La wilaya de Mostaganem vient de commémorer le 175e anniversaire des enfumades de la tribu des Ouled Riyah par l'armée coloniale française entre le 18 et le 20 juin. Des milliers d'Algériens moururent asphyxiés dans les grottes de Frachih, dans la commune de Nekmaria. Un sinistre pan de l'histoire dont se sont rendus coupables Cavaignac, Pélissier, Saint Arnaud et Canrobert. La France n'a pas rendu public ce massacre. Elle a surtout gardé secrets des rapports rédigés par des militaires contenant des informations accablantes sur le déroulement des faits, parmi lesquelles celles de Saint Arnaud, où il est noté quelques détails troublants sur l'enfumade. Le 18 juin 1845, Saint Arnaud est en opération chez les Ouled Younès. Dans la nuit du 19 au 20 juin, alors qu'il était dans son campement du côté de Aïn Merane, «le bruit des fougasses (mines explosives) se fit entendre à trente lieues à la ronde, Saint-Arnaud s'en conclut : «C'est le colonel Pélissier qui travaille les cavernes et les grottes des Ouled Ryah.» Et d'ajouter : «Ces pauvres Arabes sont traqués partout et ne savent plus où se réfugier.» La lettre qu'il adresse le même jour au commandant Tripier donne la même information. Un autre courrier est adressé au colonel Pélissier. Il y évoque encore une fois les bruits de canons et de pétards dans les grottes. Ce n'est que le 26 juin que la population apprend la tragédie dans les grottes de Nekmria. C'est Pélissier en personne qui le raconte à Saint-Arnaud et celui-ci s'empresse d'informer ses officiers : «Le colonel Pélissier, après avoir fait périr dans les cavernes de Ouled Ryah 600 ou 700 personnes de tous âges et autant de bêtes, a reçu la soumission de tous les habitants du Dahra.» Usant de la même rhétorique développée par Bugeaud et le président du Conseil Soult, Saint-Arnaud, sans minimiser l'ampleur du massacre en fait supporter la responsabilité à l'intransigeance des victimes elles-mêmes. Il aurait dit : «Ces tribus auraient par leur obstination contraint Pélissier à recourir à cette dernière extrémité, autrement dit : «Elles ont choisi de mourir par asphyxie.» Ce discours destiné à l'opinion métropolitaine vise un double objectif : faire porter la responsabilité des violences aux victimes et de souligner le sacrifice demandé à l'armée, obligée de faire le «sale boulot» pour défendre la France. Cet aspect du discours auto-justificateur revient très souvent dans la rhétorique guerrière des chefs militaires. Cela suppose aussi que les officiers furent parfaitement instruits des procédés à utiliser au cas où les tribus venaient à se réfugier dans leurs grottes. Si tel est le cas, tous les écrits sur la légitime défense évoquée par Pélissier et Bugeaud sont calomnieux. C'était un acte parfaitement prémédité, organisé et mis en œuvre dans le but de faire le plus possible de morts. Non seulement Pélissier a fait venir avec lui des fascines, mais il aurait entretenu le feu pour asphyxier les réfugiés, et en plus, il a utilisé des mines pour provoquer des éboulements destinés à empêcher les réfugiés de sortir vivants . Ces détonations se poursuivront jusque dans la matinée du 20 juin, 48 heures après le début de l'enfumade. Et ce ne sera pas le dernier crime. À Aïn Merane, entre les 8 et 11 août 1845, Saint Arnaud fait enfumer les Sbehas, un autre tuerie planifiée. À la différence de Pélissier, Saint Arnaud se surpasse en cruauté. Sur ces carnages de la tribu des Ouled Riyah, F. Gautier a écrit : «Dans ces horreurs orientales, les victimes ont une part de responsabilité, c'est leur propre férocité qui est contagieuse, une sorte de typhus moral, contre lequel le vainqueur ne se protège pas». Les enfumades du Dahra sont une séquence, la plus tragique des violences coloniales, dont ont été victimes des populations désarmées. En ce même mois de juin 1845, dans la Kabylie, les Béni Maâkas (1851) et les ArbTaskift (1861) subissent quasiment le même sort. A. Bensadok