Des chiffres, des chiffres et encore des chiffres. Effarants, affolants, fruits des longues enquêtes menées par des enquêteurs qui ont eu fort à faire pour pouvoir mettre à jour les sommes astronomiques contenues dans le dossier de Ali Haddad qui sera jugé ce dimanche au tribunal de Sidi-M'hamed. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Treize mois de recherches, huit équipes de l'IGF, plus d'une centaine de témoins écoutés, des auditions en série, des magistrats mobilisés, des greffiers submergés, pour que le millier de pages retraçant les faits puissent enfin être transmises à l'instance chargée de juger l'une des plus grosses affaires de l'histoire du pays. Ali Haddad en est l'élément central, bien sûr, et c'est lors de sa chute que se sont effondrés les éléments principaux sur lesquels il est soupçonné de s'être appuyé pour parvenir la où il est parvenu. Neuf ministres des plus en vue et deux ex-walis ont été conduits en prison dès l'ouverture de l'enquête : Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal, Amar Ghoul, Amara Benyounès, Abdelghani Zaâlane, Boudjemaâ Talai, Youcef Yousfi, Mahdjoub Bedda et Kadi Abdelkader. Le dixième est en fuite : Abdeslam Bouchouareb. Les deux anciens walis concernés sont ceux d'El-Bayadh : Benmansour Abdellah et Mohamed Khanfar. Tous sont soupçonnés d'avoir accordé des indus avantages qui ont permis à Ali Haddad de bâtir un empire hors du commun. Les préjudices causés par les indus avantages accordés à Ali Haddad : L'enquête menée a démontré l'existence de préjudices énormes. En voici les sommes : 78 410 milliards de centimes de préjudices dans les différents marchés publics ; 21 159 milliards de centimes de pertes dues aux crédits accordés aux frères Haddad et à leurs sociétés ; 11 035 milliards de centimes de pertes découlant des exonérations lui ayant été accordées ; 1 000 000 000 000 DA de pertes dues aux avantages accordés au niveau des ports ; 1 000 000 000 000 DA de préjudices causés au foncier industriel et agricole. Une partie de ces avantages ont été accordés aux frères Haddad qui seront jugés avec lui aujourd'hui. L'un, Rebbouh, l'a rejoint en prison, les trois autres comparaîtront en qualité de témoins. Les éléments essentiels recueillis durant l'enquête qui a été menée ont démontré que 124 marchés publics ont été accordés à leur frère aîné, Ali, durant la période s'étalant de 2000 à 2018. Voici le montant alloué pour leur réalisation : 78 410 milliards de centimes répartis comme tel : travaux publics, 99 projets s'élevant à 430 milliards de centimes ; ministère des Ressources en eau, 23 projets 21 719 milliards de centimes ; ministère de l'Industrie, 2 projets 261 milliards de centimes. Des montants faramineux pour des projets inachevés Très peu de réalisations arrivent, cependant, à leur terme. Les investigations ont fait ressortir qu'hormis le projet Béjaïa qui consistait à relier l'autoroute Est-Ouest, sur un tronçon de 85 km et un raccord routier entre Djelfa-Laghouat, sur un tronçon de 64 km, tous les autres projets n'ont pu être finalisés. Des sommes très importantes ont été allouées pour la réalisation des deux projets routiers finalisés : 214 milliards de centimes – pour Béjaïa — et 1 810 milliards de centimes pour Djelfa-Laghouat. Des conclusions qui laissent sans voix Entre 2015 et 2018, un montant de 3 333 526 646.16 DA équivalent à 8 935 880.16 euros auxquels s'ajoute un montant de 1 954 250 582. 75 DA lui ont été accordés pour le développement routier à travers huit wilayas. Dans la majorité des cas, notent les enquêteurs, le travail n'a jamais été achevé. Malgré cela, Haddad continue à cumuler les projets et obtient même des rallonges de 14 à 39 mois pour une réalisation qui ne s'effectue jamais. Les enquêteurs relèvent également que 12 projets lui étaient systématiquement accordés chaque année jusqu'à 2018. C'est également la période où Haddad parvient à obtenir pas moins de quatre terrains appartenant à l'Etat ainsi qu'un terrain de 50 000 hectares officiellement destiné à l'élevage de 200 000 vaches. Les enquêteurs notent que les services compétents avaient, à l'époque, attiré l'attention des autorités sur la non-réalisation, les retards, les prix exagérés. En vain ! L'une des conclusions émises signale que Amar Ghoul semble ne pas avoir pris en considération ces alertes. Ce dernier, note-t-on, a, par contre, saisi par lettre l'ancien Premier ministre Abdelkader Sellal pour que de nouveaux projets, ferroviaires ceux-là, soient accordés à Ali Haddad. Sellal accepte, et consent à l'augmentation du coût du projet à 118 552 520 003.65 DA. Le temps de réalisation est prolongé à 93 mois. Quelques mois plus tard, Amar Ghoul saisit à nouveau l'ancien chef de gouvernement pour faire remarquer que les 94 000 000 000 00 DA accordés étaient insuffisants pour le projet de développement ferroviaire et demande à Sellal de débloquer 15 000 000 000 00 DA de complément. Ouyahia et Sellal accusent respectivement Amar Ghoul et Saïd Bouteflika Lors de ses différentes auditions sur le sujet, Ahmed Ouyahia s'est défendu en déclarant que les projets en question étaient présentés par Amar Ghoul qui était le mieux placé pour convaincre le gouvernement. L'enquête a fait aussi ressortir que Abdelmalek Sellal avait accordé des marchés en acceptant des projets que lui soumettait Amar Ghoul sans les faire passer devant le Conseil des ministres. Des sources bien au fait du dossier rapportent les propos tenus par Sellal pour sa défense. Ali Haddad, dit-il, avait des relations intimes avec Saïd Bouteflika, il pouvait obtenir facilement les avantages demandés. Des avantages qui lui auraient permis aussi de se lancer dans une importante opération de fuite de capitaux grâce un partenariat étroit avec des sociétés étrangères. Selon les investigations menées, ce partenariat était en effet davantage destiné à légitimer les transferts de devises à travers les marchés obtenus dans le cadre des projets d'investissement. Il ressort également que grâce à sa proximité avec les dirigeants, Haddad parvenait à écarter toutes les entreprises qui proposaient des prix plus bas pour pouvoir appliquer ses propres prix exagérés, le reste était partagé entre Haddad et ses partenaires à l'étranger. Les enquêteurs en veulent pour preuve l'étrange facilité avec laquelle Haddad a pu acquérir deux hôtels prestigieux à l'étranger : l'hôtel Palace Grand Via Barcelone acheté à 54 millions d'euros, sa valeur actuelle est de 225 millions d'euros ainsi que l'hôtel Palace de Barcelone acquis à 44 millions d'euros, grâce à un crédit que lui a accordé la banque Santander, affirme le mis en cause. Se basant sur la convention internationale sur la lutte anticorruption ratifiée par l'Algérie, la défense du Trésor public exige aujourd'hui la récupération de ces hôtels et de tous les biens à l'étranger. Ces éléments constituent une infime partie des éléments contenus dans l'affaire Haddad. Le procès qui s'ouvre aujourd'hui au tribunal de Sidi-M'hamed donnera lieu à d'autres révélations tout aussi choquantes... A. C.