Propos recueillis par Naoufel Brahimi El Mili Mohamed Kaïd, l'un des enfants du grand moudjahid Kaïd Ahmed connu sous son nom de guerre « Commandant Si Slimane », paix à son âme, prend le temps de répondre à nos questions au moment où l'Algérie nouvelle s'apprête à fêter le 5 Juillet, date anniversaire de l'indépendance. Cependant, feu son père fait l'objet d'attaques insidieuses et inqualifiables de la part de certains subversifs sur les réseaux sociaux. Mohamed Kaïd n'a aucun souvenir de la joie des Algériens qui avait éclaté le 5 juillet 1962 puisqu'il était âgé d'un an. Cependant, nombreux étaient les révolutionnaires qui l'avaient vu grandir. « Mon père était un laboureur politique du je peux me permettre, on le voyait seulement le dimanche pour une randonnée sacré en famille, c'était un père tout simplement. Le peu de moments passés avec lui m'a été très utile, je peux dire que c'était mon modèle d'homme parfait, c'est encore mon idole actuellement. Au passage, je voudrais noter le courage de ma mère qui nous a soutenus, éduqués et elle a combattu toute sa vie jusqu'à présent malgré son âge avancé. Pour avoir parcouru naturellement la destinée de mon feu père Allah yerhmou», nous précise-t-il dans cet entretien. Pour rappel, en décembre 1972, Kaïd Ahmed, premier responsable du FLN, adresse un mémorandum à ses confrères du Conseil de la Révolution, où il dénonce, avec une franchise qui va à l'encontre du discours officiel, la situation critique du pays et surtout les nombreuses dérives auxquelles la jeune Algérie était exposée. Le Soir d'Algérie : Pour revenir à la honteuse salve contre votre père, elle est liée, me semble-t-il, à son lieu de décès, Rabat (5 mars 1978). Pourriez-vous détailler les raisons de son exil forcé au Maroc ? Mohamed Kaïd : Je connais ses détracteurs sur les réseaux sociaux ou autres. Le parcours mouvementé qu'a eu mon père m'a appris beaucoup de choses sur la vie et les gens. Ceux qui critiquent Kaïd Ahmed sont des gens qui sont dérangés par les principes et la pensée et l'honnêteté intellectuelle et la probité du Monsieur ainsi que par sa franchise naturelle. Ce sont des ignorants ou des manipulés. Kaïd Ahmed était honnête politiquement, franc, volontaire, entier, dans tous les domaines, Kaïd était un visionnaire car très perspicace et engagé et doué d'une intelligence hors pair. Je nomme explicitement Abdou Semmar qui a pris la tête de la meute enragée contre la mémoire de mon père. Concernant cet individu qui se proclame journaliste, il est pour moi un vendu qui roule pour je ne sais qui ? Quel intérêt a-t-il à saucissonner une photo présentant Kaïd Ahmed, le roi Hassan II avec Boumediène ? Ce dernier ne figure plus sur la photo publiée sur le site du subversif anti-algérien afin de faire croire à une grande intimité, voire complicité entre mon père et le roi marocain. Abdou Semmar est manipulé par un cercle sinon pourquoi déformer et trafiquer une vieille photo pour évoquer la nomination de mon frère Chakib au poste de secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et tenter de le discréditer vis-à-vis de l'opinion publique. Ce Abdou Semmar est connu pour ses frasques. La principale raison de l'exil de mon père est certainement la menace sur sa sécurité personnelle lors de son séjour de six mois dans l'Hexagone. Faut-il rappeler que l'appartement qu'occupait mon père à Paris était « visité » en son absence par des agents de la SM aux ordres de Boumediène ? Suite à cela, Kaïd Ahmed fut contraint de quitter la France manu militari menotté et accompagné à la frontière suisse. Le gouvernement Giscard d'Estaing ne voulait pas de cet homme sur son territoire car, contrairement à d'autres opposants, il ne pouvait être ni manipulé ni intimidé. Après un long périple en Suisse, en Allemagne puis en Belgique, puis fin 1977, il trouve refuge au Maroc, pays arabe et voisin où il devient toujours un farouche opposant au régime algérien à travers une émission radiophonique quotidienne. En lisant les mémoires d'un des confrères de votre père et non des moindres, Chadli Benjedid, une fois retiré de la présidence de la République, je tombe sur un hommage, a posteriori, où les mises en garde de Kaïd Ahmed sur l'approche de la Révolution agraire sont considérées par l'ancien Président comme une position d'un homme visionnaire. Pouvez-vous expliciter ses arguments sur ce sujet précis ? Concernant Boumediène, je peux dire qu'ils étaient compagnons de route depuis longtemps devenu son adjoint au sein de l'ALN puis ministre du Tourisme, des Finances et enfin chef du parti unique, le FLN, jusqu'à son conflit direct avec la politique prônée par feu Boumediène. La tension a atteint son paroxysme et est devenue insoutenable, il jeta les clefs du parti FLN et entra directement en opposition avec le pouvoir de plus en plus autoritaire. Il est connu que Boumediène ne supportait pas la contradiction tant il était convaincu de la justesse de sa politique notamment celle où il prônait la Révolution agraire. La cabale a commencé ainsi que l'acharnement contre mon père. D'abord à l'intérieur du pays puis à l'étranger suite à son départ précipité pour je ne sais quelle raison. Quand Kaïd Ahmed était en Belgique, son cousin Belarbi Larbi dit Djaâfer, a été nommé consul à Lille. Ville très proche de Bruxelles. Mon feu père, Allah yerhmou, ne peut rester plus de 15 jours d'affilée au même endroit, par mesure de sécurité. Vers la fin de l'année 1977, il trouva refuge sécurisé à Rabat au Maroc où il devient un opposant farouche au régime