L'incroyable dossier de la villa 143 de Moretti est programmé en procès pour le 5 août prochain au tribunal de Chéraga. Deux anciens ministres et l'ex-responsable de la DGSN comparaîtront avec la prétendue fille cachée de Abdelaziz Bouteflika dans cette folle affaire qui devrait lever le voile sur les intrigues d'une sombre époque... Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les faits sont d'une gravité telle qu'on dit qu'ils ont laissé sans voix les magistrats instructeurs et des personnes qui se sont penchées sur le dossier. L'histoire en question a un personnage central, Mme Maya. Elle siège à Moretti, dans une villa qui bénéficie bizarrement d'une garde qu'assurent, de nuit comme de jour, des éléments des services de sécurité. L'enquête prouvera plus tard que leur mission découlait d'un ordre de l'ancien patron de la DGSN. Le nom de Abdelghani Hamel figure d'ailleurs dans le communiqué émanant des instances judiciaires qui ont rendu l'affaire publique. Il se trouve déjà incarcéré lorsqu'il apprend son inculpation dans ce second dossier. Hamel est soupçonné d'avoir chargé Mme Maya de cacher d'importantes sommes d'argent chez elle, des liquidités qu'il mettait de côté en cas d'urgence, dit-on. Il n'est pas le seul haut responsable à user de la notoriété dont jouissait la dame à cette époque. Mme Maya entame son aventure après une entrevue avec le président de la République auquel elle rappelle la proximité qu'entretenaient ses parents avec lui avant son accession au pouvoir. Abdelaziz Bouteflika la reçoit, l'écoute et la met en contact avec Mohamed Rouguab, son secrétaire personnel, et le charge de l'aider à accomplir son projet : l'ouverture d'une station d'essence. Mme Maya se prévaut désormais du soutien de l'homme le plus proche de Bouteflika. Son accession soudaine au cercle restreint des hommes forts du moment lui confère une notoriété qu'elle met à profit dans les affaires, Mohamed Rouguab la présente lui-même comme étant un membre de la famille présidentielle, peu à peu un personnage hors du commun prend naissance, Mme Maya, fille cachée du Président. Les hommes d'affaires se pressent à son portillon pour obtenir son soutien, des sommes astronomiques lui sont parfois proposées pour des entrevues avec des ministres en vue de l'obtention de marchés. Le secteur du bâtiment et des travaux publics est particulièrement ciblé. Elle joue la «rabatteuse», engrange les sommes qu'on lui tend pour des rendez-vous avec les ministres et dissimule son magot dans les murs d'une arrière-chambre de sa villa sous haute protection. Une partie de cet argent lui sert à lancer des affaires. Elle sollicite deux terrains, l'un à Chlef et l'autre à Oran. Mohamed Ghazi, ex-ministre du Travail, et Abdelghani Zaâlane, ex-ministre des Travaux publics, sont à cette époque respectivement walis des deux wilayas concernées. Ils accèdent à ses demandes sur instruction du secrétaire particulier de Abdelaziz Bouteflika. El Ghazi est convaincu des dires de Rouguab, Zaâlane un peu moins. Il décide d'aborder le sujet avec Saïd Bouteflika qui lui apprend alors que Mme Maya n'est pas une proche de la famille. Il a eu vent, dit-il, du personnage fabriqué par des membres de la présidence de la République et en a alerté les services de sécurité. Une enquête s'ouvre, elle n'aboutira qu'après la destitution de Abdelaziz Bouteflika. En juillet 2019, un communiqué émanant de la justice informe l'opinion qu'une perquisition effectuée à la villa 143 de Moretti a permis la découverte de 12 milliards de centimes, 270 000 euros, 30 000 dollars, 17 kilogrammes de bijoux en or et plusieurs documents de voyage. 10 milliards de centimes étaient emmurés dans une arrière-chambre de la villa. Les deux anciens ministres, Abdelghani Hamel et onze personnes sont poursuivis pour «violation de la réglementation et du règlement relatifs au change et au mouvement des capitaux de et vers l'étranger», «abus de fonction», «obtention et octroi d'indus avantages» et «trafic d'influence». Mme Maya et ses deux filles sont arrêtées et poursuivies pour «blanchiment d'argent dans le cadre d'une association criminelle organisée», «complicité dans l'abus de fonction», «violation de la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l'étranger», «demande et acceptation d'indus avantages en recourant à un agent public» et «complicité dans l'octroi d'indus avantages». Leur arrestation intervient au moment où elle s'apprêtait à quitter le territoire national en compagnie de ses filles sous de fausses identités. Mme Maya et ses deux filles ont déjà été jugées et condamnées à dix-huit mois de prison pour détention de faux passeports. Le plus dur est à venir, ce 5 août au tribunal de Chéraga. A. C.