Par Ali Mebroukine (*) Dans un entretien accord� au Quotidien El Watan du jeudi 19 ao�t 2010, l�ex-g�n�ral major Hocine Benm�alem, qui fut le secr�taire particulier du colonel Amirouche, donne sa version de la Bleuite, �met quelques hypoth�ses sur les circonstances de la mort de l�ancien chef de la Wilaya III, �trille le colonel Ali Kafi et soutient que la s�questration des ossements des colonels Amirouche et Si Haou�s avait �t� ordonn�e par le pr�sident Houari Boumedi�ne. Reprenons chacun de ces quatre �l�ments. Sur la Bleuite Que les conditions de vie dans les maquis de la Wilaya III o� l�ex-g�n�ral major n�a pass� qu�une partie de sa p�riode de mobilisation, aient �t� rudes, implacables, personne ne le nie. Que l�historien doive en tirer argument pour sous-estimer l�ampleur des purges ordonn�es (quelque 3 000 moudjahidine en firent les frais) n�est pas acceptable. On peut, � la rigueur, mettre sur le compte de bavures, faute d�exp�rience et d�informations corrobor�es les premiers actes de violence commis � l��gard de recrues ayant ralli� dans des conditions floues les maquis de la Wilaya III. Et encore se pose toujours la question de savoir de quel crime �taientils coupables. Mais lorsque l��puration prend la forme d�une organisation bureaucratique, rationnelle et hi�rarchis�e destin�e � d�capiter le fleuron de la Wilaya III, sans se pr�occuper ni de la pr�somption d�innocence ni de l�existence de preuves, voire de simples pr�somptions, on ne peut plus parler ni d�erreurs ni de fautes commises de bonne foi. C�est trop facile. Certes, il y avait � la d�charge du colonel Amirouche la circonstance que les services secrets fran�ais avaient cibl� la Wilaya III, concentrant sur elle l�essentiel de leurs moyens psychologiques, afin de pouvoir d�stabiliser son commandement et de garantir l�efficacit� de la strat�gie de guerre con�ue par le g�n�ral Challe qui avait succ�d� au g�n�ral Salan, en 1958 et re�u mandat du g�n�ral de Gaulle de r�duire � n�ant toute r�sistance de l�ALN dans les maquis de l�int�rieur. Le g�n�ral major Hocine Benm�alem soutient que �pendant la guerre, on gagne des batailles, on en perd d�autres, l�important c�est de gagner la guerre et nous l�avons gagn�e�. Non, mon g�n�ral. Les purges pratiqu�es dans la Wilaya III ne sont pas assimilables � une bataille livr�e � l�ennemi. C�est une bataille que des Alg�riens peu �clair�s et circonvenus par les services secrets fran�ais (dont personne, � l��poque, n�avait cherch� � mettre au jour les ignobles proc�d�s) ont men�e contre d�autres Alg�riens, recourant, pour ce faire, � la torture, � toutes sortes de traitements humiliants et d�gradants ainsi qu�aux ex�cutions extrajudiciaires. Il a d� exister des agents doubles en Wilaya III, comme il en a exist� en Wilaya IV (il s�agissait des deux wilayas les plus redout�es par l�arm�e coloniale) et ce ph�nom�ne est caract�ristique de toutes les guerres. Mais rien qui ne justifi�t des purges sanglantes et indiscrimin�es. Quant au colonel Amirouche, plut�t que de verser des larmes de chagrin devant l�h�catombe humaine qu�il avait lui-m�me ordonn�e, que n�avait-il mis un terme au massacre (personne ne pouvait discuter ni ses ordres ni ses contre-ordres). Que n�avait-il adopt� des sanctions, au besoin draconiennes, � l�encontre des suspects qui leur eussent au moins pr�serv� la vie. Que n�avait-il instruit les membres des funestes commissions d�examen des cas litigieux de proc�der � des investigations s�reuses, de confronter les accus�s � leurs d�lateurs, de permettre l�exercice des droits de la d�fense, perverties compl�tement au demeurant par de sinistres parodies