algérien. En effet, ce n'est qu'après sa mort que mon père est qualifié de visionnaire. Tout simplement, il était à l'écoute des Algériens sur le terrain. Il consultait beaucoup et il agissait en conséquence. Ce n'est pas par hasard si des boutades le concernant sont apparues. Mon père dérangeait. Au regard de la situation actuelle où de nombreux hauts responsables politiques constituent un pan de la population carcérale, comment présenteriez-vous les positions audacieuses prises par votre père dans son célèbre mémorandum qui dénonce, entre autres, la corruption rampante ? Aussi, en 2020, quelles sont, selon vous, les préconisations de votre père qui peuvent consolider les fondements de cette Algérie nouvelle ? En effet, dans un mémorandum daté de décembre 1972, Kaïd Ahmed préconise à ses frères du Conseil de la révolution, au nom du FLN qu'il dirigeait, un changement radical de la politique menée jusqu'alors. Il y dénonçait notamment la corruption et d'autres complaisances financières qui gangrenaient le pays. Les préconisations de feu Kaïd Ahmed sont le travail comme valeur humaine, le travail de la terre, le tourisme, et aller de l'avant dans tous les secteurs avec les moyens tant humains que financiers afin de mettre l'Algérie sur orbite. Au total, Kaïd Ahmed préconisait une révolution culturelle d'où la parution d'un fascicule « Révolution culturelle... » Il y détaille des orientations sur l'agriculture, le développement, le tourisme, entre autres. A titre d'exemple, son attachement au tourisme dénote sa vision d'une Algérie ouverte. Il poursuit son combat sans économiser aucun effort depuis son exil d'où il apprend, le 8 décembre 1974, la mort d'Ahmed Medeghri alias Si El Hocine alors membre du Conseil de la Révolution et ministre de l'Intérieur. Un décès qui soulève interrogations et suspicions au sein d'un cercle restreint car la version officielle évoque un suicide. Pour mon père, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Kaïd Ahmed rentre tout de même en Algérie pour l'enterrement de son compagnon de lutte. Ce suicide confirme la rupture totale et définitive entre mon père et Boumediène et, en même temps, enracine encore plus ses convictions dans son combat contre ce régime. Ce combat est, en quelque sorte, inachevé. Quelque part, le Hirak de 2019 demande ce que prônait Kaïd Ahmed à l'époque. Les aspirations des citoyens étaient le leitmotiv de Si Slimane et l'Histoire lui a donné entièrement raison, tout le monde le dit. À mon point de vue personnel, l'Algérie a eu le même destin que mon père. Je crois que le moment est venu de mettre cartes sur table pour le bien du pays et de ses citoyens et de dévoiler certaines choses pour le bien du pays et de son unité pour construire cette Algérie nouvelle, dévoiler certaines vérités historiques amères pour apaiser ces moments difficiles que nous vivons actuellement, le Hirak devrait œuvrer pour le bien démocratique, faire fi du passé et reconstruire le pays sur des bases saines et moderne, L'ALGERIE en a les moyens pour mieux avancer, avoir une justice libre et indépendante et implacable.
Quel est votre souvenir de l'enterrement en Algérie de votre père qui, malgré les intimidations du pouvoir de l'époque, avait rassemblé un grand nombre d'Algériens de la famille révolutionnaire ? Le 5 mars 1978, mon père a été retrouvé mort dans son lit à 21 heures, juste après son dîner. Mort suspecte mais sans aucune preuve tangible à ce jour. Agé alors de 17 ans, j'apprends la terrible nouvelle. Pour son enterrement, le pouvoir n'a pu éviter, malgré quelques manœuvres dilatoires, pour ne pas dire bassesses, que le cérémonial fût grandiose. Je réalisai, encore plus, la véritable valeur humaine de mon père. Des dizaines de milliers d'Algériens suivaient le cortège funéraire. Un vibrant hommage populaire au grand dam du pouvoir de l'époque. Cependant, les hommages officiels étaient très tardifs. Ce n'est que plus d'une vingtaine d'années après son décès que la cité AADL de Tiaret est baptisée au nom de Kaïd Ahmed. Cependant, c'est suite à nos démarches auprès des autorités publiques et avec le soutien de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM) que le stade et complexe omnisports de Tiaret portent enfin son nom. Kaïd Ahmed est reconnu sur le tard comme grand visionnaire. Comment expliquer qu'un seul auteur, Kamel Bouchama, lui ait rendu hommage dans un livre monumental et dans de nombreux articles, alors que sa popularité en Algérie ne cesse de grandir ? Si Kamel Bouchama, jeune cadre au FLN d'avant. Il était un collaborateur du défunt Kaïd Ahmed, il le connaissait et il l'avait vu œuvrer sur le terrain auprès des militants. L'honnêteté intellectuelle qui le caractérise l'a conduit à apporter son témoignage dans un livre et dans de nombreux articles où il rend hommage à mon père. Les autres intellectuels ont certainement un complexe car la vie et la mort de Kaïd Ahmed sont encore un tabou. Certaines des vérités peu reluisantes prennent le pas sur un nécessaire courage pour témoigner et reconnaître la pertinence de ses positions. Kaïd Ahmed était-il craint ? Fait-il peur même après sa mort...? Questions pertinentes. Ce que je peux dire pour conclure, c'est que je suis très fier de mon feu père Allah yerhmou, fier de son parcours mouvementé, de sa probité, et surtout son courage politique. Je voudrais rendre hommage à ma mère qui a tant souffert et travaillé dur pour nous éduquer, et jouer les deux rôles, du père et de la mère. Vive L'ALGERIE Nouvelle, et gloire à nos martyrs. N. B. E.-M.