Après cinq mois d'instruction, la justice n'a toujours pas levé le voile sur l'identité de toute cette kyrielle de personnalités et d'hommes d'affaires qui faisaient la chaîne à la villa 143 à la résidence d'Etat Sahel, à Moretti, pour monnayer les services rendues par «Madame Maya», ou «Lemaâlma» (La cheffe), comme aimaient bien la surnommer ses proches. Cette mystérieuse femme d'affaires a réussi à ériger une fortune colossale grâce à sa réputation de «fille cachée du Président». Son incarcération a entraîné celle de l'ex-ministre du Travail, Mohamed Ghazi, de Abdelghani Zaalane et, depuis peu, de Abdelghani Hamel et d'autres personnes, alors qu'un sénateur du tiers présidentiel, Ammar Yahiaoui, est toujours en fuite… Elle avait un des carnets d'adresses les plus fournis, disposait d'une kyrielle de ministres, de walis et de hauts cadres de l'Etat à son service pour lui ouvrir toutes les portes devant elle, juste parce qu'elle était présentée comme la «fille cachée» du président déchu, Abdelaziz Bouteflika. Elle habite à Moretti, à la villa 143 de cette résidence d'Etat située au bord de la côte ouest d'Alger et où se côtoient les plus influentes personnalités de l'Etat. Elle, c'est «Madame Maya», une femme d'affaires qui a vu sa fortune, aussi bien en Algérie qu'à l'étranger, grossir de manière fulgurante et son autorité devenir aussi puissante que celle des plus hauts responsables. Beaucoup d'hommes d'affaires, d'entrepreneurs et de commerçants payaient cher pour se frayer un chemin jusqu'à la villa 143 à la résidence d'Etat de Moretti, et encore plus cher pour l'obtention de ses services pour décrocher une parcelle de terrain par-ci, le financement d'une affaire par-là, ou encore les coordonnées d'un ministre ou d'un wali. «Madame Maya» n'est pas une femme ordinaire. Pour tout le monde c'est «la fille cachée» du Président. Vrai ou faux, ce titre est pour elle une sorte de sésame qui lui ouvre toutes les portes et à tous les niveaux de l'etat. Mais, il aura fallu la fin du président et de son entourage pour que les services de sécurité enquêtent sur les colossales sommes d'argent qui s'échangeaient dans la villa 143 à Moretti. La perquisition effectuée en ce début du mois de juillet dernier aboutit à une découverte hallucinante : 12 milliards de centimes, 270 000 euros, 30 000 dollars, 17 kilogrammes de bijoux en or et plusieurs documents de voyage ont été découverts par les enquêteurs. Dans cette somptueuse villa, témoin de soirées mondaines et de repas fastidieux, des fonds étaient emmurés dans une pièce loin des regards et des va-et-vient. Mme Maya est arrêtée ainsi que ses deux filles pour «blanchiment d'argent dans le cadre d'une association criminelle organisée», «complicité dans l'abus de fonction», «violation de la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l'étranger», «demande et acceptation d'indus avantages en recourant à un agent public» et «complicité dans l'octroi d'indus avantages». Sa chute entraîne celle de Mohamed Ghazi, ministre du Travail, et de son fils, de Abdelghani Zaalane, des Travaux publics et ex-wali d'Oran, mais aussi celle de l'ex-Directeur général de la Sûreté nationale, Abdelghani Hamel, et du sénateur du tiers présidentiel, Ali Talbi. En tout, 11 personnes sont poursuivies pour «violation de la réglementation et du règlement relatifs au change et au mouvement des capitaux de et vers l'étranger», «abus de fonction», «obtention et octroi d'indus avantage» et «trafic d'influence», puis placées sous mandat de dépôt, alors que le dossier de Abdelghani Zaalane et de Ghazi Mohamed est transmis pour examen par la Cour suprême, qui décide quelques semaines plus tard de leur mise en détention. L'instruction va lever le voile sur cette énigmatique «Madame Maya», dont les parents étaient une «connaissance» du Président déchu. Elle décide d'aller le voir pour l'aider dans son projet d'ouverture d'une station d'essence et d'un relais à Blida. Les instructions de Mohamed Rougab, secrétaire particulier du président déchu Après une entrevue, il a instruit, dit-elle, Mohamed Rougab, son secrétaire particulier, de prendre en charge son problème. Mais, c'est à Chlef, dont le wali était Mohamed Ghazi, qu'elle décide de lancer son affaire de parc de loisirs, à l'intérieur même d'une forêt. Mohamed Rougab se charge de la recommander et de lui prendre rendez-vous. Il lui présente