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Pandémie Covid-19 : angoisse et espérance
Publié dans Le Soir d'Algérie le 13 - 06 - 2020


Par Hocine Kadi(*)
«La faiblesse, c'est se croire invincible.»
(Roberto Saviano)
La Seconde Guerre mondiale, considérée comme l'un des plus grands conflits de l'Histoire, a marqué le monde par sa grande couverture géographique et surtout par la terreur des armes sophistiquées utilisées. Cette puissance nucléaire destructrice représentait une menace d'extinction pour l'espèce humaine jusqu'à la fin de la guerre froide (1989). Depuis, l'accumulation de résultats scientifiques sur les activités humaines pointait de nouveaux risques bien réels générés par le réchauffement climatique et les menaces sur la biodiversité. Alors qu'on pensait que le potentiel des nouvelles technologies et des outils de prévision disponibles pouvait faire face aux défis les plus complexes, une forme de vie minuscule, imprévue et insidieuse, arrive et bouleverse toute la planète. Partie de Wuhan en Chine en décembre dernier, l'épidémie générée par ce nouveau coronavirus n'a pratiquement épargné aucun pays.
Le vocable pandémie, qui rappelle les épisodes catastrophiques du passé (peste, variole...), a finalement été lâché le 11 mars dernier par le directeur de l'OMS. Jamais l'humanité n'a connu une crise si grave, un choc si violent avec un arrêt presque complet de tous les échanges et voyages. La vie est devenue irréelle, anxiogène. Le quotidien s'est inversé; avant, on courait pour être à l'heure, maintenant on se bat contre soi-même pour rester en place. Retranchés derrière leurs frontières, tous les pays sont engagés dans une course folle pour essayer d'endiguer l'épidémie. Tout en invalidant notre vision optimiste du monde, cette crise sanitaire nous offre un champ de données dont nous pouvons tirer de précieux enseignements.
Sommes-nous dans un monde de prévisions ?
On pensait que l'humanité, grâce aux grandes avancées technologiques, était capable de trouver des solutions aux défis les plus complexes. En effet, les grandes capacités expérimentales dont nous disposons et l'accès à un immense réservoir de données collectées devraient permettre à la puissance extraordinaire de calcul et à l'intelligence artificielle de tout prévoir. Nous nous sentions forts et en sécurité, capables de faire face à tous les aléas. Hélas, ce ne fut pas le cas. En moins de trois mois, l'épidémie Covid-19 est devenue mondiale, amplifiée par le transport aérien qui permet au virus de se propager à grande vitesse. Résultats des courses: plus de trois milliards de citoyens enfermés chez eux sans savoir si le déconfinement engagé dans beaucoup de pays ne sera pas suivi de rebond. Au-delà du nombre très déplorable de décès, nous n'avons aucune idée précise des dommages politiques et économiques qui seront infligés aux différentes sociétés.
Pourtant, la sonnette d'alarme a été tirée en 2015. Dans l'une de ses conférences, Bill Gates prédisait l'apparition probable d'un virus hautement contagieux, plus contagieux que celui d'Ebola(*). Ce virus, a-t-il dit, engendrerait une pandémie qui toucherait davantage les zones urbaines. Il a préconisé une série de mesures de prévention qui, appliquées, nous auraient mis à l'abri de cette hécatombe. Pour lui, une réponse très efficace contre les épidémies passerait par les bénéfices de la science et des technologies. Je cite : « On a des portables pour recevoir et diffuser l'information au public. On a des cartes satellites où l'on peut voir les gens et où ils vont. On a les avancées en biologie qui pourraient changer notre manière de voir un agent pathogène et nous permettre de fabriquer des médicaments et des vaccins adaptés. On peut avoir des outils, mais ces outils doivent être employés par un système de santé mondial .» Mais la réalité a été tout autre. La majorité des pays ont failli. Des milliards de dollars ont été investis dans des innovations technologiques certes utiles mais de confort et de divertissement pour améliorer la vie de tous les jours alors que les mesures nécessaires de diagnostic et de prévention n'ont pas été mises en place. Les coupes budgétaires et la vision productiviste du soin couplées au manque de masques, de tests et de respirateurs ont préparé le terrain à la pandémie.
