Propos recueillis par Ilhem Tir Pr Amhis Wahiba, présidente de la Société algérienne de microbiologie clinique (Samic) et chef de service du laboratoire de microbiologie du CHU Mustapha, explique dans cet entretien le rôle de la microbiologie clinique en général et l'attention particulière accordée à la situation de la pandémie de coronavirus SARS-CoV-2 dans notre pays. En rassurant sur la fiabilité des tests sérologiques commercialisés aujourd'hui, elle n'hésite pas à faire des recommandations aux microbiologistes, à la tutelle et aux citoyens. Le Soir d'Algérie : Quel est le rôle de la Société algérienne de microbiologie clinique (Samic) ? Pr Amhis : La Société algérienne de microbiologie clinique est une société savante, créée en 2008. Elle regroupe les médecins et pharmaciens microbiologistes du secteur de la santé public et libéral. Elle a un caractère national et a été présidée pendant 10 ans, de 2008 à 2018, par le Pr Mohamed Tazir. Dès sa création, la Samic s'était fixé pour mission la promotion de la microbiologie médicale clinique, en étroite collaboration avec les cliniciens, dans notre pays à travers différentes rencontres scientifiques qui ont permis aux microbiologistes algériens d'échanger avec leurs collègues spécialistes nationaux et internationaux, de présenter leurs travaux de recherche et d'actualiser régulièrement leurs connaissances. C'est ainsi que la Samic a organisé de nombreuses journées scientifiques portant sur des thèmes ayant un impact direct sur la santé publique comme le diagnostic, la thérapeutique et la prévention des infections bactériennes et virales. On peut citer ainsi parmi les thèmes traités, la problématique des hépatites virales, du VIH, de la tuberculose, de la prise en charge de l'infection chez le transplanté, les infections entériques bactériennes (choléra) et virales, etc. Nous préparons, pour cette année, le 1er congrès international et la 10e journée de la Samic les 11, 12 et 13 octobre 2020. Le thème retenu est d'actualité brûlante puisqu'il traite des infections respiratoires bactériennes et virales, entre autres de la pandémie Covid-19, pour laquelle nous avons réservé une session entière. Comment la Samic suit-elle l'évolution de la situation de la pandémie de coronavirus ? La Samic suit avec beaucoup d'attention la situation de la pandémie à coronavirus SARS-CoV-2 dans le monde en général et dans notre pays en particulier. Elle intervient quand cela est nécessaire pour donner un avis ou des recommandations portant sur le diagnostic virologique du Covid-19, ainsi que sur la pertinence des indications de certaines techniques de RT-PCR ou de sérologie utilisées à travers le pays dans les structures publiques ou privées. La Samic est également une société savante citoyenne à l'écoute des préoccupations de la société algérienne. C'est ainsi que durant cette pandémie, une contribution intitulée « Mieux comprendre la pandémie Covid-19 » et adressée au citoyen algérien a été publiée dans un journal national le 30 avril 2020 dans l'objectif de sensibiliser le citoyen algérien à la gravité de cette maladie et de lui rappeler les précautions à prendre et les mesures barrières à respecter afin de casser la chaîne de transmission épidémiologique du virus SARS-CoV-2 agent du Covid-19. Les laboratoires d'analyse ont été intégrés dans le circuit du dépistage du Covid-19. Qu'en pensez- vous ? Je suppose que par laboratoires d'analyse, vous entendez les laboratoires de biologie médicale du secteur privé (LBMP). En effet, le ministre de la Santé a annoncé, le 2 juillet 2020, que « ces laboratoires étaient autorisés à effectuer les tests de diagnostic du Covid-19 par RT-PCR, s'ils étaient dotés des moyens nécessaires et d'équipement médical». Je trouve, pour ma part, que c'est une bonne décision car les LBMP qui sont partie prenante dans la prise en charge du patient algérien ne pouvaient plus rester spectateurs de cette pandémie dévastatrice alors qu'ils possèdent la ressource humaine compétente et les moyens matériels adéquats. Cinq mois après le premier cas diagnostiqué en Algérie, la pandémie Covid-19 est toujours là avec un nombre de contaminés croissant. Les structures hospitalières ne peuvent plus à elles seules faire face à la demande de soins des citoyens. Si la réalisation de RT-PCR exige des moyens