout ce temps. On frise la folie dans ce cas d'espèce. Comme le moral de l'homme est versatile, il n'est pas dit que la possibilité de laisser libre cours à son imagination est facile. Il m'arrive de vouloir sortir, comme ça, sans raison, aller prendre un café dehors, chose que je peux faire à la maison, non, la sortie est nécessaire pour mon équilibre. Comme il m'arrive de tenter l'errance du goudron, c'est-à-dire tourner sans but précis d'une rue à une autre, même si j'ai déjà usé et abusé du parcours. Dehors, je fais abstraction de mon être. Je ne remarque même plus autrui. Je n'ai pas conscience de l'environnement. Mais comment faire dans un espace clos ? Entre quatre murs ? Il est vrai que les livres ont facilité un peu la chose. Néanmoins, il faut être solide pour lire, en continu, un paquet d'heures, comme le faisait Pivot par exemple. Puis, chez le commun des mortels, la lecture n'est pas un réflexe professionnel. On lit pour le plaisir. Puis on ne va pas se mettre à lire un manuel scolaire ! Perso, lire quelques chapitres de suite est aisé, surtout quand le texte est prenant, mais il me faut tout de même me lever, me dégourdir les jambes, libérer mes yeux de l'engrenage des mots et donner de l'air à l'écrivain. C'est vrai, on ne peut pas lire un polar comme on lirait un Sartre. Même si certains diraient qu'un polar (un Chase, un Brown, un San Antonio, etc.) apporte plus de plaisir qu'un Sartre. D'autres diraient qu'un ouvrage philosophique apporte plus dans l'appréhension de la réalité. Voilà, vaste question qu'il n'est pas possible de trancher. Personnellement, les deux littératures m'intéressent ; tout dépend de l'état d'esprit du moment. Puis, il y a les téléphages, qui engloutissent tous les programmes ; pourvu qu'ils n'aient pas conscience du temps qui passe. Ils existent ces accros au petit écran. D'autant qu'avec la parabole, les programmes sont riches et variés. Depuis ce confinement, j'ai (re)découvert une série policière qui me fait river à l'écran. Il s'agit de la série NCIS. J'espère que ça ne s'apparente pas à de la pub ! Je suis cette série jusqu'à la nausée. Cela me permet de ne pas réfléchir. Même si le suspense est quasi inexistant, je trouve le jeu des acteurs prenant. Ça n'engage que moi, bien sûr. Je me laisse guider par la trame. Puis, les Américains savent y faire. Cette série est sur deux chaînes différentes. Je me permets même de revoir certains épisodes déjà vus. Je suis accro, ce n'est pas de ma faute. Hop NCIS ! Je choisis la position idéale sur mon canapé, la zappette dans la main droite, je règle le son comme il se doit et je me laisse aller, épisode après épisode. Dans ces moments-là, je n'aime pas être dérangé. Le scénario est des plus classiques : un marine est assassiné, ou kidnappé, le NCIS se met en chasse avec une adresse monstrueuse. Sidna Ramadan, après trente jours de bivouac, repart faire un tour jusqu'à l'année prochaine. Si mes comptes sont exacts, cette année on a fait le plein, trente jours, jour pour jour. Mais voilà l'Aïd, cette fois-ci, est particulier, compte tenu du Covid-19. Les pouvoirs publics ont décidé de deux jours de confinement strict. Il a été fait interdiction d'utiliser les voitures et autres motocycles. D'aucuns ont ironisé sur les réseaux sociaux sur cette interdiction. Des doigts malins ont posé la question : et les vélos ? Et les baudets ? ça s'amuse aussi dans les réseaux sociaux ; l'Algérien est très espiègle, parfois. Ça égaie un peu la Toile ; ça n'est pas plus mal ! Donc, on a fait fi des visites traditionnelles. Des bousboussates. Des accolades. Et autres étreintes. Puis, on a évité les sacro-saints gâteaux de l'Aïd. Et la limonade. Le café. Le thé. Ici et là, tous les gâteaux se ressemblent. Ici et là, il faut y goûter pour ne pas froisser la famille. Ici et là, il faut ficeler un discours de circonstance. Tout passe ! La technologie a remplacé, au pied levé, les sorties de l'Aïd. La Toile a fait le gros travail. Les sms. Le Viber. Et autres trouvailles du progrès. La petite voix me dit : «C'est virtuel tout ça, ya kho !» Je lui réponds gravement : «Et le Covid-19, tu en fais quoi ?» Il n'empêche que des citoyens ont bravé l'interdit ; ils étaient sans masque ; ils ont assouvi leur besoin de bousboussates. J'ai cru voir des bagnoles circuler. C'est interdit, non ? Non, j'ai dû avoir la berlue ! Justement, le problème se posera avec gravité au moment du déconfinement. Le civisme du citoyen va-t-il jouer dans un sens comme dans l'autre ? La puissance publique va-t-elle sévir ? A ce propos, j'ai vu sur la Toile un citoyen exhiber un procès-verbal d'un montant d'un million de centimes. Vrai ou faux ? Réalité ou intox ? Qui pourra éclairer ma lanterne ? Les bavettes existent-elles en nombre suffisant ? Le prix sera-t-il à portée des petites bourses ? Et les chômeurs ? C'est toute une organisation qu'il faut mettre en place. Et toute une logistique qu'il faut planifier. Faut-il conseiller ou sévir ? J'ai ouï-dire qu'un wali s'est lui-même déplacé pour distribuer devant une grande surface des masques de protection. Est-ce son rôle ? Comment interpréter ce geste ? Populisme ? Ou pédagogie sociale ? Il y a trop de questions sans réponses pour le moment. La fin mai est pour demain. Faut-il penser que le déconfinement est pour le mois de juin ? La prochaine semaine nous le dira. Dans la nuit du 20 mai, à l'âge de 90 ans, Salah Stétié — un des plus grands poètes contemporains — s'est éteint à Paris. Il laisse comme héritage à l'humanité pas moins de 250 ouvrages. J'ai eu l'occasion de le rencontrer à Alger, lors du «Printemps des poètes», à l'espace Noun de Nacéra et Kiki. J'ai trouvé en lui un homme charmant, esthète de ses paroles, humble et, parfois, le regard perdu dans son intériorité de brasseur de vers. Laissons conclure cet espace de parole : «Cet homme, et qui sera, viendra mourir/Dans le repli d'une rose de froid/Ayant donné son nom à toute neige/Née de la terre et revenue vers elle/Comme eau nocturne agréée par le cœur/Cet homme ayant tout sommeil donné/Son corps d'amour et son oubli, un peu/De neige vive apeurée par le froid.» Y. M.