de proc�s dans lesquelles les avocats commis d�office recommandaient l�application de la peine capitale contre leurs clients. Tout cela, le colonel Amirouche pouvait l�emp�cher. H�las, le sang d�innocents a coul� en pure perte. Et m�me si l�on devait conc�der au colonel Amirouche le b�n�fice de la bonne foi, le seul fait qu�il ait donn� un ch�que en blanc � des hommes comme Ahc�ne Mahiouz, vient d�monter, a contrario, qu�il n��tait pas le grand chef militaire, que m�me l�historiographie officielle accr�dite et que sa mani�re de d�fausse sur des commissions d�examen dans lesquelles si�geaient de v�ritables criminels de guerre ne constitue gu�re pour lui un titre de gloire. Lorsque l�on apprend, par ailleurs, que le colonel Amirouche avait exprim� sa stup�faction aux autres chefs de wilayate qu�il n�y e�t pas d�agents doubles chez eux et les avait exhort�s � redoubler de vigilance pour d�masquer les traitres, on peut se demander, si � un moment ou � un autre, le patron de la Wilaya III n�a pas �t� atteint d�une psychose de pers�cution lui faisant voir des ennemis de l�Alg�rie � chaque recoin d�un bosquet. Le g�n�ral Benm�alem d�clare que les fautes commises l�ont �t� pour servir la r�volution. Curieuse fa�on de servir la r�volution que de chercher � �liminer ses meilleurs enfants. Du reste, que cela plaise ou non, le g�n�ral Challe avait pris toute la mesure de la vuln�rabilit� croissante de la Wilaya III � travers les purges dont elle �tait le si�ge. Ce sont ces purges qui ont affaibli la Wilaya III et rendu possible le succ�s de l�ensemble des op�rations militaires men�es par le g�n�ral Challe, au point o� celui-ci avait demand� � �tre re�u par le g�n�ral de Gaulle, fin 1959, pour lui faire admettre l�id�e, mais en vain, il est vrai, qu�il existait d�sormais une solution militaire � l�ensemble du probl�me alg�rien. Par cons�quent, � rebours de la th�se du g�n�ral Benm�alem, la Wilaya III n�a ni gagn� la bataille contre les services de l�action psychologique du capitaine L�ger, supervis�e par le redoutable colonel Godard, ni la guerre contre le g�n�ral Challe qui avait �radiqu�, apr�s le succ�s de l�op�ration Jumelles, toute la r�sistance des wilayate de l�int�rieur. L�Alg�rie a arrach� son ind�pendance sur le plan politique, paradoxalement au moment o� militairement toutes les wilayas �taient d�faites, cependant que l�arm�e des fronti�res dirig�e par un homme d�exception se structurait et se renfor�ait dans la perspective de l�ind�pendance. Il y a exc�s d�honneur � soutenir que l�Alg�rie a remport� une victoire militaire sur la France, mais il n�y a nul exc�s d�indignit� � rappeler simplement les faits et � restituer les �v�nements tragiques de cette p�riode de notre histoire dans une trame objective et sereine. Les circonstances de la mort du colonel Amirouche A la suite de S. Sadi, de N. A�t Hamouda et de moi-m�me (j�avais �voqu� ces circonstances avant le pr�sident du RCD et avant le fils du colonel Amirouche), le g�n�ral major Benm�alem s�interroge, � son tour, sur le point de savoir si les colonels Amirouche et Si Haou�s sont tomb�s sur leur chemin vers Tunis sur une patrouille de routine de l�arm�e fran�aise qui tenait fermement la zone adjacente au djebel Thameur ou si ce sont des �l�ments de l�ALN (mais lesquels ?) qui ont communiqu� aux services fran�ais l�itin�raire des deux chefs militaires, ce qui donnait tout loisir � ceux-ci d�organiser une embuscade qui aurait mobilis� au minimum 2 000 hommes, selon les historiens. Le g�n�ral major Benm�alem n�exclut a priori aucune hypoth�se, mais renvoie avec un scrupule qui l�honore aux archives de la