La secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, n'a rien perdu de sa verve. Encore moins de son verbe. Les neuf mois de détention qu'elle a passés à la prison militaire de Blida ne l'ont pas contrainte à abandonner la partie et son « engagement politique ». Six mois après sa libération, elle s'exprime pour la première fois dans un entretien médiatique accordé à LSA Direct, émission hebdomadaire du Soir d'Algérie, sur plusieurs questions d'actualité nationale. Karim Aimeur - Alger (Le Soir) - Louisa Hanoune a abordé la situation politique du pays, la gestion de la crise sanitaire par les autorités, la trêve du mouvement populaire et, bien évidemment, son emprisonnement. Et c'est justement cette question qui a été abordée dès la troisième minute de l'entretien qui a duré quelque quarante minutes. «Je referais la même chose dans 20 ans si cela venait à se répéter» Pour avoir assisté à une rencontre informelle au début de la révolution populaire du 22 février 2019, Louisa Hanoune a été incarcérée le 9 mai 2019 à la prison militaire de Blida, poursuivie pour « atteinte à l'autorité de l'armée », et « complot contre l'autorité de l'Etat ». Condamnée, dans un premier temps, à 15 ans de prison ferme, elle sera finalement libérée le 11 février 2020 à l'issue d'un procès en appel au tribunal militaire de Blida, durant lequel sa peine a été ramenée à trois ans de prison dont neuf mois fermes. De ses déclarations à LSA Direct, Mme Hanoune donne l'impression de n'avoir rien regretté, affirmant qu'elle fera la même chose dans 20 ans si le même scénario se répète. Mieux, elle dit avoir quitté la prison plus forte et plus déterminée. « On sort renforcé dans ses convictions et plus que jamais déterminé à poursuivre (le combat) et en même temps, avec davantage de clarté dans les idées », a-t-elle lancé, rappelant qu'elle a passé les neuf mois d'emprisonnement dans l'isolement. Elle n'avait dans sa cellule que l'ENTV, avant qu'on ne lui ajoute Canal Algérie. Son seul contact avec le monde extérieur était ses avocats. Durant ces neuf mois de détention, elle a lu 250 livres. « En sortant, j'ai tiré une conclusion : tant que ce système n'est pas parti, il y aura toujours de l'arbitraire, des arrestations... », a-t-elle soutenu. Son emprisonnement semble être, à ses yeux, une continuité logique de son parcours et ses embûches. Elle regrette que les mêmes pratiques perdurent depuis sa première incarcération en 1983, en passant par sa deuxième détention en 1988. « En 1984, quand j'étais sortie de prison, mon frère aîné m'avait dit ‘'j'espère que c'est le dernier malheur que tu auras vécu'', m'invitant à réfléchir après avoir vu où mène cette voie de l'engagement politique. Il m'a dit : ‘'Est-ce que tu veux continuer avec toutes les conséquences que cela peut induire sur ta vie, sur ta liberté, ou alors tu vis une vie normale paisible comme tous les Algériens ?'' Je lui ai répondu : ‘'Je pense que c'est le système du parti unique qui a tracé ma voie en me mettant en prison arbitrairement, injustement. Je suis plus que jamais convaincue qu'il faut que ce système s'en aille. Je continue'' », a-t-elle relaté. Elle ajoutera : «Le 16 octobre 1988, c'était la sécurité militaire qui est venue m'enlever dans mon lieu de travail, m'accusant d'avoir incité les jeunes à sortir dans la rue contre le système, a-t-elle poursuivi. Et de déplorer que 30 ans plus tard, on réédite les mêmes choses avec les mêmes pratiques et les mêmes chefs d'inculpation de 1983 : atteinte à la sûreté de l'Etat, association de malfaiteurs, tentative de coup d'Etat, tracts subversifs... «La démocratie est en danger» Au passage, l'invitée de LSA Direct a fait observer que le système a gardé les mêmes pratiques et la même nature mais, cette fois-ci, dans une conjoncture très différente et dans un processus révolutionnaire lorsque la majorité du peuple est sorti dans la rue pour dire basta. Pire, elle estime que les acquis d'Octobre 1988 sont remis en cause et la démocratie est en danger. « La démocratie politique en général est en danger. Les espaces d'expression chèrement acquis en 1988 ont été réduits », a-t-elle constaté. Pour elle, le 22 février 2019 est le produit de décennies de lutte, de privations et d'accumulations. Mais cette révolution n'a pas apporté les changements souhaités. « Bouteflika est parti, son régime est resté et le système politique qui nous étouffe depuis 1962 est toujours là , avec les mêmes rapports clientélistes basés sur la courtisanerie, les mêmes pratiques, la même répression, les mêmes atteintes aux libertés, les mêmes politiques... », a-t-elle regretté, ajoutant que les lois adoptées par le Parlement de Bouteflika et ses gouvernements successifs sont en vigueur. Louisa Hanoune estime que « l'histoire du 5e mandat était la goutte qui a fait déborder le vase avec une exigence citoyenne centrale : le départ du système. Le système s'est défendu contre cette exigence, donnant lieu à des dérapages et des dérives.Parmi ces dérapages et dérives, la détention de plusieurs militants et hommes politiques. Le nouveau pouvoir a promis de prendre des mesures d'apaisement, partiellement tenues avec la libération de quelques détenus d'opinion. En même temps, d'autres activistes et militants sont arrêtés et jetés en prison ». Mme Hanoune y voit « une dualité flagrante ». Elle