L'Algérie ne peut plus se permettre de maintenir sa consommation d'énergie «classique» dans les proportions qui sont les siennes et qui vont grandissant au fil des années. «Nous en avons encore pour une vingtaine d'années» s'est fait un devoir de rappeler, hier, sur le plateau de l'émission hebdomadaire du Soir d'Algérie, «LSA Direct», le professeur Chems Eddine Chitour, ministre de la Transition énergétique et des Energies renouvelables, pour tordre le cou au discours qui louait, jusqu'à il y a quelques années encore, l'abondance que recèle notre sous-sol. «Nous n'avons plus le choix : on doit aller vers les économies d'énergie, vers les énergies renouvelables, parce que nous vivons au-dessus de nos moyens», alertait le professeur Chitour, hier, pour ouvrir ce qui prenait les contours d'une nouvelle plaidoirie, du genre qu'il ne cesse de livrer à chacune de ses sorties pratiquement, notamment depuis qu'il a hérité du portefeuille de la Transition énergétique et des Energies renouvelables. À ce rythme de consommation, nous en aurons donc pour une vingtaine d'années, et pire, a expliqué Chitour, eu égard à la croissance de la population algérienne qui, avec un million de naissances par an, atteindra les 55 millions d'habitants en 2030. Ces dix années, c'est une opportunité que le pays doit saisir pour se sortir de «l'ébriété énergétique actuelle vers la sobriété énergétique». Ce n'est pas du jour au lendemain que l'on sortira de l'habitude, reconnait le ministre, qui prône toute une pédagogie, pour expliquer de quoi il s'agit, pour ne plus nous permettre de «vivre au-dessus de nos moyens». À l'exemple du logement, dans le «logiciel» de ceux qui construisent, le souci d'économiser de l'énergie ne s'est jamais posé. Il faut savoir qu'un appartement en Algérie, c'est une consommation annuelle de 200 kilowatt heure/m2, alors que dans les pays occidentaux, cette moyenne est de 50 kilowatt heure/m2. Un exemple parmi tant d'autres qui illustre la nécessité d'une prise de conscience citoyenne, pour l'émergence de «l'éco-citoyen». C'est un combat à mener, pour que l'on arrive à ne plus gaspiller de l'énergie et surtout que l'on comprenne qu'en 2028 se posera la lourde question : faudra-t-il consommer ou exporter ? Parce qu'il nous sera impossible de faire les deux, a expliqué le professeur Chitour. C'est là qu'apparaît dans toute sa splendeur «la fenêtre d'opportunité» que nous offrent ces toutes prochaines années pour «faire beaucoup de choses dans l'économie d'énergie». La construction et le transport : ça doit changer ! Pour l'invité du Soir d'Algérie, le plus grand gisement de l'Algérie, c'est en fait son économie d'énergie (entre 10 et 15%), et dans l'optique de matérialiser cette économie, le département que dirige le professeur Chitour a «commencé à mettre de l'ordre» en visant à économiser 10% de ce que nous consommons, c'est-à-dire 6 millions de tonnes à épargner, l'équivalent de 45 millions de barils, soit 1.8 milliard de dollars avec un prix du baril à 40 dollars. Cela ne va pas être facile, admet le ministre. Pour ce faire, il va falloir par exemple se pencher sur le secteur de la construction, sur la consommation de carburant en privilégiant le Sirghaz, ou encore le recours à l'installation de chauffe-eau solaires, dont le ministre ambitionne 100 000 unités installées l'année prochaine. De belles annonces, mais que le ministre dit ne pas aimer de peur de voir intervenir de «nombreux paramètres». Autre grand problème identifié : le système de transport, celui dont on a hérité de l'époque coloniale. 70% en diesel et 30% en essence. C'est pourquoi, révèle le ministre Chitour, il a proposé au ministre de l'Industrie d'intégrer dans le nouveau cahier des charges relatif à l'importation de véhicules neufs des exigences relatives à la consommation tout en insistant sur le caractère polluant du diesel. En tous les cas, pour le ministre de la Transition énergétique, sur la question des carburants, l'objectif est de «voir toutes les possibilités qui nous permettent de sortir de l'essence et du diesel». C'est à ce titre qu'il va falloir promouvoir le Sirghaz d'une meilleure façon qu'il ne l'a été jusque-là, par exemple jouer sur le différentiel entre le diesel et le Sirghaz qui, pour le moment, n'est pas important pour espérer faire déporter le citoyen vers le Sirghaz, au contraire de celui entre l'essence et le diesel. Le déficit est en fait pédagogique ; lorsque le pompiste lui-même n'encourage pas que les citoyens se rabattent sur le Sirghaz, il ne fallait pas s'attendre à une révolution. Et puis, toujours dans le secteur des transports, le ministre a insisté sur la locomotion électrique, «un train qu'il ne faudra absolument pas rater». Le monde est en train de connaître une «révolution électrique verte», le moment est venu pour que nous aussi on l'adopte, a passionnément appelé Chems Eddine Chitour qui qualifie le recours à la voiture électrique de «tournant majeur». Quoi qu'il en soit, il va falloir se débrouiller pour que la révolution commence pour de vrai parce qu'à compter de l'année prochaine, il ne sera plus question d'importer du carburant. Nous pouvons jouir d'un véritable «bouquet énergétique» Du mix énergétique, le ministre de la Transition énergétique et des