guerre de lib�ration, aujourd�hui d�tenues en France mais auxquelles aucun historien (alg�rien, fran�ais ou autre) ne peut acc�der, � cause de l�opposition, probablement fond�e, du Service historique de l�Arm�e de terre (SHAT). Quoi qu�il en soit, le colonel Amirouche �tait plein de d�pit � l�endroit du GPRA, incapable � ses yeux de pourvoir � l�acheminement des armes � partir des territoires frontaliers de l�est et de l�ouest. Pis, le colonel Amirouche reprochait au GPRA d�avoir d�cid� cyniquement d�abandonner � leur sort l�ensemble des wilayate de l�int�rieur et de vouloir revigorer son action diplomatique internationale dans la perspective de n�gociations directes avec l�Etat fran�ais ; le GPRA escomptait ainsi en tirer de substantiels dividendes en se succ�dant � luim�me dans une Alg�rie devenue ind�pendante. C�est au regard des griefs r�currents et violents que le colonel Amirouche (mais �galement les colonels Si Haou�s, Si M�hamed et Hadj Lakhdar) adresse au GPRA (et non pas � l��tat-major des fronti�res, qui n�existe pas � ce moment-l�) qu�il est paradoxal d�entendre le Dr Sadi voler au secours du GPRA qu�il pr�sente comme l�institution la plus l�gitime de la r�volution. C�est bien pour pr�senter ses dol�ances au GPRA que le colonel Amirouche prend le chemin de Tunis. C�est bien de la politique du fait accompli, du statu quo et de l�abandon militaire des combattants de l�int�rieur par le GPRA dont s�indigne le patron de la Wilaya III, cependant qu�il est plus que probable que certains membres du GPRA subodoraient (c�est une litote) que le colonel Amirouche ne parviendrait pas jusqu'� Tunis. Au sein du GPRA, il y avait nombre d��l�ments qui appelaient de leurs v�ux la disparition de toute trace de l�int�rieur et entendaient lever l�hypoth�que que constituaient les wilayate dans la course au pouvoir. En quoi une institution qui percevait avec une hantise non dissimul�e la reviviscence, � pourtant illusoire �des wilayate de l�int�rieur, au point de s�acharner � la d�truire, pouvait �tre plus l�gitime que l�arm�e des fronti�res ? En tout cas, on ne peut sans incoh�rence d�fendre la m�moire du colonel Amirouche et porter au pinacle une institution qu�il avait combattue sans rel�che. Il faut toujours prendre garde lorsque l�on entreprend de r��crire l�histoire de ne pas se tirer une balle dans le pied. Sur le colonel Ali Kafi En lisant les r�ponses du g�n�ral Benm�alem sur les propos sarcastiques tenus par le colonel Kafi sur le colonel Amirouche (qui peut croire un instant qu�un brave comme Amirouche e�t pu trembler dans sa djellaba devant qui que ce soit, tant cet homme ignorait le danger et ne redoutait pas la mort ?), il est heureux de voir � quel point l�ancien pr�sident du HCE est honni par la classe politique, y compris de la part de ses segments les plus neutres. Ses nombreux d�rapages verbaux et ses �crits r�visionnistes (dans lesquels transpara�t une berb�rophobie crasse) ne plaident gu�re en sa faveur. Apr�s avoir vou� aux g�monies le p�re fondateur de l�Etat alg�rien, Abane Ramdane, dont on ne peut pas dire qu�il fut son ma�tre car Abane n�e�t jamais accept� que l�ancien chef de la Wilaya II p�t �tre son �l�ve, le voici qui s�en prend, il y a quelques mois, au pr�sident H. Boumedi�ne, le p�re de la nation alg�rienne ind�pendante. A quel titre, le colonel Kafi peut-il �valuer le bilan de H. Boumedi�ne ? Positifs ou non, le colonel Kafi est bien le dernier � pouvoir s�autoriser une appr�ciation sur les �tats de service de celui qui voulait faire de l�Alg�rie le Japon de l�Afrique. Sur la s�questration des ossements des colonels Amirouche et Si Haou�s