un certain Ali Talbi, ex-sénateur, comme éventuel associé, mais elle affirme qu'elle n'a travaillé qu'avec un entrepreneur de Ghardaïa. Ses importants avoirs sur un compte en Espagne sont les revenus du loyer des bureaux qu'elle loue à un organisme onusien à Alger. Des déclarations qui ne cadrent pas avec celles de Miloud Benaicha, un importateur de viande congelée. Il voulait un terrain pour ses chambres froides à Oran, et c'est à un ami commun à «madame Maya» qu'il s'adresse pour lui faciliter la tâche. Il obtient un rendez-vous avec Abdelghani Zaalane, alors wali d'Oran, qu'il va rencontrer avec son ami et le fils de Mohamed Ghazi. Il lui cède un terrain marécageux à Tafraoui, qu'il refuse, puis un autre à Sidi Chahmi, qui ne répondait pas à son activité, mais qu'il garde au cas où il changerait d'activité. Quelques jours après, son ami l'emmène voir l'ex-sénateur Ammar Yahiaoui, qui lui réclame 20 milliards de centimes pour «Lemaâlma» (La cheffe) qui a servi d'intermédiaire. Il quitte le lieu avec son ami, qui le supplie de s'acquitter ne serait-ce que de la moitié du montant pour ne pas perdre ses affaires, d'un montant de 100 milliards de centimes, avec «lemaalma». L'importateur décide de lui donner les 10 milliards en deux tranches. Le dossier comporte d'autres témoignages de ce genre où «madame Maya» est présentée comme une «entremetteuse» dans le monde des affaires, qui bénéficie d'une protection policière. Abdelghani Hamel dément toute affectation de policiers, alors que l'ex-ministre du Travail, grâce auquel Hamel a fait la connaissance de «madame Maya», affirme qu'après le vol dont a fait l'objet celle-ci à sa villa, il a emmené avec lui Hamel pour lui rendre visite et a décidé de lui affecter deux agents en civil pour sa sécurité. Ghazi connaît assez bien «madame Maya» avec laquelle il échange des visites familiales depuis des années, après que Mohamed Rougab, le secrétaire particulier du Président déchu, la lui a recommandée en la présentant comme membre de la famille du Président. Il lui a demandé de l'aider à obtenir un terrain à Chlef pour son parc de loisirs à Chorfa. Elle a obtenu une décision d'exploitation, mais les services de l'agriculture s'étaient opposés, et le ministre a levé le gel. Pour Ghazi, «madame Maya» est la «fille cachée» du Président, puisque Rougab le lui a insinué et Hamel avait tous les moyens de le vérifier, dans le cas où elle ne l'était pas. Tous les services dont elle a bénéficiés, lui ont été accordés sur instruction du secrétaire particulier du Président déchu. D'ailleurs, c'est à ce titre qu'il a pris attache avec Abdelghani Zaalane, alors wali d'Oran, pour lui demander de prendre en charge des personnes que Saïd Bouteflika lui avait recommandées, à savoir l'importateur de viande congelée et son ami, qui voulaient un terrain proche du centre-ville. Il leur propose une première assiette qu'ils refusent, puis une deuxième, mais ils reviennent deux jours après avec des photos de plusieurs terrains, y compris des sociétés publiques dissoutes. Pris de doute, Zaalane prend attache avec la Présidence, où Saïd Bouteflika lui précise que le dossier concerne une femme très influente, qui bénéficie d'une protection personnelle, à sa maison à Moretti, de Hamel, qu'elle n'a pas de relation avec lui et qu'il n'a pas instruit Ghazi pour la prendre en charge. Mieux encore, Saïd Bouteflika l'informe même qu'une enquête a été ouverte sur elle par les services de sécurité. Devant ces révélations, Zaalane annule toutes les décisions accordées aux envoyés de Ghazi. L'enquête qui se poursuit n'a pas encore livré tous ses secrets, surtout que l'ex-sénateur du tiers présidentiel, Ammar Yahiaoui, n'a pas été entendu en raison de sa fuite à l'étranger, mais aussi d'autres mis en cause cités mais non identifiés. Il y a quelques semaines, le juge d'instruction a ordonné un mandat de dépôt contre Abdelghani Hamel qui lui a été notifié à la prison d'El Harrach, où il est détenu pour une autre affaire d'enrichissement illicite, dans laquelle sont impliqués ses quatre enfants et son épouse et plus d'une dizaine de cadres de l'Etat. Pour l'instant, aussi bien l'instruction relative à l'affaire «madame Maya» au tribunal de Chéraga, que celle concernant «l'enrichissement illicite» à Sidi M'hamed ne sont pas terminées et les auditions se poursuivent toujours par les magistrats instructeurs.