poursuit : « Logiquement, on se serait attendu à ce qu'il y ait davantage de libérations. Mais non. On libère et on arrête le même jour d'autres militants en cascade. La liberté de la presse et de l'opinion est en réalité confisquée. Il y a une chape de plomb et il faut le reconnaître », a-t-elle martelé. Cette dualité traduit, selon elle, la crise du système et ses contradictions internes. « Cette crise fait que le système n'a pas de réponses démocratiques à apporter puisqu'il veut se maintenir coûte que coûte. C'est injuste et en contradiction avec tout ce que nous entendons sur la nouvelle République », a-t-elle ajouté, dénonçant « une terrible pression » sur les plans médiatique et politique. «Personne n'a le droit de s'ériger en directeur du Hirak» Interrogée sur la trêve du Hirak dans ce contexte de crise sanitaire et ses perspectives, la SG du PT relève d'abord que le mouvement est loin d'être un simple Hirak, mais un mouvement révolutionnaire. «Il ne s'agit pas d'un simple Hirak. Ce sont des questions politiques qui sont posées. C'est faux de penser qu'il s'agit d'une révolution bourgeoise démocratique. C'est un Hirak révolutionnaire qui est le produit de décennies de lutte, de privations, d'accumulations (...) C'est un mouvement populaire spontané qui est en dehors des cadres traditionnels des partis, des syndicats...», a-t-elle expliqué, soutenant que ce mouvement était prévisible. Pour elle, ce mouvement n'a pas à se doter d'une direction, estimant qu'un tel choix lui sera fatal. « Personne n'a le droit de s'ériger en directeur de ce Hirak », a-t-elle clamé, accusant certains, sans les nommer, de s'être érigés en P-dg du Hirak. Mme Hanoune évoque une recomposition qui se met en place dans la plus grande difficulté, parce que la décantation s'opère. « Comme dans tout processus révolutionnaire, ça charrie tout et son contraire. Vous pouvez avoir les points de vue des plus réactionnaires, des plus obscurantistes, aux points de vue les plus progressistes. Donc, il serait dangereux de vouloir lui imposer une direction. Comme tout processus, il y aura une décantation et il (le Hirak, ndlr) aura besoin à un moment donné de se doter d'une forme d'organisation mais non pas d'une organisation permanente, parce que la pire des choses qui puisse se produire, c'est de confisquer ce caractère spontané, populaire, divers, pour imprimer une sorte d'homogénéité», a-t-elle averti. À ses yeux, le type d'organisation le mieux adapté à ce mouvement, tout en préservant son indépendance, son objectif qui est le départ du système et son caractère unitaire large, serait la mise en place de comités d'unité d'actions. Relevant que certains courants s'organisent dans les marches de vendredi, elle a soutenu que ces marches sont insuffisantes pour les débats et les discussions. «La Constitution n'est pas une priorité» À côté du confinement sanitaire, un confinement politique est observé chez les partis politiques. Pourquoi ? « Il apparaît que le Covid-19 a été mis aussi à profit pour restreindre les libertés », accuse l'oratrice qui affirme que les mesures de lutte contre le virus sont tellement contraignantes qu'elles ont paralysé la vie politique. Déplorant la gestion « sécuritaire et judiciaire » du Covid-19 par les autorités, Mme Hanoune a accusé le pouvoir de ne pas avoir mis les moyens de protection et de prévention à la disposition des citoyens. Elle reproche au même temps au pouvoir de ne pas avouer, dès le début, la gravité de la situation aux Algériens, afin de les faire adhérer aux démarches officielles. La patronne du PT n'a pas manqué de critiquer la manière dont le gouvernement a géré la crise sanitaire, en ne dégageant pas tous les moyens nécessaires à la prévention, ce qui aurait permis d'éviter une paralysie totale sur le plan économique mais aussi politique, dénonçant la politique de démantèlement du système de santé publique. Dans le contexte de cette crise, Mme Hanoune soutient que le projet de révision de la Constitution est loin d'être une priorité. « La solution est ailleurs. Il y a des priorités aujourd'hui autrement plus importantes que le débat autour d'une Constitution. C'est la sauvegarde des vies humaines et la préservation de la santé du peuple algérien », a-t-elle argué, appelant le gouvernement à réunir toutes les conditions à même de protéger le personnel de santé en mettant à sa disposition tous les moyens humains et matérielspour affronter cette situation «extrêmement dangereuse». La deuxième priorité, c'est le pain, le travail, l'eau pour l'écrasante majorité, a-t-elle poursuivi. L'invitée de LSA Direct nuance un peu son jugement à l'égard du pouvoir lorsqu'elle sera interrogée sur les mesures du chef de l'Etat, Abdelmadjid Tebboune, en faveur des petits métiers et les PME touchés par la pandémie. « Toute mesure qui peut soulager un tant soit peu, même une partie, est toujours la bienvenue surtout dans une période de détresse sociale et de privations », a-t-elle affirmé. Elle s'est toutefois interrogée si ces mesures seront appliquées, appelant à lever l'opacité sur les 30 000 DA accordés aux petits métiers afin de savoir si c'est une allocation pour un seul mois ou pour trois mois. Dans ce contexte, elle a rappelé l'aveu de Tebboune concernant l'indemnité de 10 000 DA qui n'a pas été accordée à tous les bénéficiaires. K. A.