Un virus inconnu et redoutable
Sans être une faucheuse de vie comme Ebola qui tue la moitié des personnes infectées, ce virus possède des propriétés redoutables. Complètement inconnu bien que son génome soit semblable à 88% à celui du SRAS, il se transmet facilement d'homme à homme et aucun vaccin ni aucun médicament spécifique n'existent contre lui. Il a la particularité de se propager à bas bruit contrairement au SRAS qui rendait les personnes infectées rapidement malades entraînant une hospitalisation rapide qui servait de frein à la chaîne de transmission. En résumé, ce virus se diffuse très rapidement à grande échelle, fauche les plus fragiles et explose les hôpitaux.
La grande contagion de ce virus peut aussi s'expliquer par le fait que 30% des infectés sont asymptomatiques tout en diffusant le virus et que seuls 80% des personnes porteuses qui vont se faire soigner présentent des symptômes légers. La charge virale des asymptomatiques ne semble pas être différente des symptomatiques mais le potentiel de transmission est plus important chez les symptomatiques en raison de la toux et des éternuements. Suite à un contact unique sans protection avec un individu Covid, une personne sur cinq serait infectée.
Le virus peut-il devenir plus dangereux ? Depuis le début de l'épidémie, le virus n'arrête pas de se modifier au cours de sa propagation. Les mutations observées dans son génome n'apportent cependant aucune indication sur l'évolution de sa virulence. D'après certains scientifiques chinois, la souche de type L est plus répandue que celle de type S. Cependant, la manière dont ce fléau, qui tue dix fois plus que la grippe, fonctionne n'a pas encore été élucidée. Par contre, on sait que 80% des personnes atteintes présentent des symptômes légers ou modérés, 15% sont dans un état grave et qu'environ 1% décèdent. Contrairement à ce qui ressort de certaines statistiques très orientées, il est établi que le virus peut atteindre tout le monde sans distinction de couleur ni d'ethnie.
Les gestes barrières
Face à la pandémie, seule notre capacité à agir de manière collective peut nous aider à contrer la contagion. Pour se protéger, les gestes barrières se sont rapidement imposés dans presque tous les pays. Il s'agit de se confiner, se laver les mains et respecter la distanciation sociale... Ces mesures préventives quand elles sont respectées réduisent de manière significative la transmission du virus. En France, le respect de ces consignes a contribué à une réduction d'environ 84%.
Pour faire adopter ces consignes par les citoyens, le premier outil utilisé par les autorités des différents pays est la communication avec des messages simples tous azimuts, c'est-à-dire dans les médias, les magasins, les transports, les lieux de travail... Cependant, il est prouvé que les citoyens ne sont enclins à adopter ces mesures que s'ils comprennent que l'heure est grave et qu'ils sont vulnérables. Ils doivent aussi être convaincus que ces gestes de protection sont efficaces. Il faut cependant noter que des études en sciences du comportement ont montré que le risque d'être infecté ne suffit pas à mobiliser. C'est celui de porter atteinte à la santé des plus vulnérables ou infecter les autres qui incite le plus au respect des bons gestes. Donc pour changer les comportements des individus, il est plus intéressant de focaliser le discours sur la capacité de chacun à prendre part à l'action collective que sur les risques individuels. Mais l'action sur les croyances des individus doit être complétée par une action sur leur environnement: les gels hydroalcooliques, présentés de manière ostensible dans les magasins et les entreprises, conduisent à une bonne hygiène des mains et les bandes blanches au sol rappellent la distance sociale dans une file d'attente.
Quelles sont les personnes touchées par le Covid-19 ? Ce sont généralement les plus âgées, majoritairement de sexe masculin et celles présentant des facteurs de comorbidité (obésité, hypertension, diabète...) qui sont gravement atteintes ou décédées. Mais on s'est rendu compte que les gens socialement défavorisés sont les plus touchés. Cette pandémie a révélé une misère sociale même dans les villes les plus riches du monde. Qui aurait imaginé une distribution de vivres à Genève où une file d'attente de plus de 2 200 personnes était visible au centre-ville ? Ces personnes qui se retrouvent dans le dénuement, ces « invisibles » sont généralement les sans-papiers et les travailleurs précaires entassés dans des logements insalubres qu'ils risquent de perdre faute de paiement de loyer. Le virus a mis à nu tous les territoires défavorisés où la population est plus vulnérable car elle est moins en bonne santé, moins suivie médicalement mais avec plus de diabète, d'hypertension et d'obésité. Le seul bouclier contre ce mal reste la solidarité, le bénévolat et, bien sûr, la débrouille.