Sans l�ombre d�une preuve, sans le moindre souci d�objectivit�, le g�n�ral major Hocine Benm�alem accuse le pr�sident Boumedi�ne d�avoir ordonn� la s�questration des ossements des deux colonels dans les sous-sols du MDN. Il est �trange que le GM Benm�alem n�ait pas cru utile de questionner � ce sujet le g�n�ral major Mustapha Cheloufi. Ce grand commis de l�Etat qui a accompli un parcours sans faute � la t�te de la Gendarmerie nationale, puis du MDN, enfin de la Commission de la d�fense nationale du Conseil de la Nation l�aurait assur� que le pr�sident Boumedi�ne n�est absolument pour rien dans la s�questration des ossements des colonels Amirouche et Si Haou�s. Il faut tr�s mal conna�tre le pr�sident Boumedi�ne pour l�imaginer capable d�une telle ignominie. Le pr�sident Boumedi�ne n�avait strictement aucune id�e de l�endroit o� �taient enterr�s les corps des deux valeureux colonels; il ne s�y �tait jamais int�ress�. On peut sans doute le lui reprocher, comme on peut lui faire grief de ne pas avoir honor� la m�moire de ces deux h�ros. Mais, pour le pr�sident Boumedi�ne, il n�y avait eu qu�un seul h�ros pendant la r�volution, c��tait le peuple alg�rien. C�est au nom de ce peuple qu�il a cherch� � imposer un mod�le de construction de l�Etat destin� � faire de la soci�t� alg�rienne une nation homog�ne et soud�e, fi�re de sa r�sistance au colonialisme et se projetant avec assurance et confiance dans un futur charg� de d�fis. Il n�avait pas la pr�tention, � quelques encablures de l�ind�pendance, de la r�concilier avec l�histoire alg�rienne ramen�e aux dimensions du mouvement national et de la guerre de Lib�ration nationale, car cette histoire lui paraissait charg�e de trop de trag�dies personnelles, d�affrontements fratricides, de querelles de l�gitimit� pour �tre exhum�e sans b�n�fice d�inventaire � une jeunesse en qu�te de rep�res pour l�avenir plus que d�une connaissance d�passionn�e de sa propre histoire. Pour lui, le moment viendrait o� les historiens retrouveraient leur juste place dans la restitution d��v�nements dont la signification et la port�e restent � ce jour controvers�es. Le seul fait que 50 ans apr�s l�ind�pendance, les autorit�s fran�aises n�aient toujours pas autoris� la d�classification des archives militaires sensibles montre � l�envi que le temps du politique n�est pas celui de l�historien. Tout vient � point � qui sait attendre et l�histoire est en train de s��crire lentement mais s�rement, h�las au moment o� l�immense majorit� de nos jeunes ne s�int�ressent ni au pass� ni m�me au pr�sent de leur pays, pr�f�rant porter un regard plein de fascination autant que d�illusion sur l��tranger lointain. Le g�n�ral major Hocine Benm�alem qualifie le comportement de H. Boumedi�ne d�inadmissible et avoue avoir �t� choqu� lorsqu�il a appris la nouvelle de la s�questration des ossements des deux colonels. Qu�il sache que le pr�sident Boumedi�ne, qu�il n�a pas eu le privil�ge de c�toyer ni de servir, �tait un grand homme d�Etat (peut-�tre trop grand pour le peuple alg�rien), incapable de bassesses et de mesquineries, s�agissant pour le surplus de valeureux combattants tomb�s au champ d�honneur ; � l�inverse, l�homme que lui, Hocine Benm�alem, a accompagn�, 13 ann�es durant, au plus haut niveau de l�Etat, a projet� le pays dans un puits sans fond o� il se d�bat encore � ce jour. Gr�ce devrait �tre rendue � Dieu par l�un et par l�autre qu�il ne leur soit pas demand� de comptes sur la gestion chaotique du pays, une gestion que n�auraient certainement b�nie ni le colonel Amirouche ni notre r�f�rence historique commune, Ramdane Abane. A. M. * Professeur d�universit