Energies renouvelables a été on ne peut plus prolixe. L'état des lieux est clairement établi pour l'invité du Soir d'Algérie qui énumérera nos ressources ; les énergies fossiles sur lesquelles on ne pourra compter indéfiniment au risque de «rentrer dans le mur», et des ressources renouvelables dont nous détenons en l'énergie solaire un des plus grands gisements au monde (près de 3 000 kilowatt heure/m2 par an). En fait, l'Algérie détient un «bouquet énergétique» avec son pétrole, son gaz, son charbon, son soleil et potentiellement du nucléaire. Selon ses explications, le kilowatt heure solaire coûte moins cher que le thermique, en conséquence «il serait dommage de continuer de brûler du gaz naturel alors que l'on peut faire autrement pour laisser un viatique pour les générations futures, même s'il n'est pas évident de le faire». Pour le moment, l'Algérie a, à sa disposition, 340 mégawatts de solaire et 10 mégawatts d'éolien, alors que les modèles que l'on s'apprête à mettre en place requièrent au minimum 10 à 12 000 mégawatts de renouvelable en 2030. En ce moment, nous avançons à une cadence d'environ 1 000 mégawatts/an. «Les 12 000 mégawatts nous permettront de gagner 18 milliards de mètres cubes de gaz par an. » L'idée, comme il l'expliquait il y a quelques semaines, c'est de financer les investissements pour le solaire avec l'argent économisé sur le gaz. C'est pourquoi l'Algérie s'attelle maintenant à la recherche de partenaires financiers. «Nous sommes condamnés à réussir parce que nous n'avons plus le choix, même si cela arrive dans une conjoncture où nous avons moins de moyens financiers que pendant les 20 années lors desquelles nous avions 1 000 milliards de dollars sans pour autant avoir fait grand-chose», constate, désolé, Chems Eddine Chitour qui n'a pas manqué de rappeler encore une fois ce dont la nature a comblé l'Algérie, avec ses 280 sources d'énergie géothermique mais, malheureusement, «on en fait rien». Le schiste ? Oui, mais ... «Avec un Sahara de 2 millions de km2, une nappe phréatique de 45 000 milliards de mètres cubes d'eau douce, une faune, une flore et des gens qui sont là depuis la nuit des temps et du jour au lendemain, après leur avoir fait subir les 13 Gerboises multicolores de la France qui en a fait un terrain d'expérimentation, et après des essais bactériologiques, on veut encore abîmer le Sahara par une technologie qui n'est pas mâture...». C'est ainsi que répondra Chems Eddine Chitour à la question ayant trait à sa position sur le gaz de schiste non sans étayer son propos par quelques explications pointues du genre : «Au début, pour procéder à un forage, il fallait environ 2 000 produits chimiques, maintenant il en faut une cinquantaine, et tous aussi dangereux les uns que les autres. Puis, un forage demande 15 000 mètres cubes d'eau douce... nous n'avons pas la technologie», argumente le ministre qui, à l'occasion, confirmera ce que beaucoup savaient : des essais ont été effectués et Halliburton a fini par estimer que le sous-sol du Sahara, sur un périmètre, regorge de 27 000 milliards de mètres cubes, mais pour le ministre il y a de quoi se méfier de ces chiffres, d'une part, et d'admettre que la technologie n'est pas mâture, d'autre part. De ce fait, il serait très risqué de penser à l'exploitation du schiste, selon le ministre Chitour qui «comprend les gens de In-Salah» qui se sont élevés, pour le moins que l'on puisse dire, contre l'exploitation du gaz de schiste en Algérie. Et au stade où en sont les débats et la technologie sur la très délicate question de l'exploitation du gaz de schiste, Chems Eddine Chitour est contre... pour le moment, parce que «à un moment ou un autre, on trouvera la solution» et il faudra que les Algériens, Sonatrach plus précisément, soient prêts, qu'ils se mettent à former des universitaires et des ingénieurs. Du projet Desertec qui n'a pu voir le jour, le ministre de la Transition énergétique et des Energies renouvelables, sans se permettre de juger la compétence des Allemands, nous apprend que le projet avait l'ambition de produire de l'électricité à partir du Sahara algérien (100 km2 pour l'Europe, 250 km2 pour l'ensemble de la planète), mais il se trouve que Desertec a changé de statut pour adopter celui de bureau d'études et conseils sur les stratégies à adopter, ce qui n'intéresse pas l'Algérie qui, elle, veut tracer ses propres perspectives, avoir une vision propre «et c'est le modèle énergétique qui va nous la donner» pour se lancer dans l'énergie solaire, comme ce sera le cas d'ailleurs avec le lancement bientôt de la production de 150 mégawatts, un peu pour donner corps à la mutation énergétique, sociologique et économique qui s'annonce dans le pays, et commencer ainsi à en finir avec la rente pétrolière et faire en sorte que «ce qui nous reste comme argent sera utilisé à bon escient». Et puis, pour boucler son passage avec une espèce d'apothéose, Chems Eddine Chitour fera part de la préparation d'une loi sur les énergies renouvelables qui s'articulera sur le modèle énergétique qui, ainsi, survivra aux hommes, aux bouleversements politiques ou toute autre conjecture du genre qui fait enterrer des projets, souvent d'importance majeure, dès le départ de ceux qui les portaient. Azedine Maktour