«De nombreux médecins ont assuré leurs consultations bravant la contamination». Quel est le rôle du secteur médical privé pendant la crise sanitaire que vivent l'Algérie et le monde entier ? Le docteur Zerouala Mohamed Tahar, omnipraticien, diplômé en hématologie de la faculté de Paris, ancien président régional de déontologie médicale de Constantine. essayiste et écrivain, nous éclaire sur la question. «L'humanité est secouée profondément par une crise sanitaire qu'elle n'a pas vécue depuis un siècle. La dernière en date fut l'épidémie de grippe espagnole appelée à tort «espagnole». Le monde entier est atteint, et contrairement à la situation actuelle où la pandémie est, disons, contrôlée grâce aux moyens déployés, en 1918-1919, le monde est en guerre. L'humanité est fragilisée par la misère sous toutes ses formes et le manque de moyens médicaux pour vaincre le virus. Le confinement, les gestes barrières, la distanciation, la prise en charge des patients suspects d'infection ou infectés ont limité la transmission du virus dans notre pays. Respecter les consignes et les recommandations édictées par le Conseil scientifique et le ministère de la Santé est à coup sûr la meilleure protection contre la propagation du coronavirus. Certains citoyens ont transgressé ces recommandations et n'ont pas considéré à sa juste mesure la dangerosité de ce virus. Ce qui explique la flambée de la propagation dans certaines agglomérations qui ont vu des regroupements de populations sans masques ni distanciation. Fort heureusement, ces cas, s'ils ne sont pas exceptionnels, sont limités à certains quartiers et à certaines circonstances où les citoyens n'ont pas saisi le danger encouru et se sont rués vers certaines boutiques la veille de la fête de l'Aïd. Les autorités ont vite réagi par la suspension de l'ouverture de ces magasins. Notre sujet est celui du rôle du secteur médical privé dans sa gestion et l'accompagnement de ses patients pendant la crise sanitaire. Avant tout, je ne fais aucune distinction entre le secteur privé et le secteur public. Les deux pratiquent déontologiquement une médecine libérale. Libérale dans le sens de la prise en charge du malade et dans la prescription. La différence fondamentale est que le médecin privé est rémunéré par son patient alors que le médecin public par l'Etat. Il est vrai que nous avons assisté à un cafouillage chez les médecins du secteur privé. Le manque d'informations concernant la contagiosité et le peu de moyens utilisés pour gérer leurs consultations face à des patients potentiellement porteurs du virus ont provoqué une panique qui a entraîné la fermeture volontaire de certains cabinets. Nombreux ont assuré leurs consultations, bravant une éventuelle contamination. Quelques confrères ont perdu la vie dans l'exercice de leur fonction infectés par le virus. Nous nous inclinons devant leur mémoire. Nos pensées vont également aux familles des médecins du secteur public morts en héros. La médecine de ville s'est considérablement féminisée. Le confinement a incité les médecins femmes à rester à la maison pour tenir compagnie à leurs enfants également confinés. Parmi ceux qui ont fermé, il y en a qui ont estimé que les moyens de protection étaient insuffisants comparativement à ceux du secteur public. Pas de masque homologué, pas de gants, pas de plexiglas pour couvrir le visage, pas de gel hydro-alcoolique, pas de casaque. La plupart des assistantes et assistants des cabinets privés ont fui leurs postes par peur d'être contaminés. Souvent, la peur est un sentiment qu'on ne domine pas. On va penser à tort que je défends la corporation. Aussi vais-je relater ma propre gestion pendant cette crise sanitaire. Ma démarche n'a rien d'exceptionnel. De nombreux confrères l'ont vécue. Je suis resté à la disposition de mes patients depuis le début de l'apparition officielle du Covid-19 dans notre pays. Mes patients me l'ont bien rendu : ils m'ont offert des masques, des plexiglas pour le visage. Une parente, elle-même médecin, un kit complet de protection. Je tiens à remercier un laboratoire pharmaceutique privé qui m'a doté d'un colis généreux en gants, en gel hydro-alcoolique, en bavettes en quantité et, cerise sur le gâteau, des crèmes hydratantes. J'assurais une hygiène drastique du cabinet dans toute son entité conscient de protéger ma santé et celle de mes patients. Comment sont pris en charge mes patients ? En dehors des suspects de porteurs de Covid-19, il y a la pratique médicale quotidienne qui consiste à prendre en charge toute la pathologie d'une médecine de ville. Aussi bien les cas aigus que les maladies chroniques. Les malades chroniques, en général des patients âgés sont heureux de voir leurs ordonnances renouvelées dans les délais. Ai-je rencontré