matériels et des locaux nécessaires pour séparer les différentes zones dédiées à l'extraction, le mix et l'amplification dans le cas de la RT-PCR classique ou une seule zone dans le cas de la RT-PCR automatisée, les tests sérologiques sont plus faciles à réaliser et ne diffèrent pas de ceux des autres infections qu'elles soient bactériennes ou virales que nos collègues effectuent quotidiennement. Leur participation à la lutte contre cette pandémie Covid-19 est appréciable et non négligeable pour dépister les cas positifs ayant acquis des anticorps anti-SARS-CoV-2, pour peu que le test soit de bonne qualité. Quels sont les tests sérologiques disponibles ? De nombreux tests sérologiques sont aujourd'hui disponibles dans notre pays. Contrairement aux tout premiers qui n'étaient pas homologués par l'OMS, et pour lesquels, en tant que Samic, nous avions attiré l'attention de notre tutelle sur les risques d'erreurs d'interprétation par manque de sensibilité et de spécificité de ces tests, ceux commercialisés aujourd'hui sont beaucoup plus performants. Doit-on se fier à ces tests ? Oui, les tests basés sur la technique ELISA et de chimiluminescence ont été homologués par l'OMS et la FDA. Ils sont puissants, ils ont une sensibilité et une spécificité qui se rapprochent du 100% pour certains. Ils permettent de dire avec précision que la personne ayant acquis des anticorps anti-SARS-CoV-2 a été infectée par le virus, mais ne permettent pas de dire si le patient n'est plus porteur de ce virus. C'est pour cette raison que la sérologie seule ne permet pas de poser le diagnostic de Covid-19, ou de dire que le patient n'est plus contagieux. Que recommanderiez-vous en tant que présidente de la Société algérienne de microbiologie clinique ? En tant que présidente de la Samic, j'aurai plutôt des appels à faire. En premier lieu à notre tutelle : cette pandémie a dévoilé les failles existant dans les laboratoires de microbiologie des hôpitaux publics. La lutte contre la pandémie exige des moyens matériels et la disponibilité des réactifs, pour identifier, traiter et isoler rapidement les cas positifs de Covid-19. Malheureusement, si la ressource humaine compétente existe dans le secteur public, les moyens matériels et réactifs font défaut. Il est donc urgent d'équiper ces laboratoires de matériel indispensable à la réalisation de la technique RT-PCR comme les automates et les PSM2 (postes de sécurité microbiologique) entre autres, et surtout faire en sorte que les réactifs de RT-PCR soient disponibles régulièrement, pour une lutte efficace et continue contre cette pandémie de Covid-19 qui ne semble pas près de s'éteindre. En deuxième lieu aux collègues microbiologistes : le nombre de personnel soignant contaminé dans nos hôpitaux et dans le secteur libéral va crescendo, ce qui est alarmant. Si j'ai une recommandation à leur faire, c'est de prendre le maximum de précautions lors de la réalisation des tests de RT-PCR, c'est-à-dire de la réception, en triple emballage, du prélèvement à la réalisation du test lui-même. La protection avec les EPI (équipement de protection individuel) est obligatoire et des protocoles portant sur l'habillage et le déshabillage doivent être rédigés, affichés et appliqués après formation du personnel. Ne pas oublier que nous manipulons des prélèvements contenant un virus hautement pathogène, et que dans la majorité des contaminations des biologistes, c'est lors du déshabillage entre autres que le risque est le plus important. Et aux citoyens ? En tant que société savante proche du citoyen algérien et à l'écoute de ses préoccupations, il est de notre devoir de le sensibiliser et de lui conseiller de redoubler de vigilance aujourd'hui plus qu'hier. En effet, le virus est très actif, il circule beaucoup, il est partout. Le citoyen algérien doit prendre conscience qu'il est au cœur de la lutte contre cette pandémie, et que s'il ne s'implique pas sérieusement, la pandémie s'étalera dans le temps et dans la durée et emportera par conséquent de nombreux Algériens sur son passage. C'est donc en portant le masque à chaque fois que nécessaire, en respectant la distanciation dans les lieux publics et en se frictionnant les mains à la solution hydroalcoolique le plus fréquemment possible, qu'on pourra vaincre tous ensemble cette pandémie. I. T.