Echapper au Covid-21 pour mourir de la pollution de l'air
La lutte contre la pandémie a réduit de 17% les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde. Dans certains pays, la chute en GES est plus importante que cette moyenne (France 34%, Etats-Unis 32%, Royaume-Uni 31%...). N'étant pas le fruit d'un effort volontaire, ces baisses ne doivent pas nous réjouir puisqu'elles résultent des restrictions de la mobilité des citoyens et du ralentissement de l'activité économique imposés par le confinement. Elles ont cependant le mérite de montrer que les objectifs fixés en terme d'émission de GES peuvent être atteints si des actions gouvernementales fermes sont engagées.
Comparé à l'hécatombe générée par le Covid-19 (plus de 400 000 décès), l'effet de la pollution de l'air (particules fines, ozone au sol, dioxyde de soufre et d'azote) entraînerait plus de 8.8 millions de morts par an selon une étude publiée en 2019 dans la revue European Heart Journal. Marshall Burke, chercheur à l'Université de Stanford (Californie), a estimé que l'amélioration de la qualité de l'air en Chine a sauvé la vie à 4000 enfants de moins de 5 ans et à 73 000 personnes âgées.
Donc, après la crise sanitaire, viendra le temps de le reconstruction qui doit impérativement être focalisée sur un modèle économique plus protecteur, c'est-à-dire basé sur la transition écologique. Pour éviter la catastrophe climatique dévastatrice de tous les segments de la planète, la relance économique ne doit plus être basée sur la maximalisation du profit mais orientée sur la conscience sociale et environnementale capable de protéger la santé des citoyens, d'offrir plus d'emplois et de réduire les inégalités dans le monde. Si rien n'est fait pour réduire les émissions des GES, un tiers de l'humanité pourrait vivre, d'ici à cinquante ans, dans des conditions extrêmes. L'économiste Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix, considère que «si nous ratons le coche d'une reconstruction sociale et écologique, nous allons tout droit vers une catastrophe pire encore que celle due au Covid-19. Nous pouvons aujourd'hui échapper au virus en nous confinant chez nous; si nous ignorons les graves problèmes que connaît notre monde, nous n'aurons nulle part où aller pour échapper à la colère de Dame Nature et à celle des populations du monde entier».
Conclusion
La Seconde Guerre mondiale qui a durement ébranlé le monde a conduit à une paix mise à profit pour favoriser la coopération entre états et mettre en place des organisations internationales encadrant la reprise économique. Certains pays ont alors connu un développement fulgurant. Donc la pandémie Covid-19, tout en nous déstabilisant mais en nous montrant nos faiblesses, peut s'avérer salvatrice et nous aider à changer de cap car elle nous pousse à dépasser nos limites, à être plus créatifs. Elle peut nous aider à mieux appréhender un avenir incertain jonché de défis majeurs tels que les changements climatiques et les inégalités sociales. Car l'après-crise sanitaire sera très difficile. Nous aurons à faire face à une crise économique sans précédent, à un chômage endémique et peut-être à une famine qui touchera des millions de personnes. Seule cette solidarité qui a joué un rôle prépondérant durant la pandémie peut nous aider à surmonter ces maux qui nous attendent si, bien sûr, elle est perpétuée, amplifiée et mieux organisée, surtout au niveau international. Contrairement aux pays développés qui ont les moyens de s'endetter, les pays en voie de développement, pourtant peu affectés par le Covid-19, seront les plus touchés car leur économie dépend de l'exportation actuellement réduite de matières premières ou de produits manufacturés. On peut citer à titre d'exemple que depuis le début de la pandémie, le Bengladesh aurait déjà eu
400 ateliers textiles fermés suite à une faillite et 500 000 emplois perdus.
Mais en dépit de la rivalité entre les deux plus grandes puissances (Etats-Unis et Chine) qui rappelle, sur bien des aspects, la guerre froide soviéto-américaine, on perçoit les prémices de l'émergence d'un monde multipolaire. La nouvelle initiative placée sous l'égide de l'OMS en est un exemple. Cette initiative, co-organisée par plusieurs Etats et organisations internationales publiques et privées, consiste à mobiliser les moyens en faveur de traitements et vaccins contre le Covid-19 qui seront mis à la disposition de tous les citoyens du monde y compris les plus pauvres. L'avenir a, cette fois encore, une chance d'être celui de la coopération internationale et non celui de la confrontation. Dans ce monde hyperconnecté y compris sur le plan biologique qui fait que la santé d'un individu est liée à celle de tous les autres, il est facile de comprendre que pour préserver sa santé, il faut nécessairement investir dans celle des populations les plus pauvres.
H. K.
(*) Ancien professeur à l'Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou.


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