Par Messaoud Boularès Le britannique Verisk Maplecroft, spécialiste de la gestion du risque-pays, a publié à la mi-juillet un rapport à caractère sensationnel : 37 pays sont présentés comme étant les plus vulnérables au monde et par conséquent particulièrement menacés par des conflits sociaux, à court terme, du fait des conséquences économiques de la pandémie de coronavirus. Selon les Nostradamus du conseil en risques et en stratégie de Verisk, l'impact économique et sanitaire de la pandémie fait exploser le niveau de risque de multiplication de troubles sociaux dans ces 37 pays où figure l'Algérie, notamment aux côtés des Etats-Unis, de la Russie, de la Turquie, de Hong-Kong, du Nigeria, de l'Afrique du Sud, du Brésil et de l'Egypte. Aucun autre pays du Maghreb n'y figure, bien évidemment pour cette première raison que nos voisins de l'Ouest sont partie prenante directe d'une prospective qu'à coups de financements directs ils se sont taillée à leur mesure pour déplacer vers l'Algérie la grogne qui gagne le Maroc profond. Sur la base de leurs projections, les Cassandre de ce cabinet qui vend sa marchandise aux milieux d'affaires, ces pays «seront confrontés à des pics de troubles importants au cours du second semestre de cette année, entraînés par une douloureuse reprise économique post-pandémie qui augmentera le mécontentement public à l'égard des gouvernements.» Curieusement, l'Europe et surtout le Maroc, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie ne sont pas dans la liste de ces pays jugés les moins résilients au monde. Ces mêmes 37 pays seraient ceux qui auraient développé les réponses de gestion de la crise les moins efficaces. On lit donc dans le rapport que les troubles supposés éclater dans les 37 pays ciblés «sur une période allant jusqu'à trois ans» ne surviendraient pas au Maghreb. À l'exception de l'Algérie qui est créditée, à l'instar des 36 autres pays de la liste établie par Verisk, d'un «faible taux de récupération», c'est-à-dire d'une prétendue faible capacité de résistance et de réponses appropriées à l'ampleur de la crise pandémique. Comme si les autres pays maghrébins étaient, à tous les points de vue, plus solides que les Etats-Unis, la Russie, l'Inde, Hong-Kong, le Brésil et la Turquie ! Or, à en croire par ailleurs l'agence américaine Bloomberg, dont on ne peut mettre en doute le sérieux et la rigueur, le Maroc, pour ne citer que lui, serait à la veille d'entrer dans un cycle de troubles déstabilisateurs et de crises majeures, sur le plan économique, politique et social. Du fait même de la profonde récession économique consécutive à la pandémie de Covid-19 qui affectera profondément les revenus du pays tirés essentiellement du tourisme, de l'agriculture et des exportations orientés essentiellement vers le marché européen, lui-même en crise profonde. Verisk voit donc midi à sa porte et veut faire croire à sa clientèle traditionnelle (milieux d'affaires) que l'herbe est moins verte dans les 37 Etats qualifiés de pays les plus fragiles. Mais sur quelles bases le centre d'évaluation britannique s'est fondé pour livrer ses oracles ? On constate qu'il a notamment calculé son ratio de risque avec deux données essentielles : les niveaux de risques sociaux préexistants à la pandémie et la capacité des pays à rebondir économiquement, à savoir le fameux «taux de récupération». Ce taux est calculé par Verisk Maplecroft à partir de 140 critères comme la force des institutions étatiques, l'agitation civile éventuelle, la stabilité des gouvernements en place, la possibilité d'attaques terroristes, les risques de catastrophes naturelles, le dynamisme économique et la sensibilité de la population aux restrictions et aux mesures de lutte édictées. Considérons donc les choses à partir des sept critères énumérés ci-dessus. L'Algérie est évidemment un pays à risque comme les 36 autres pays identifiés et à l'instar du reste du monde, car la pandémie est globale et est par définition mondiale. Comment, dans ce cas, prévoir la réalité, c'est-à-dire la complexité du risque dans un tel contexte ? Que l'on se rappelle de la crise économique universelle de 2007-2008, et que l'on se souvienne que lors de cette crise majeure des subprimes, les agences de notation s'étaient fortement trompées sur la réalité de la situation mondiale et du risque par pays. Le rapport prétendument scientifique avance beaucoup de certitudes là où subsistent beaucoup d'interrogations. Il est nécessairement sélectif, partiel et par définition partial étant donné qu'il prédit pour l'Algérie et les 36 autres pays ce qu'il appelle «scientifiquement» une «tempête parfaite» d'instabilité au cours des 2-3 prochaines années. On ne peut ainsi que s'étonner fortement de constater que les «brillants» analystes de Verisk n'aient pas pris en considération le fait que l'Algérie a un matelas de devises encore confortable, qu'elle possède un exécutif et des institutions désormais solides et stables, qu'elle est loin de connaître l'agitation civile et que les possibilités d'attaques terroristes sont désormais, et depuis déjà longtemps, très infimes en raison du professionnalisme et de l'efficacité universellement reconnus de notre armée et de nos différents services de sécurité. Reste l'avenir Il y a comme un air nostalgique de « printemps coloré » que certains résidus nocifs de l'oligarchie relaient sur les réseaux sociaux, l'acharnement à mettre à genoux le seul pays qui ne soit pas endetté, qui dispose de ressources et d'un matelas de réserves suffisant pour lui permettre de surmonter aisément la crise sanitaire qui le frappe dans une moindre mesure que nombre de pays très développés. Des trois pays du Maghreb, seule l'Algérie figure dans la liste rouge établie par les autorités françaises pour soumettre ses voyageurs aux tests aux frontières. La France, qui connaît une aggravation de sa situation épidémiologique, est – rappelons-le – le pays d'origine des premiers cas de Covid-19 enregistrés en Algérie. Le traitement de faveur réservé au Maroc ne peut occulter une amère réalité : celle d'un désert médical d'une ampleur telle que ce pays ne dispose que de deux centres de tests de l'Institut Pasteur (Casablanca et Rabat) et que pour préserver les maigres ressources du tourisme, il doit falsifier les chiffres pour attirer ses visiteurs. Comparativement, l'Algérie est passée d'un laboratoire de test de l'Institut Pasteur à trente centres, auxquels s'ajoutent les universités, les hôpitaux et les laboratoires privés. Le cap constitutionnel étant fixé, il convient de veiller à consolider le front intérieur contre lequel viendront se briser toutes les velléités de déstabilisation récurrentes. Sa jeunesse digne, créative et solidaire saura toujours les déjouer. M. B.