des patients atteints de Covid-19 ? Sans aucun doute oui. A l'instar de tous les confrères privés qui ont exercé pendant cette pandémie. La conduite à tenir est basée sur les consignes et recommandations du Conseil scientifique et du ministère de la Santé. Devant un cas suspect de coronavirus dont le pronostic vital n'est pas engagé, et dont les signes cliniques ne présentent pas de danger, un confinement à la maison est indiqué avec un traitement symptomatique et une surveillance régulière par le téléphone entre la famille et moi-même. J'appelle si les proches oublient de téléphoner. Toutes les situations se sont bien passées. Certains ont présenté quelques signes épars : trouble de l'odorat. Absence de goût. Des petits maux de tête. Une fébricule. Une fatigue. Une diarrhée... sans troubles respiratoires à type de toux ou de suffocation. La solution est le confinement à la maison avec surveillance pour guetter l'évolution de la situation.Fort heureusement, aucune complication ne m'a été signalée. Enfin, deux patients ont présenté des signes évidents respiratoires inquiétants. Un centre d'imagerie confirme le diagnostic au scanner. Le patient est orienté à l'hôpital de Rouiba, dans ma circonscription, où il est accepté. Je remercie l'hôpital de Rouiba pour l'accueil de mes patients. Je remercie également le directeur du centre d'imagerie pour sa collaboration. Cela me rappelle notre lutte dans les années 80 contre la tuberculose, que nous avons réussi à éradiquer. Le diagnostic était établi sur simple lecture de la radiographie thoracique. Pour le Covid-19 l'interprétation du scanner relève maintenant presque de la routine. Je signale que les malades hospitalisés ont été guéris. Quelles remarques peut-on faire après avoir parcouru cet article. 1 – La médecine privée à bien des égards, n'est pas absente dans cette crise sanitaire. 2- Elle filtre les patients en évitant de surcharger les hôpitaux. Elle soigne, elle soulage et rassure certains patients pris de panique et angoissés. 3- Elle souffre d'une stigmatisation de la part de certaines personnes dans les réseaux sociaux. Quand les médecins privés ne travaillent pas, ils sont traités de «lâches». Quand ils sont présents dans leurs cabinets on les traite de «tiroir-caisse». 4- Les médias (hormis cet organe qui me permet de m'exprimer, et je l'en remercie) qui sont un support de diffusion massif de l'information, n'invitent pas du tout les représentants de la médecine du secteur privé. Sur les plateaux, nous ne remarquons que les médecins de haut grade magistral, à l'instar des plateaux de l'Occident, comme en France. Avec tout le respect que j'ai pour mes confrères haut gradés, je leur suggère qu'il y a des généralistes très compétents, très proches du terrain et qui peuvent certainement apporter un plus dans l'éducation, l'information et la prise en charge du patient en soulageant considérablement le secteur public. J'ajouterais, à titre personnel que le mandarinat a vécu. 5- Quant à la prise en charge thérapeutique des malades atteints de Covid-19, il a fallu attendre plusieurs semaines pour que le Conseil scientifique révèle ce que nous savions, que le protocole utilisé chez nous est de l'hydroxy chloroquine associée à l'azithromycine. Personnellement, je m'en félicite pour l'utilisation de produits qui ont fait la preuve de leur efficacité. Notre génération, qui a éradiqué le paludisme dans notre pays, connaît parfaitement la chloroquine pour l'avoir employée sans complications particulières. Mais tout médicament, aussi anodin soit-il, a priori doit être utilisé avec prudence. L'hydroxychloroquine ne nous est pas étrangère puisque nous l'utilisons pour certaines maladies chroniques telles que la polyarthrite rhumatoïde et le lupus. Un bon point, sans condescendance pour l'équipe du Conseil scientifique qui communique le bilan quotidien avec objectivité, ce qui renforce sa crédibilité. 6- Un appel à nos concitoyens. Le virus corona est dangereux, il se propage très vite si nous baissons la garde .Il est très virulent. De nombreuses rumeurs circulent sur les réseaux sociaux. Ce sont des fake-news qui sont distillées pour entretenir la peur. En conclusion, qui n'est pas exhaustive, je me félicite de la naissance de l'Agence de sécurité sanitaire décidée par la haute autorité de l'Etat (il était temps) et indépendante de toute bureaucratie. Le chemin est encore très long dans la lutte antivirale. Sans jouer les Cassandre, le Covid-19 n'a pas dit son dernier mot. Nous devons rester vigilants. Déconfinement ne veut pas dire relâchement. Il est vrai que comparativement aux pays occidentaux, la pandémie a enregistré dans notre pays moins de morbidité, mais ne dormons pas sur nos lauriers.» Propos recueillis par Naima Yachir