De Tunis, Mohamed Kettou Samedi, tard dans la soirée, le peuple tunisien, impatient de le savoir, a, enfin, découvert l'identité de celui qui sera appelé à diriger le gouvernement, suite à la démission de Elyes Fakhfakh pour «conflit d'intérêts». L'éventuel prochain locataire du palais de la Kasbah (siège du gouvernement) n'est autre que l'actuel ministre de l'Intérieur, Hichem Mechichi, désigné par le Président Kaïs Saïed à la surprise générale. Son nom ne figurait pas sur la liste des 21 personnalités proposées par les partis politiques dominant à l'Assemblée des représentants du peuple (Parlement). Etant le seul juge de l'aptitude de telle ou telle personnalité à former et à diriger un gouvernement, le Président a effectué un choix souverain commandé par l'article 98 de la Constitution, mais très surprenant pour la majorité de la classe politique, voire le peuple tout entier. On croyait Kaïs Saïed capable de telles surprises. Mais, mettre de côté une liste d'un grand nombre d'hommes politiques proposée par les partis siégeant au Parlement ne cesse pas de susciter des interrogations quant à la manière dont il compte gérer la suite du parcours. Une majorité de 109 voix est nécessaire au nouveau chef du gouvernement pour s'approprier le fauteuil de la Kasbah. Mais, avec cette désignation inattendue, le chef de l'Etat semble chercher à pousser le Parlement au rejet de la confiance, rejet qui le condamnera à la dissolution. C'est l'analyse à laquelle s'adonne le monde politique pour qui la mésentente qui caractérise les relations du chef de l'Etat avec le Parlement n'est plus un secret. Pour justifier son choix, Kaïs Saïed a précisé que «nous respectons la légalité, mais il est temps de la réviser afin qu'elle traduise fidèlement la volonté de la majorité». Ainsi, dissolution de l'Assemblée et législatives anticipées auraient figuré sur son agenda depuis que les accrochages verbaux ont commencé à opposer le président de la République à Rached Ghannouchi, président du Parlement. Cela, sans compter la situation de plus en plus insupportable que vit le Parlement où Ghannouchi risque d'être délogé du perchoir. D'ailleurs, il y a une semaine, Kaïs Saïed a été menaçant en évoquant la situation au Parlement. Il a même eu recours à un langage imagé pour se faire comprendre. «En tant que garant de la Constitution, je dispose des moyens propres à faire rétablir l'ordre.» L'emploi du terme «fusées à lancer au moment opportun» a été perçu à sa juste signification par les protagonistes qui se battent au Parlement sans prêter la moindre attention à la suspension des travaux. Ainsi, la nomination de Hichem Mechichi au poste de chef de gouvernement fait-elle partie de l'artillerie qu'il a annoncé avoir entre les mains dans la voie de la dissolution de l'Assemblée. Aujourd'hui, les députés sont acculés dans leurs derniers retranchements. Ils sont obligés d'accorder, la mort dans l'âme, la confiance au gouvernement qui leur sera présenté dans un mois. En cas de refus, ils feront leurs valises. Avec ces tergiversations, la Tunisie est-elle au bout de ses peines et le peuple ne cesse de répéter : à quand la sortie du tunnel dans lequel il s'est engouffré depuis 2011 ? Pour beaucoup, la situation que traverse actuellement la Tunisie implique la nomination d'un chef de gouvernement qui ne soit pas un «politique» et qui n'a aucune appartenance partisane pour échapper aux tiraillements qui déchirent le pays. D'autres estiment que le salut passe par la désignation d'un homme à expérience politique sans appartenance partisane, quitte à ce qu'il se fasse entourer de techniciens et d'économistes chevronnés. « L'énarque » Hichem Mechichi répond-il à ces critères ? Les avis diffèrent. Mechichi avait exercé les fonctions de conseiller principal auprès du président de la République chargé des affaires juridiques. Il a été imposé comme ministre de l'Intérieur par Kaïs Saïed au gouvernement Fakhfakh malgré l'opposition farouche du parti islamiste Ennahdha. Entre-temps, le pays est dirigé par un gouvernement chargé des affaires courantes. Elyes Fakhfakh démissionnaire conservera son poste pendant une période indéterminée qui pourrait se prolonger au gré des échéances politiques. Il pourrait céder sa place dans un mois, mais il pourrait y rester longtemps en cas de nouvelles législatives. M. K.