La présence de l'ancien président de la République aux procès des ex-ministres s'est transformée en point de fixation pour les avocats et les prévenus qui refusent désormais d'assumer à eux seuls les lourdes accusations qui pèsent sur eux. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les faits qui se sont déroulés durant le procès de Ali Haddad l'ont démontré. Les deux ex-chefs de gouvernement et les anciens ministres qui ont défilé à la barre ne veulent plus porter seuls la responsabilité des faits qui leur sont reprochés par la justice. Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal, Amar Ghoul, Boudjemaâ Talai ont particulièrement fait fort ces derniers jours en imputant à Abdelaziz Bouteflika l'entière responsabilité des actions entreprises et pour lesquelles ils ont été incarcérés. Ouyahia, qui s'était contenté de fournir des explications techniques approfondies lors de ses premières comparutions dans l'affaire de l'automobile, a créé la surprise en optant pour une nouvelle stratégie de défense consistant à se décharger sur l'ancien Président. Il a même fourni des détails de réunions qui se déroulaient sous le patronage de Bouteflika au sein même de la présidence et en présence de certains ministres auxquels il donnait des directives pour la mise en œuvre des projets qu' il suivait personnellement. On a également entendu Sellal affirmer que lui aussi ne faisait qu'appliquer le programme et les directives de Bouteflika et que la maladie de ce dernier l'avait écarté du suivi du volet investissement puisqu'il s'était retrouvé chargé du suivi de l'évolution de la situation politique dans le pays. Amar Ghoul n'a pas été en reste et ses propos devant la cour ont été repris, ce samedi dernier, jour du procès, par ses avocats. L'un d'eux, Me Khaled Berghel, cite une déclaration publique de Abdelaziz Bouteflika comme étant une preuve irréfutable de l'implication directe de l'ancien Président dans le suivi des affaires pour lesquelles son client est poursuivi. «N'a-t-on pas entendu Abdelaziz Bouteflika dire à Amar Ghoul,''va avec la bénédiction de Dieu" après que ce dernier lui eut présenté le projet de l'autoroute Est-Ouest ?» Comme beaucoup d'avocats constitués dans le dossier Haddad, il estime que la présence de l'ancien Président est désormais indispensable. «Bouteflika a mis en place un programme pour la promotion de l'investissement, les ministres appliquaient. Ils n'ont pas contrevenu à la loi, ils ont appliqué ce qu'on leur demande d'appliquer... Y avait-il une personne capable de démissionner sous le règne de Bouteflika ?», déclare-t-il au juge. Me Mourad Zghier, avocat de Ghoul, demande à la Cour d'amener Abdelaziz Bouteflika par la force de la loi. «Vous avez écouté durant de longs jours les ministres vous raconter les séances de travail qu' organisait Bouteflika au sujet de ces projets, vous avez entendu un Premier ministre vous dire qu'il n'avait droit à aucune décision, qu'il n'avait pas autorité de donner des ordres, pourquoi doit-il assumer seul des faits aussi graves ?» Les avocats qui se succèdent à la barre pour leurs plaidoiries estiment qu'il est impossible de laisser les anciens ministres affronter seuls les accusations auxquelles ils font face uniquement parce qu'ils «n'ont pas eu le courage et la force nécessaire pour déposer leur démission au moment voulu». Ils rappellent que «Bouteflika était en place durant vingt ans». Me Khader Mourad, avocat de Sellal, intervient à son tour : «Tout le monde sait que mon client appliquait le programme de l'ancien président de la République, nous savons aussi que ce sont des procès politiques, Abdelaziz Bouteflika a mis en place un programme adopté par les deux chambres parlementaires, c'est le pouvoir exécutif qui est actuellement jugé, on ne peut pas écarter le pouvoir de décision». La salle d'audience est le théâtre d'un débat hautement politique. Le procureur de la République réplique par une question : «Avez-vous introduit une demande pour citer Bouteflika dans ce dossier ? Les demandes se font avant le procès, pas à sa fin.» L'avocat répond : «Non, mais le fait était en votre pouvoir.» La défense clôt ses plaidoiries en rappelant que les anciens ministres sont poursuivis dans de nombreuses affaires, plusieurs sont à venir, «le pouvoir de décision réel ne peut être écarté de ces procès». A. C.